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CHAPITRE IV

LE CARRELAGE CERAMIQUE DE L'ABBAYE DE VAUCLAIR

 

 

l,es carrelages découverts à Vauclair se présentent sous deux formes générales différentes : un nombre assez important de carrelages en terre cuite non émaillés et quelques pavements composés de carreaux en terre cuite émaillée. Pour ces derniers pavements, certains carreaux sont décorés et les autres sont recouverts d'un émail monochrome.

 

Dans notre étude, ce sont les pavements décorés qui retiendront surtout notre attention. Pour les carrelages en terre cuite non émaillée, nous en présenterons une description sommaire, en insistant plus spécialement sur certaines particularités telles que l'emploi de tuiles comme éléments de carrelage.

 

A. LES PAVEMENTS EMAILLES DE VAUCLAIR

 

Les pavements émaillés sont évidemment beaucoup plus rares que les carrelages ordinaires. Un grand nombre d'entre eux sont assez abîmés. La glaçure et les motifs incrustés ayant entièrement disparu, beaucoup se présentent comme des éléments en terre cuite non émaillée. Cependant, la glaçure reste intacte sur les bords des carreaux et un examen attentif des parois permet de faire la différence entre les anciens carreaux décorés ocres et jaunes et les carreaux émaillés de manière monochrome qui sont ,d'un ton vert ou jaune ou parfois, rouge-brun.

 

Une importante partie du premier carrelage de l'ancienne porterie monastique, encore en place, a été découverte au cours des campagnes de fouilles de 1970 et 1971. Mais, la pluspart des carreaux décorés de Vauclair découverts dans un état de conservation remarquable, proviennent soit de l'angle d’une pièce où ils ont été protégés de l’usure, soit de pavements très rapidement remaniés et dont les carreaux peu usés, ont été abandonnés dans les remblais.

 

1. Le pavement en place de la Porterie

 

Description

 

Disposition générale

 

Le pavement est conservé sur une superficie d'environ huit à neuf mètres carrés, mais il recouvrait à l'origine toute la superficie de l'aile nord de la porterie (PLAN B et Pl. CLXXVI : a). Il est divisé en larges bandes orientées Est-Ouest, disposées parallèlement à la cheminée (PLAN C et Pl. CLXXVI : b). Chacune de ces bandes mesure 1 m de large. Elles sont séparées les unes des autres par une bordure de carreaux émaillés de 12 cm de côté, alternativement verts unis et à motifs incrustés ocres et jaunes.

 

La bande centrale présente un mélange de grands et de petits carreaux émaillés. Les grands carreaux (12 x 12 cm) sont uniquement des pièces à décor ocres et jaunes. Les petits carreaux (6 x 6 cm) sont émaillés unis verts ou. incrustés ocres et jaunes. Les grands carreaux, posés en diagonale, composent au centre de la bande centrale, des compartiments carrés de seize carreaux assemblés. Le reste du champ est pavé de petits carreaux disposés en échiquier. Les dernières rangées de petits carreaux contiguës aux bordures, sont formées de petits triangles (demi-carreaux) émaillés unis verts.

 

Les autres bandes, de part et d’autre de la bande centrale sont pavées uniquement de grands carreaux (12 x 12 cm), posés en diagonale. La surface de ces bandes est également subdivisée en grands compartiments carrés : au centre, de grands carrés se touchant par la pointe, formés de seize carreaux incrustés ocres et jaunes, et de part et d'autres des carrés composés de quatre carreaux incrustés ocres et jeunes entourés de carreaux émaillés unis verts. Les carrés de bord sont amputés d'un angle par les bordures. Le long des bordures, s'aligne ainsi une rangée de grands triangles (demi-carreaux) émaillés unis verts.

 

Disposition des motifs

 

Outre quelques motifs lisibles par-ci et par-là, une partie du pavement était restée intacte dans l'angle sud-ouest de la pièce (Pl. CLXXVII) et nous avons pu en tirer certains renseignements sur la disposition des motifs., Les petits carreaux (6 x 6) étaient disposés en file de carreaux à motifs identiques, se touchant par la pointe. Les carreaux décorés d'arcatures étaient placés côte-à-côte de sorte qu’ils composaient une galerie de cloître formant une bordure. Certains carreaux étaient assemblés par quatre pour reconstituer un motif complet.

 

Ce pavement ne comporte aucun carreau émaillé uni jaune.

 

b. Comparaisons

 

A notre connaissance, il ne subsiste aucun pavement du XIIIe siècle en place, dans l'Aisne. Certains pavements actuels, avec carreaux anciens, comme ceux de l'église de Chapelle-Monthodon ou de la chapelle du Petit-Saint-Vincent à Laon, sont des remaniements postérieurs.

 

Mais, comme nous l'avons vu dans l'état de la question au chapitre III (cfr supra p.61), la disposition en larges bandes parallèles et en grands compartiments carrés est celle en usage dans les pavements français du XIIIe siècle. Rappelons celui de la salle des archives de Saint-Omer (Pl. XL et XLI) où les carreaux décorés dessinent également des compartiments carrés entourés de carreaux rnonochromes, ou celui de l’église Saint-Hippolyte-de-Vivoin (Pl. XXXVIII : b), où le pavement est divisé en larges bandes parallèles agencées de diverses manières.

 

c. Datation

 

En ce qui concerne la datation du pavement en place, nous nous référons au rapport de fouilles de l'ancienne porterie monastique de Vauclair [i].

 

Trois phases principales de construction et de remaniement se lisent à l'examen des vestiges mis au jour. (PLAN B et fig.2).

 

 

 

Phase I (en vert sur le plan des fouilles)

 

C'est à ce niveau primitif qu’appartient le pavement en place. Les premières fondations de la porterie datent du XIIIe siècle et consistaient en deux bâtiments séparés et non reliés, comme ce fut le cas par après. Elles datent donc de la même époque que la plupart des ruines actuellement visibles à Vauclair, autour du cloître, et qui appartiennent au second, monastère construit entre 1200 et 1257. Les fondations de cette première phase de la porterie révèlent la même technique de construction, le même type de mortier un peu verdâtre et le même appareil que toutes les constructions des lieux réguliers du XIIIe siècle. Tout y révèle la grande qualité architecturale d'une période de -prospérité matérielle.

