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Hommages au Père Courtois

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Messe des funérailles du Père René Courtois, S.J.

le samedi 5 mars 2005

en l’église Notre-Dame de la Visitation de Bruyères-et-Montbérault

                                                                                   

 

Lectures : 1er Livre des Rois, ch.19, 9-13 (révélation de Dieu à Elie)

Psaume 24 : Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme

Luc, ch.2, 22-38 (la Présentation de Jésus et le vieillard Syméon)

 

 

            1. Les trois vieux

 

            Les deux lectures de cette liturgie d’adieu mettent en scène deux vieux personnages : le prophète Elie que les sculptures de nos cathédrales présentent volontiers avec une longue barbe, et le vieillard Syméon qui attendait depuis longtemps au Temple la Délivrance d’Israël. Ajoutons y le troisième personnage, ce vieux compagnon dont la mémoire nous réunit aujourd’hui. Bien sûr, le Père René Courtois a été jeune, mais l’image qui nous revient de préférence ce matin est celle de l’homme campé dans la force de sa vieillesse au milieu des ruines de Vauclair.

            Elie est fatigué, désespéré même. Il est poursuivi par la méchante Jézabel. Il s’est enfui, réfugié dans une caverne. Pour lui donner du courage, le Seigneur va lui manifester sa présence. Mais non pas, comme on pourrait s’y attendre de la part de Dieu (ou plutôt, des images que nous nous faisons de Dieu), dans le fracas de la toute-puissance du tonnerre ou les tremblements d’une terre qui vacille devant l’infini. Dieu se dit à Elie dans le murmure d’une brise légère[1]. Douceur de Dieu qui touche l’homme à l’intime de son cœur sans rien briser de ce qui est en lui.

            Syméon a pris la mesure du temps : il vit d’une promesse : il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu la révélation de Dieu dans le Christ. Il attend donc patiemment cette manifestation, cette rencontre, l’Unique rencontre[2]. Ici encore, cette révélation ne se joue pas sur le registre de la puissance ou de la crainte, car celui qui s’approche est un petit enfant porté par ses parents qui viennent le racheter pour le prix de deux pigeons.

            On attendait Dieu, et ce fut le bruit d’une brise légère. On attendait Dieu, et ce fut un petit d’homme.

            Alors qu’Elie attendait dans sa caverne et Syméon dans le Temple, où se trouvait le Père Courtois ? Peut-être aux deux endroits à la fois. A Vauclair, nous pourrions imaginer les baraquements de ciment où vivait le Père comme sa grotte et les murs de l’abbaye comme le temple où il attendait la Lumière qui révèle. Même s’il connaissait des colères fracassantes, René Courtois savait que Dieu n’est pas dans les explosions du tonnerre. Dieu se cache plutôt dans le recueillement de l’homme qui tend l’oreille pour mieux percevoir la douceur qui habite son propre coeur et qu’il ne connaît même pas. Le Père aimait citer Saint Bernard, cette grande figure de Cîteaux et de Vauclair : « Si tu veux voir, écoute ! »[3] Pour Elie, comme pour Saint Bernard et pour le Père Courtois, Dieu est dans le bruit de la brise légère. Dieu est tellement humble qu’Il est humain, et voici qu’Il prend possession de son Temple comme un enfant, comme une lumière.

 

            2.   la passion de l’humain

 

            A partir du moment où Dieu se présente sous cette simplicité-là, l’homme de Dieu sait qu’Il ne trouvera pas son Seigneur en dehors de cette humanité même. Le Père Courtois était discret sur sa foi, si passionné pourtant de l’humanité de l’homme que l’on entendait dans cette attention de sa part « la voie de fin silence » de la  brise divine. On ne peut tout dire de la passion humaine de cet homme. Retenons au moins ces quatre figures d’humanité que sont la mémoire, l’éducation, l’amitié et la beauté.

            La mémoire n’est pas d’abord une faculté de performances où l’on connaît tout par coeur. Elle est plutôt la mesure du temps, l’accueil de l’histoire. Si René Courtois s’est battu pour que ne tombe pas dans l’oubli  la mort atroce des combattants du Chemin des Dames, s’il a voulu exhumer de la végétation et de la terre les traces des divers âges de l’abbaye, s’il a cherché sans cesse à étendre ses prodigieuses connaissances historiques, c’est qu’il voulait encore et toujours prendre mieux conscience de la densité de la vie des humains. L’homme, c’est quelqu’un ! Gardant dans sa mémoire l’épaisseur historique de l’humanité des hommes, l’homme de Dieu  accueille aussi, au cœur de cette humanité-là, la discrète présence de son Seigneur. « Si tu veux voir, écoute ».