 

Le plan montre comment ces deux premiers bâtiments de la phase I étaient séparés et nettement plus étendus que les ruines actuellement visibles de la dernière phase de la porterie, encore intacte en 1914.

 

A l'intérieur du bâtiment sud de ces premières constructions, un alignement de fondations de piliers, qui révèlent un édifice voûté, a été mise au jour. Les nombreux claveaux du XIIIe siècle. (profil : une amande et deux tores), découverte en réemploi pour la construction des voûtes d'une cave postérieure, pourraient provenir du premier édifice.

 

La plus grande partie des premières constructions a subsisté au cours de la phase II.

 

Phase II (couleur brune sur le plan)

 

Un premier remaniement, visible surtout dans le bâtiment nord, est survenu peu de temps après la mise en usage de ces constructions. Dans le bâtiment nord, la partie est a été amputée d'une partie de sa surface et un mur nouveau est venu délimiter le bâtiment, à l'Est. Une importante quantité de carreaux émaillés très bien conservés (ayant donc peu servi) a été découverte dans les remblais de cette démolition.

 

Dans le bâtiment sud, la phase II consiste surtout dans l'adjonction d'un puits à l'extérieur du mur est et dans la construction d'une cave voûtée dans l'angle nord-est de ce bâtiment.

 

Phase III (couleur orange sur le plan)

 

Un bouleversement très profond caractérise cette dernière phase qui subsistera, pour l’essentiel, jusqu’en 1914. Tous les murs du XIIIe siècle sont rasés. Une monnaie découverte sur la partie supérieure de ces fondations arasées, et sous un niveau qui ne fut plus entamé postérieurement, pourrait livrer la date exacte de cette destruction et de cette reconstruction. Il s'agit d'une très belle monnaie en argent de Charles V, datée de 1365.Les sources écrites de Vauclair font connaître une destruction de l’abbaye en 1359, par les Anglais, au cours de 1a Guerre de Cent Ans. Sources archéologiques et sources écrites semblent donc bien concorder et révéler la date de la troisième phase de la porterie : le milieu du XIVe siècle.

 

Au cours de cette phase III, un remaniement très profond affecte toutes les constructions. On réunit les deux bâtiments nord et sud et on voûte l'ancien passage charretier que l'on pouvait toujours voir en 1914. De plus, on désaffecte pour ce travail, l'ancienne cave de la phase II et on construit une cave au centre de l'aile sud et le long de la façade ouest de ce même bâtiment. Sans doute, l'annexe avec puits qui a été jointe, au Nord du bâtiment nord, date-t-elle plutôt de la phase II que de la phase III, mais il est malaisé de se faire une certitude en ce domaine.

 

De cette phase III, il faut retenir aussi la construction d'une nouvelle cheminée et la surélévation du niveau du bâtiment nord, relevée au cours des fouilles de 1970.

 

Ce rapide résumé de l'évolution des bâtiments de la porterie nous aide à mieux comprendre les conditions de la mise au jour du pavement de la phase I.

 

La découverte de ce pavement nous semble présenter un grand intérêt archéologique. Tout d'abord, il nous livre un certain nombre de renseignements sur la disposition générale et les motifs d'assemblage d'un pavement de la première moitié du XIIIe siècle. Mais, il nous permet surtout de dater une série de carreaux décorés que l'on trouve dans ce pavement. La consécration de la seconde abbatiale de Vauclair a eu lieu en juin 1257. Cette date marque la fin des grandes constructions du second monastère cistercien. La première phase de la porterie du second monastère et le premier pavement de cette construction doivent donc être placés entre 1200 et 1257.

 

2. Les carreaux décorés du XIIIe siècle

 

Avant de passer à la description des carreaux de Vauclair il nous paraît important d'envisager le problème de réglementation religieuse que pose l'existence de pavements décorés dans une abbaye cistercienne. On sait la vigueur avec laquelle saint Bernard chercha à imposer aux monastères de l'Ordre un style décoratif très sobre et assez pauvre. A ce sujet, il importe donc de préciser les directives de l'autorité suprême : le Chapitre général de Cîteaux.

 

L'orientation générale est donnée en 1123, par les célèbres invectives de saint Bernard dans son "Apologie à Guillaume". Vitupérant la richesse des sanctuaires bénédictins, saint Bernard fait mention explicitement des pavements historiés :

 

"Pourquoi du moins ne respecte-t-on pas les images des saints gravés sur le pavé que nous foulons aux pieds ? Souvent, l’on crache dans la bouche d'un ange, et quelquefois les passants défigurent tout le visage d'un saint. Si l'on n'a point d'égard à la sainteté de ces images, au moins devrait-on épargner la beauté des couleurs. Pourquoi embellissez-vous ce qui doit être gâté au premier jour ? pourquoi peignez-vous avec la main ce qu'on doit effacer avec les pieds ? "[ii]

 

Dans cette logique, le Chapitre général apporta d'abord beaucoup de ténacité à poursuivre jusqu’à la fin du XIIIe siècle une politique de prohibition des pavements décoratifs et historiés. Mais la fréquence des rappels à l'ordre dans cette matière, n'est-elle pas la meilleure preuve de l'existence des pavements décorés et du peu de succès de ces rappels ?

 

En 1213, le Chapitre Général, interdit les pavements historiés [iii]. En 1218, il va jusqu'à prescrire leur remplacement. Il revient sur cette défense en 1256 et jusqu'en 1316. A deux reprises, il intervient directement, à Pontigny (Yonne), en 1205, et au Gard. (Somne), en 1235, pour faire enlever les pavements décoratifs contraires à la simplicité et à l'austérité de l’Ordre de Cîteaux [iv]. Par ailleurs, en 1210, le Chapitre Général décide qu'un moine cistercien de Bolbec (Seine-Maritime), spécialiste de l'art des pavements décoratifs, ne pourra plus travailler que pour les besoins des maisons cisterciennes et selon des Compositions simples [v] .

 

En réalité, il semble que cette politique de prohibition des pavements décorés connut à peu près la même durée d'application que le décret "Litterae unius coloris fiant, et non depictae" [vi]. Ce décret date probablement de 1152. Entièrement inspirée de saint Bernard, cette défense du Chapitre Général proscrivait l’emploi de l'or dans les enluminures des manuscrits et limitait l'ornementation à l’usage d'une seule couleur.

 

Dans ses études, encore inédites, sur les manuscrits cisterciens de la Bibliothèque de Laon (Aisne), Mme Martinet a pu faire quelques découvertes fort éclairantes sujet [vii]. A l'abbaye de Clairvaux, où résidait saint Bernard, le décret "unius coloris" cessa d'être appliqué dès la mort du saint, en 1153. Par contre, l’abbaye de Vauclair fit preuve de plus de fidélité en ce domaine. L'usage de couleurs multiples ne se retrouve, dans les manuscrits de Vauclair, que vers la fin du XIIe siècle. Mais l'or ne réapparaît que vers la moitié du XIIIe siècle, dans les remarquables missels qui avaient été réalisés pour la consécration de la seconde abbatiale de Vauclair, en 1257. L'abbaye de Foigny (Aisne), une soeur de Vauclair, connut une évolution identique.

 

Qu'il s'agisse de la décoration des manuscrits ou de celle des pavements, il semble bien que les sévères prohibitions bernardines étaient entièrement oubliées à la moitié du XIIIe siècle, au moment où l'ordre de Cîteaux jouit d'une étonnante réussite matérielle. L'usage des pavements historiés à Vauclair, durant la première moitié du XIIIe siècle, n'a dès lors plus rien d'étonnant à cette époque.

 

a. Description des carreaux décorés du XIIIe siècle.

 

La technique     (retour au renvoi page 117)

 

Les carreaux découverts à Vauclair, se présentent sous des formes diverses. mais la majorité d'entre eux ont une forme carrée. Ils existent en deux dimensions. Les plus grands mesurent 12 x 12 x 2,5 cm. Les plus petits ont 6 cm de côté et la même épaisseur que les grands. Ils sont façonnés dans un moule de même dimension que les grands carreaux. Nous en avons eu la preuve an ajustant quatre petits carreaux décorés respectivement d'un griffon, d'une fleur de lys, d'une tour de Castille et d'un oiseau (Pl. CLXXIV : a) On remarque que la queue du griffon déborde sur le carreau orné de la fleur de lys. De plus, on a retrouvé un carreau comportant ces quatre motifs séparés par une entaille Permettant de les détacher d’un simple coup de maillet (Pl. CLVII : a).

 

Outre les carreaux de forme carrée, il existe une série de carreaux triangulaires ou demi-carrés. Leur base mesure 17 cm et les côtés, 12 cm. Ils ont la même épaisseur que les carreaux carrés, soit 2,5 cm.

 

Les carreaux sont façonnés dans une argile que la cuisson a rendue rouge pâle. L'argile est assez grossière et conserve un certain nombre d'impuretés. Mais, à la surface supérieure, les carreaux sont recouverts d'une couche d'argile plus fine, de tonalité plus rouge, et qui mesure 3 à 5 mm d'épaisseur. Cette couche se distingue nettement le long des cassures et sur les bords (Pl. CLXXIV: b et c). Les carreaux présentent ainsi une surface parfaitement lisse. Le procédé qui consiste à fabriquer les carreaux avec deux argiles superposées est assez rare. Il est assez frappant de remarquer que l'on a pu relever un exemple similaire dans une abbaye cistercienne, soeur de Vauclair : Foigny [viii].

 

Les bords des carreaux sont bien tranchés et les profils sont droits ou légèrement en talus.

 

En ce qui concerne la décoration, la technique des carreaux de Vauclair est celle le plus couramment en usage à cette époque. Comme nous l'avons dit (cfr supra p. 28 ), elle consiste à appliquer sur la surface du carreau une matrice en relief, de manière à obtenir le motif en creux. Ensuite, les espaces creux du décor sont remplis avec une argile différente de celle que l'on a appliquée à la surface supérieure du carreau. Le procédé d'incrustation apparaît clairement sur certains carreaux détériorés où l’engobe du motif est en partie ou entièrement disparu (Pl. CLXXV).

 

Les carreaux sont recouverts d'une glaçure plombifère transparente et jaunâtre. Appliquée sur l'argile rouge, elle lui donne un ton ocre et l'engobe blanc devient jaune. Certains carreaux sont façonnés dans une argile blanche dans laquelle le motif est incrusté en rouge.

 

En bref, les carreaux découverts à Vauclair, sont techniquement remarquables. Les formes sont régulières. La cuisson est excellente. Dans la plupart des cas, l'engobe des décors est bien conservé et les motifs sont parfaitement lisibles. Seule, la glaçure n'a pas toujours résisté à l’usure, mais ce fait est commun à tous les carreaux à glaçure plombifère du Moyen Age.

 

Les motifs décoratifs

 

Fruits de l'exubérante fantaisie médiévale, les motifs des pavements décorés sont nombreux. Pour ces multiples variations iconographiques, un mode de classement exhaustif demeure une gageure. Il faut pourtant s’y résoudre en insistant sur les limites inhérentes à toutes les classifications trop rigides, dans un domaine où le même document peut ressortir à plusieurs genres à la fois.

 

Après un examen attentif des carreaux décorés de Vauclair, il nous semble pouvoir proposer les catégories suivantes :

 l)- les motifs héraldiques

2)- les motif s géométriques

3)- les motifs végétaux et floraux

4)- les motifs de vénerie et de chevalerie

5)- les motifs architecturaux

6)- les motifs fantastiques

7)- les motifs religieux

8)- les lettrines

 

1) Les motifs héraldiques

 

Dans la décoration médiévale, les motifs héraldiques occupent une place considérable. Rien d'étonnant si les décorateurs des carreaux historiés ont largement utilisé les figures emblématiques du blason. Parmi les carreaux de Vauclair, nous avons les motifs suivants :

- les pièces honorables : le carreau n°l [ix] est orné de la figure appelée le "bandé" c'est-à-dire un motif composé d'une série paire de bandes parallèles diagonales, alternativement ocres et jaunes (Pl. CXXI : a).