            L’éducation est peut-être un trait moins connu du Père Courtois. Avant qu’il ne vienne en France, cette tâche représentait pourtant l’essentiel de son activité. René Courtois a beaucoup réfléchi et écrit sur cette œuvre fondamentalement humaine qui consiste à travailler pour que le garçon et la fille d’aujourd’hui deviennent l’homme et la femme de demain. Peut-être, après tout, cette tâche ressemble-t-elle à un travail de fouille puisqu’il s’agit de dégager minutieusement les contraintes, les peurs, les préjugés qui encombrent le jeune pour qu’émerge la pièce précieuse qu’il cachait au fond de lui. Cette tâche-là, les éducateurs le savent bien, touche au sacré.

            Après la mémoire et l’éducation, l’amitié est un autre trait, probablement le plus visible, en tout cas le plus large, de la personnalité du Père René Courtois. Tous ces liens tissés par les fouilles et la mise en valeur du patrimoine, par le musée et le jardin médicinal, par les confidences et les célébrations du ministère pastoral, cette liste impressionnante de noms cités au titre de la reconnaissance au seuil de cette célébration d’adieu, cette solitude habitée de tant de visites, de souvenirs, de projets et puis, les dernières semaines, cette chaîne qui se resserre autour du malade pour prendre soin de lui et faire circuler les nouvelles, toute cette prodigieuse humanité dans l’amitié, qui pourrait dire qu’elle est seulement humaine ? Peut-être est-il arrivé au Père Courtois de se voiler la face, comme Elie, en pensant à ces visages qui lui étaient si fidèles, si chers. N’est-ce pas parfois, en effet, la douce douceur de Dieu qui se livre dans les liens des humains ?

Pour évoquer, parmi tant d’autres, un  dernier trait du Père Courtois, il faudrait se taire, car la beauté appelle le silence de l’attente. « Si tu veux voir, écoute ». La beauté d’une colonne de pierre, d’une lumière d’aurore, d’un poème, la beauté d’un homme, d’une femme, d’un enfant, la beauté d’un geste, d’un style, d’une photo, ici encore, est-ce affaire seulement humaine ? En cherchant à faire voir, lire et entendre la beauté, le Père Courtois faisait vraiment œuvre de prêtre.

 

3. l’attente de Pâques

 

En ayant laissé advenir Dieu aussi simplement que Lui-même a voulu venir – comme un enfant-, le Père Courtois nous a donné une belle leçon d’humanité. Réciproquement, en se passionnant pour l’humain et en nous y entraînant, il nous a laissé deviner la foi qui l’habitait.

Il se situait lui-même dans la période de l’Avent, un peu à la manière de Syméon qui attendait l’Unique rencontre. « Nul moment de l’année ne me touche autant que l’Avent » écrit-il. Ou encore « Temps d’Avent qui est malgré tout certitude obstinée d’une Présence qui approche »[4].

René Courtois aimait l’Avent ; pourtant il est mort en Carême. Mais le Carême est une autre attente.

La vie du Père Courtois nous a fait pressentir le Dieu qui s’approche dans la brise légère de notre humanité, aussi simple qu’un petit enfant présenté au Temple. Mais si l’Avent restera, pour nous comme pour le Père, ce temps où nous laissons Dieu advenir en notre humanité, le Carême est ce temps où nous nous laissons emporter dans la Pâque de Celui qui vient. C’est le temps du lâcher prise. Alors que l’Avent nous apprend à voir Dieu passer en nous, le Carême nous dépouille pour nous faire passer en Dieu. Telle est la résurrection du Christ. Telle est, pour finir, l’espérance du Père René Courtois :

 

« Informe chaos   

de moellons bien rugueux

où nous cheminons

aujourd’hui d’un pas

fort boiteux

 

La mort, un jour

nous fera déboucher,

sous l’arc parfait,

dans l’introuvable clairière. »[5]

 

 

Xavier Dijon, S.J.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mai 2005 :

 

Les Jésuites de France rendent hommage au Père Courtois sur leur site internet

Deux pages lui sont consacrées sur leur site (voir page renseignements pratiques et liens),

 Le texte de ces pages est disponible ici sous format pdf.

 

 

 

Pour ceux qui souhaitent réentendre la voix du père Courtois, le Blog de l’âne vert a repris un enregistrement de 2003 où le père commente un texte de René Char : voir la page de liens ICI.

 

 

 

 

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[1] Le Père Courtois reprend cette page biblique dans le recueil Vallis Clara,poèmes du père René Courtois, photographies de Lin Hai Yui Suko (2003) : Nul bruit dans l’aube,p.50.

 

[2] Le Père Courtois a évoqué la fête de la Présentation au Temple dans Vallis Clara, (op.cit) Chandeleur, p.32.

 

[3] Cfr Vallis Clara, p.9.

 

[4] Cfr Vallis Clara, p.31 et p.39.

 

[5] René Courtois, S.J.Espérance, in Vallis Clara, p.27.