- les pièces artificielles : sur les carreaux n°2 et n°3, figure le "triangle" répété (Pl. CXXI : b et Pl. CXXII : a).

- les charges naturelles ou "animaux à quatre pattes : le carreau triangulaire n°4 représente un corps de lion (Pl. CXXII : b).

- les oiseaux : on retrouve ce thème sur le carreau n°38 (aigle?) (Pl. CLV : a) ; l'aigle éployé figure sur les carreaux n°7 et n°8 (Pl. CXXV).

- les armes de grande souveraineté : dans cette catégorie se range la fleur de lys. Sur les carreaux n°5 et n°6 elle est traitée de manière classique, caractéristique du XIIIe siècle (Pl. CXXIII et Pl. CXXIV).Ce thème, au départ héraldique, passera comme les autres figures emblématiques, dans l'ornementation courante. Nous la retrouvons, combinée avec d'autres décors sur les carreaux n°20, 21, 22, 23 et 24 (Pl. CXXXV, CXXXVI, CXXXVII, CXXXVIII, CXXXIX, CXL et CXLI). Le carreau n°40 est orné de l'emblème de la Castille. On distingue les trois tourelles inégales, qui surmontent l'enceinte fortifiée. Celle-ci, précédée d'un perron d’une seule marche, s'ajoure de deux baies rectangulaires et d'une haute porte cintrée qu’un trumeau divise en deux parties égales. (Pl. CLVI : a). Le même emblème figure sur les carreaux n°7 et n°8, en même temps que la fleur de lys, l'aigle et le griffon. Sur ces deux carreaux, l'unité France-Castille (lys et tour) est contrariée par le griffon et l'aigle. (Pl. CXXV).

-les figures chimériques : les carreaux n°9, 10 et 11 sont décorés de dragons, représenté seul sur le n°9 (Pl. CXXVI). ou entrelacés sur les carreaux n°10 et n°11 qui sont ornés du même motif dans des tons inversés (Pl.. CXXVII). Sur le carreau n°9, le dragon est placé entre deux arcs de cercle, de sorte qu'il aurait pu faire partie d'une composition formant une ronde. Mais, sur les quatre exemplaires trouvés, la position des segments de cercle est toujours identique et les carreaux sont fabriqués visiblement avec la même matrice. Dans ce cas, il s'agit probablement d'un modèle copié sur une ronde ou d'une matrice de réemploi.

Sur le petit carreau n°41 (Pl. CLVI : b) figure un griffon ailé presqu'identique à celui représenté sur les carreaux n°7 et n°8 déjà cités (Pl. CXXV).

 

2) Les motifs géométriques    (Retour au renvoi en page 112)

 

Quatre types de carreaux relèvent de cette catégorie : no"12, 13, 14 et 15 (Pl. CXXVIII, CXXIX et CXXX). Ilss ont décorés de courbes et de droites et forment :

- des rosaces simples où un seul carreau constitue un motif décoratif complet (n°12 et n°13)

- une rosace, formée de quatre carreaux devant être assemblés pour reconstituer l'ensemble du motif (n°14)

- des ensembles infinis (n°15) (Pl. CXXX)

Toutefois, les carreaux n°12 et n°13 peuvent aussi être raccordés pour former des ensembles illimités. Par ailleurs, si l'on compare les carreaux n°13 et n°14, on remarque que le motif du carreau n°14 est la transposition réduite sur un seul exemplaire, du motif formé par l'assemblage de quatre carreaux du type n°13.

 

3) Les motifs végétaux et floreaux

 

Principal ornement du décor sculpté des abbatiales du XIIIe siècle, le décor végétal et floral est aussi celui que l'on retrouve le plus fréquemment sur les carreaux du XIIIe siècle à Vauclair. Il peut être stylisé ou rendu d'une manière très naturaliste comme le sarment de vigne auquel pend une grappe de raisin du carreau n°16 (Pl. CXXXI).

 

Le décor végétal est presque toujours combiné avec des motifs géométriques (circonférences). Comme pour ces derniers, on distingue :

- les rosaces simples : n°17 et n°18 (Pl. CXXXII)

- les rosaces formées de quatre carreaux : n°19 à 24 (Pl. CXXXIII, CXXXIV, CXXXV, CXXXVI, CXXXVII, CXXXVIII, CXXXIX, CXL et CXLI)

- les rosaces formées de plusieurs carreaux , n°25 (Pl. CXLII).

- les ensembles infinis : n°26, 27 et 28 (Pl.. CXLIII, CXLIV, CXLV et CXLVI).

Les carreaux n°20, 21 et 22 montrent clairement l'évolution d'un thème décoratif : la fleur de lys prend une forme plus allongée et la motif devient plus complexe.

 

Notons que les motifs végétaux sont souvent représentés dans des tons inversés.

 

4) Les motifs de vénerie et de chevalerie

 

La figuration humaine intervient dans les scènes de vénerie et de tournoi. Ainsi, les carreaux n°29 et n°30 représentent un cavalier tenant un faucon au poing. Les personnages sont présentés dans un décor d'arcatures gothiques. (Pl. CXLVII et Pl. CXLVIII). Ces carreaux formaient une frise par assemblage juxtaposé. Le carreau n°31 (Pl. CXLIX) est orné d'un cavalier, la lance en arrêt. Il s'inscrit entre deux arcs de cercle et aurait pu faire partie d'une ronde (cfr le dragon du n°9).

 

5) Les motifs architecturaux

 

Les carreaux n°32 à 35 relèvent tous du même type de décoration architecturale (Pl. CL, CLI et CLII).Chaque type peut composer une frise par assemblage juxtaposé. Les carreaux sont ornés d'arcatures ogivales et forment une galerie de cloître. Le profil architectural offre les caractéristiques de l'architecture de la première moitié du XIIIe siècle : la base des colonnes, les chapiteaux et l'arc trilobé. Nous avons relevé, la même arcature ogivale sur les carreaux n°29 et N°30 (Pl. CXLVII et CXLVIII). L'arc trilobé y est moins aigu que celui des carreaux n°32 à 35. Mais les nécessités du décor peuvent expliquer cette nuance de profil et il ne nous semble pas possible d'en tirer des conclusions de datation différente.

 

Sur les carreaux n°33, 34 et 35, figure une fleur stylisée, identique à celle qui est reprise isolément pour composer le décor des carreaux n°17 et n°18 (Pl. CXXXII)

 

Les carreaux n°34 et n°35 sont de forme rectangulaire et le carreau n°35 est constitué en angle droit, ce qui semble indiquer que ces carreaux faisaient partie d'une plinthe murale (Pl. CLII)

 

6) Les motifs fantastiques

 

Le carreau n°36 représente un monstre à tête humaine sur un corps d'animal fantastique (Pl. CLIII). Un fragment de ce type montre uniquement la tête humaine avec un capuchon. Il s'agit probablement d'une tête de paysan ("jacques") avec le capuchon qui servait de coiffe aux XIIe et XIIIe siècle.

 

7) Les motifs religieux

 

Les motifs explicitement religieux sont pratiquement absents des carreaux de Vauclair, excepté le carreau n°37 où figure un ange (Pl. CLIV). Sans doute, les deux colombes que l’ange présente dans un linge, sont-elles une référence à l'évangile de Saint-Luc (la Présentation au Temple) [x]. Il n'existe que des fragments incomplets de ce type, mais il devait être de forme rectangulaire. Nous pensons qu'il servait plutôt de revêtement mural que de pavement.

 

8) Les lettrines.

 

Les carreaux n° 44 à 58 sont ornés de lettres gothiques (une lettre par carreau) (Pl. CLVIII, CLIX, CLX, CLXI, CLXII, CLXIII et CLXIV).Sur ces carreaux figurent les lettres suivantes : "B", "D", "E", "I", "N","H" (?), "O", "P", "S", "T", "U", "X". La lettre "D" est représentée dans des tons inversés : n°45 et 46 (Pl. CLVIII : b et c). Sur le carreau n°50 figure la lettre "N" ou la lettre "H" (incrustation abîmée) (Pl. CLX : b). La lettre "P" est dessinée à l'envers (carreau n°52 : Pl. CLXI : b). La lettre "S" (n°53 et 54) et la lettre "T" (n°55 et 56) sont représentées à l'endroit et à l'envers (Pl. CLXII et CLXIII).

 

Plusieurs formes de lettres ressemblent aux lettrines des manuscrits cisterciens des XIIe et XIIIe siècles [xi], et notamment à ceux de l'abbaye de Vauclair qui sont conservés à la Bibliothèque Municipale de Laon.

 

b. Comparaisons

 

Comparaisons techniques

 

Des comparaisons techniques concernant la composition de l'argile et de l'émail s'avèrent difficiles puisque nous ne possédons aucune donnée comparative à ce sujet. La seule analyse technique publiée est celle des carreaux-mosaïques de l'abbaye de Ligugé qui datent du VIIe siècle.

 

De plus, les carreaux du XIIIe siècle dans l'Aisne ont disparu ou sont inaccessibles. Cependant, en examinant des carreaux plus tardifs (fin XIVe, XVe et XVIe siècles) de cette région, on remarque que la fabrication est nettement moins soignée qu'à Vauclair : l'argile est grossière et mal mélangée. Les incrustations sont peu profondes et leur tracé est flou. La glaçure n'est pas appliquée de manière uniforme et des traînées plus épaisses apparaissent à la surface des carreaux.

 

Comparaisons iconographiques

 

Dans l'ouvrage d'E.Fleury [xii], qui comprend une importante documentation sur les pavements dans la région de l'Aisne, nous avons relevé quatre motifs identiques à ceux de Vauclair. Il s'agit des carreaux suivants :

- carreau n°1 (Pl. CXXI : a) décoré du motif héraldique le "bandé" : motif identique à Oulchy (Aisne) (Pl. CXC : a);

 

- carreau n°19 formant une rosace par assemblage et portant un décor végétal (Pl. CXXXIII) : motif identique dans la salle de la chapelle de l'évêché de Laon (Aisne) (Pl. CXC : b); un motif presqu'identique existait à l'église de Berry-au-Bac (Aisne) (Pl. CXCI : a);

 

- carreau n°26 orné d'un motif végétal (Pl. CXLIV) : motif identique à la cathédrale de Laon (Pl. CXCI : b); un carreau du même type a été retrouvé lors des fouilles de l'église Saint-Médard de Soissons, en 1955, mais ce pavement a été coulé sous une chape de ciment et nous n'avons pu l'examiner.

 

- carreau n°3l où figure un cavalier entre deux arcs de cercle (Pl. CXLIX) : type identique mais inversé, dans l'église de Berry-au-Bac (Pl. CXCII : a).

 

Fleury cite aussi un carreau identique à Vauclair et à Frossancourt (Aisne) (Pl. CXCII : b), mais aucun exemplaire de ce type n'a été retrouvé dans les fouilles de Vauclair.

 

Ces quelques motifs identiques tendent à indiquer une origine de fabrication commune dans les environs de Vauclair ou de Laon. Nous avons également relevé quelques carreaux dont les motifs, sinon identiques, du moins similaires à ceux de Vauclair, pourraient aussi indiquer un courant commun à cette région. Ainsi, des carreaux à inscription, provenant de la chapelle d'Haulzy (Aisne), sont décorés de fleurons presqu'identiques à ceux du carreau n°22 à Vauclair (Pl. CXCIII). Il est possible, que le dragon placé entre deux arcs de cercle (carreau n°9.) ait été inspiré de la rosace de Coucy-le-Château (Aisne) (Pl. CXXVI et CXCIV : a). Une disposition semblable se retrouve aussi sur un carreau provenant de Saint-Médard de Soissons (Pl. CXCIV : b). La réunion de quatre thèmes héraldiques des carreaux n°7 et n°8 existe sur des carreaux provenant de l'église de Berry-au-Bac et de Laon (Pl. CXXV et Pl. CXCV : a et b). On peut aussi faire un rapprochement entre le monstre figuré sur le carreau n°36 et un carreau provenant de la chapelle de l'évêché de Laon (Pl. CLIII et Pl. CXCV : c).

 

La majorité des thèmes décoratifs rencontrés à Vauclair sont des thèmes largement répandus dans l'ornementation des pavements de la même époque en France, en Angleterre et en Belgique. L'état de la question au chapitre III, l'indique clairement (cfr supra p.60-71). Toutefois, quelques motifs sont plus rares, tels les motifs religieux et architecturaux et les lettrines.

 

En ce qui concerne les motifs religieux, leur rareté s'explique aisément (cfr supra p.100-101). Les seules représentations d'anges que nous connaissons en France, sont celles de la chapelle du XIIIe siècle du château de Baye (Aisne) [xiii]. On y a retrouvé trois carreaux portant des sujets religieux : un évêque assis sur un trône, un ange thuriféraire et un ange qui tient à la main un encensoir (Pl. CXCVI : a).

 

Les motifs architecturaux sont également plus rares (carreaux n°32 à 35 : Pl. CL, CLI et CLII). On ne les retrouve, qu'en Angleterre, au XVe siècle, dans les carreaux de l'école de Malvern (cfr supra p.83-84), mais le style en est fort différent et les motifs sont beaucoup plus complexes (Pl. XCI et XCII) .

 

La présentation de personnages dans un décor architectural, se manifeste en Angleterre au XIIIe siècle, notamment dans les carreaux de Chertsey da la série de Tristan (cfr supra p.65-66), (Pl. XLVIII, XLIX et L).

 

Enfin, les seuls exemplaires de représentation de lettrines, où chaque lettre figure isolément sur un carreau comme à Vauclair, se trouvent en Angleterre (carreaux n°44 à 58 : Pl. CLVIII, CLIX, CLX, CLXI, CLXII, CLXIII et CLXIV). Un alphabet entier, du XIIIe siècle, a été découvert à l'abbaye de Chertsay [xiv] (Pl. CXCVII). Il y en avait également à la même époque, à l'église de Fladbury (Worcestershire) et à Oxford [xv] (Pl. CXCVI : b et c). Le pavement circulaire de la chapelle du roi de Clarendon Palace comporte aussi des inscriptions dont chaque lettre est gravée sur un seul carreau. (Pl. LIV)

 

D'un point de vue stylistique, les carreaux de Vauclair s'apparentent aux exemples français et anglais du XIIIe siècle. Cela se marque assez nettement dans les thèmes d'ornementation courants comme les figures chimériques ou les motifs végétaux. A titre d'exemple, on peut mettre en parallèle le dragon du carreau n°9 (Pl. CXXVI) et le même motif à 1'hôpital de Tonnerre (Pl. XLII : a) ou à Saint-Omer (Pl. XL et XLI). Les fleurons de feuillage du carreau n°22 (Pl. CXL) sont rendus dans un style proche des entrelacs des paiements de Westminster (Pl. LIX : a) ou du palais de Clarendon (Pl. LV et LVII).

 

c. Datation

 

La plupart des motifs que nous venons de citer, se trouvent sur des carreaux appartenant au pavement du XIIIe siècle de la porterie de Vauclair. Ce sont donc des arguments proprement archéologiques qui nous donnent une certitude à ce sujet.

 

L'examen attentif des motifs décoratifs corrobore la datation archéologique; mais une datation fondée uniquement sur une étude de thèmes décoratifs nous semble une méthode hasardeuse. Certains motifs ont été en usage pendant plusieurs siècles.

 

Par contre, le style et la technique de ces carreaux les situent assez nettement dans la première moitié du XIIIe,

 

 

3. Le blason des SARREBRUCHE

 

Il est assez rare de trouver un carreau orné de l'emblème héraldique d'une famille, que l'on puisse attribuer et dater, avec certitude. C'est pourquoi, nous consacrons une note spéciale à ce carreau qui figure dans l'inventaire sous le n°59 (Pl. CLXV).

 

Ayant soumis l'étude de ce blason à M. B.Ancien, président de la Société Historique de Soissons, voici l'étude qu'il en a faite :

 

"Armes des Sarrebruche : d'azur semé de croix recroisettées au pied fiché d'or, au lion d'argent couronné d'or brochant sur le tout.

 

Ce pavé blasonné s'explique à Vauclair par les intérêts voisins de cette famille qui, depuis 1414 possédait les comtés de Braine et de Reucy, la baronnie de Pontarcy, les seigneureries de Neufchâtel-sur-Aisne, de Pontavert etc ...

 

Robert de Sarrebruche, damoiseau de Commercy épouse l'héritière de ces lieux, Jeanne de Reucy, en 1414. Ce fut un seigneur turbulent, on le considère comme un "écorcheur", un hésitant entre les causes du dauphin et celles du parti. anglo-bourguignon. Il prit part à toutes les chevauchées de son temps, mourut en 1464 et fut inhumé à Cormmercy.

 

Ce qui intéresse c'est qu'il s'est inséré, dans la chironique de Jeanne d'Arc : à cause de ses propriétés barroises, il avait été appelé à signer un contrat do protection avec les habitants de Donrémy en 1423, ce qui ne l'empêcha pas d'avoir ensuite des démêlés avec les mêmes habitants en 1427. Or, dans ces deux actes, le père de la glorieuse pucelle, figurait comme garant des notables de Domrémy.

 

Vint le sacre de Charles VII, Robert de Sarrebruche y tint l'épée de connétable (selon Hanotaux) puis, au pied de l'autel où l'héroïne se tenait avec son étendard, il et l'honneur d'être armé chevalier des propres mains du roi. Et Hanotaux (notre compatriote de Pargnan) de s'exclamer : "Le sire de Commercy avait-il gardé le souvenir de l'humble paysan garant du contrat de 1423, dont la fille lui valait l'honneur d'une si belle journée? " [xvi]

Robert laissa deux fils :

-Ame de Sarrebruche comte de Fraine et seigneur de Commercy, qui mourra en 1469 et sera inhumé à Saint-Yved de Braine.

-Jean, comte de Roucy, qui prendra le nom et les armes de Cette terre. 

 

Comparaisons

 

Les motifs héraldiques, fréquents aux XVe et XVIe siècles, ont la plupart du temps, perdu leur signification -première et sont passés dans l'ornementation courante.

 

D'après Fleury [xvii], dans le département de l'Aisne, les carreaux furent très rarement marqués aux armes personnelles d'une famille appartenant à ce département. On peut cependant relever quelques emblèmes héraldiques attribués et datés dans la collection, des carreaux du musée de Troyes [xviii] :

- carreau du XVe siècle portant les armes de la famille Raguier ("d'argent au sautoir de sable cantonné de quatre perdrix au naturel") (Pl. CXCVIII : a)

 

- carreau du XVIe siècle portant les armes de la maison de Foissy ("d'azur au cygne d'argent, becqué de gueules et marbré de sable") (Pl. CXCVIII : b)

 

- carreau du XVIe siècle portant les armes de l'évèque Odard Hennequin, qui occupa le siège épiscopal de Troyes de 1527 à 1544 ("vairé d'or et d'azur, au chef de gueules chargé d'un lion léopardé d'argent"). Ici le lion est représenté passant. (Pl. CXCVIII : c)

 

Datation

 

Robert de Sarrebruche est mort en 1464 ; son fils Ame décède en 1469. Il est donc difficile de préciser auquel des deux le carreau doit être attribué. Mais de toute manière, ce document doit être situé au milieu du XVe siècle.

 

Ce carreau offre une base de comparaison avec les carreaux du XIIIe siècle. La technique et la décoration révèle une nette décadence : tracé imprécis, gravure floue, etc.

 

 

4. Carreaux plus tardifs (XIVe - XVe siècles)

 

Quelques carreaux émaillés postérieurs à ceux du XIIIe siècle ont été découverts à Vauclair (carreaux n°60 à 72 : Pl. CLXVI, CLXVII, CLXVIII, CLXIX, CLXX, CLXXI, CLXXII et CLXXIII). La plupart sont  fort abîmés et il n'en subsiste parfois que des fragments. Ces carreaux diffèrent de ceux du XIIIe siècle par la technique et le décor. Ils sont tous façonnés dans une argile rouge, mais on n'observe plus ici la superposition d'une couche supérieure d'argile plus fine qui était bien marquée sur les carreaux du XIIIe siècle (cfr supra p.103). Le décor apparaît en rouge sur fond blanc et pour ce faire, l'argile rouge, a été masquée par une mince couche d'engobe blanc. Par contre, les carreaux du XIIIe siècle qui présentaient un décor rouge sur fond blanc étaient entièrement façonnés dans une argile blanche.

 

Les dessins imprécis et confus de ces carreaux contrastent avec le soin et la minutie des décors du XIIIe siècle.

 

Le motif le plus fréquemment rencontré est une combinaison de feuillages naturalistes et d'entrelacs géométriques. Parmi les motifs, nous avons aussi relevé un arlequin (n°68 : Pl. CLXXII : a), un chien (n°70 : Pl. CLXXIII : a), un aigle (n°67 : Pl. CLXXI : b) et la tête d'un ange (?) (n°69 : Pl. CLXXII : b).

 

Nous avons pu reconstituer quelques motifs par comparaison avec des exemples du département de l'Aisne :

 

- le carreau n°63 semble être orné d'un même motif qu'un carreau provenant des environs de Soissons (collection de M. B.Ancien) (Pl. CLXVIII et CXCIX : a).

 

- Le carreau triangulaire n°64 est signalé dans l'ouvrage de Fleury, sur un carreau de forme carrée provenant, d'après cet auteur, de Vauclair et de Berry-au-Bac (Aisne) (Pl. CLXIX et CXCIX : b).

 

- le fragment de carreau n°70 (P1. CLXXIII : a) représente un chien; peut-être s'inscrit-il dans une scène de vénerie, car nous avons relevé des similitudes avec un carreau français cité par H. de Morant [xix], de provenance indéterminée (Pl.CC : a)

 

- l'aigle du carreau n°67 (Pl. CLXXI : b) offre des nettes ressemblances avec un carreau conservé au musée de Laon (Pl. CC : b)

 

- le bouffon du carreau n°68 (Pl. CLXXII : a) était un motif très répandu; citons par exemple le carreau du musée de Laon (Pl. CCI : a), ou celui de l'église de Chapelle-Monthodon (Aisne) (Pl. CCI : b).

 

Signalons aussi qu'un fragment de carreau à décor gravé a été trouvé à Vauclair. Des traces d'émail vert foncé subsistant dans le creux du motif, indiquent qu'il était émaillé (Pl. CLXXIII : b).

 

 

B. LES PAVEMENTS NON EMAILLES

 

Outre les pavements décorés, les fouilles on révélé à Vauclair de multiples vestiges de carrelages d'époques diverses.

 

1. Carrelages de carreaux (Pl. CLXXVIII)

 

La plupart se présentent avec les caractéristiques suivantes. Ils sont composés :

 

-de carreaux non émaillés de forme. carrée (12 x 12 x 3 cm)

 

-de carreaux hexagonaux non émaillés (7 x 7 x 3 cm)

 

-de carreaux hexagonaux (7 x 7 x 3 cm) disposés en bandes longitudinales d'une largeur de sept hexagones, séparés par une rangée de carreaux carrés (12 x 12 x 3 cm).

 

Ces carreaux sont façonnés assez grossièrement dans une argile rose-beige. Les profils, bien tranchés, sont coupés en talus. De tels carrelages ont été retrouvés notamment dans l'hôtellerie et dans le bâtiment des moines. Il en existe depuis le XIIIe jusqu'au XVIIIe siècle.

 

2. Carrelages de tuiles (Pl. CLXXIX)

 

On a pu relever plusieurs exemples de l'utilisation de la tuile comme élément de carrelage. Ces tuiles sont du type à ergot unique qui a été préalablement brisé pour supprimer la saillie. Elles mesurent environ 33 x 19 x 2 cm. Généralement, elles sont disposées de la manière suivante : des doubles rangées de tuiles placées longitudinalement, sont interrompues par une rangée simple de tuiles disposées perpendiculairement. Ces carrelages, découverts à l'hôtellerie, datent probablement du XIIIe siècle.

 

3. Le foyer monastique du XIIe siècle  (PLAN D)

 

En 1974, les fouilles dans la ruelle des Convers (PLAN A, 13) ont mis au jour les fondations du bâtiment des Frères Convers du Premier manastère du XIIe siècle. Au milieu de ce bâtiment, à égale distance des deux murs est et ouest, un foyer assez important a été découvert. Il. comporte trois niveaux de types différents que nous décrivons brièvement. [xx]

 

Le foyer se  présente comme une cavité rectangulaire mesurant 3,75 m de longueur et 1,75 m de large. Une bordure, faite de gros moellons en calcaire lutétien inférieur, entoure cette cavité. Les fouilles ont montré que ce foyer a connu, à l'intérieur de cette cavité, trois niveaux de feux successifs, établis l'un sur l'autre (Pl. CLXXX).

 

Niveau récent (3 sur les photos) (Pl. CLXXXII)

 

Le niveau le plus récent est fait de petites tuiles (28 x 15 x 1,5 cm) placées sur après enlèvement des ergots. Ces tuiles formaient des motifs géométriques triangulaires. C'est le niveau découvert en place, au moment de la mise au jour de ce foyer.

 

Niveau intermédiaire (2 sur les photos) (Pl. CLXXXI : b)

 

Sous cette surface de tuiles, les recherches ont révélé un second niveau faits de gros carreaux en terre cuite rouge, placés horizontalement. Les carreaux mesurent 18 x 18 x 3 cm.

 

Niveau initial (1 sur les photos) (Pl. CLXXXI : a)

 

Sous le niveau de carreaux, on a pu retrouver - entièrement intact et en place - le niveau de feu initial de ce foyer central. Il est fait de grandes dalles de grès dont la surface et les côtés n'ont pas été taillés. Ces dalles portent des traces fort visibles de feu.

 

4. Le foyer de l'hôtellerie  (PLAN E)  (Pl. CLXXXIII)

 

L'utilisation de la tuile sur champ comme élément de carrelage se rencontre fréquemment à Vauclair. Un pavement du même type que le niveau 3 du foyer monastique a été retrouvé dans l'hôtellerie. Il s'agit d'un foyer de cuisine, pavé de tuiles sur champ disposées de la même manière que dans le foyer monastique.

 

Suivant



[i] R. COURTOIS, Rapports annuels de campagnes de fouilles du « Groupe Sources + à l’abbaye de Vauclair (Aisne), 1970, 1971.

[ii] "Ut quid saltem sanctorum imagines non reverentur, quibus utique ipsum, quod pedibus conculcatur, scatet pavimentum saepe spuritur in ore angeli, saepe alicujus sanctorum facies calcibus tunditur transeuntium ; et si non sacris his imaginibus cur vel non parcitur pulchris coloribus ? cur decoras quod mox foedandum est ? cur depingis quod necesse est conculcari.?"

(SAINT BERNARD, "Apologia ad Guillelmum", Cap. XII, 28, P.L., CLXXXII, 915c - 916a. )

La traduction est du Père Anselme Dimier

[iii] "Auctoritate capituli generalis inhibetur ne de cetero fiant in Ordine... neque varietates pavimentorum…" (Chap. Gén. 1213, art. 1, dans MARTENE et DURAND, Thesaurus novus anecdotorum, t.IV, Paris, 1917, col. 1312.)

"Praecipitur ut omnis varietas pavimentorum de ecclesiis nostris infra sequens capitulum amoveatur. Ab eo tempore abbas in cujus domo illud emendatum non fuerit, ad capitulum generale hoc veniam petiturus." (Chap. Gén. 1218, art.4 dans MARTENE et DURAND, op. cit., col. 1322.) Défense reprise par le Chap. Gén. 1256, art. 25, ch. 4, dans le Libellus antiquarum definitionum, 1289-1316, dist. III, art. 1, 1892, p. 395.

[iv] Chap. Gén. 1205, art. 1, dans MARTENE et DURAND, 0p. cit., col. 1301.

[v] MARTENE et DURAND, op. cit., col. 1308.

[vi] Article 82 des statuts de Citeaux (M.A. DIMIER et J.PORCHER, L'art cistercien (La nuit des temps, XVI), La Pierre-qui-Vire, 1962, p. 329

[vii] .Nous tenons a remercier très vivement Mme Martinet, Bibliothécaire de Laon, pour nous avoir -permis d'utiliser ses intéressantes découvertes dans l'étude des manuscrits cisterciens.

[viii] E. AME, op. cit., t.I, p. 90.

L'abbaye de Foigny fut fondée en 1121, au diocèse de Laon.

[ix] Les numérotations des carreaux sont celles de l'inventaire auquel nous renvoyons pour la description technique.

[x] ST. LUC, II, 22-24.

[xi] M.A.DIMIER et J.PORCHER, op. cit., p. 320-329.

[xii] E.FLEURY, Etude sur le pavage émaillé dans le département de l'Aisne, Paris, 1855, passim.

[xiii] J.DE BAYE, Note sur des carreaux émaillés de la Champagne, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de France, XLVI, 5e série., t.IV, p. 215-223.

[xiv] L.HABERLY, op. cit., p. 28-29.

[xv] Idem, p. 25

[xvi] Nous remercions M. B.Ancien qui nous a permis d'utiliser ces renseignements inédits.

[xvii] E. FLEURY, op. cit., p. 26.

[xviii] L. LECLERT, op. cit., p. 56, 62 et 63

[xix] H.DE MORA , op. cit., p. 73.

[xx] R.COURTOIS, Rapports annuels des campagnes de fouille du "Groupe Sources" à l'abbaye de Vauclair (Aisne), 1974.