La première église cistercienne (XIIe siècle)

de l'abbaye de Vauclair (Aisne) (suite)

 

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V. - INTERPRÉTATION

 

1. Le plan général.

 

Il ne fait pas de doute que les fondations découvertes sous les ruines de l'église du XIIIe siècle, et que nous venons de décrire, sont bien celles de la première église cistercienne construite à Vauclair, après 1134.  Voilà donc, enfin retrouvé, ce plan que Fleury chercha durant trente années (9)[i], et auquel Marcel Aubert attachait beaucoup d'importance.  La planche en montre clairement le tracé précis.  La plupart des murs et des angles importants ont été retrouvés en fondations, dans un excellent état du conservation (n.d.r. la brochure reprend une photo d'ensemble sous la fig.12).  Cette construction menée d'un seul jet, sans nulle césure ni remaniement, nous révèle un plan bernardin très pur.

 

Pour ses dimensions principales, nous pouvons relever les données suivantes :

Longueur totale, hors oeuvre : 53 mètres (sans le porche).

Largeur de la nef, hors oeuvre : 17 m 25 environ ; dans oeuvre : 14 mètres.

Largeur du transept, hors oeuvre : 25 m 05.

Largeur du presbyterium hors oeuvre : 8 m 75 ; dans oeuvre 5 mètres.

 

Il s'agit d'un plan claravallien de grande rigueur, avec le chevet plat si caractéristique, et un chœur très petit parfaitement adapté à la première liturgie cistercienne (fig. 17). La réaction contre les fastes liturgiques clunisiens y avait écarté la messe à plusieurs officiants.  Au XIIe siècle, aux jours de fêtes, la messe conventuelle cistercienne était célébrée avec un diacre et un sous-diacre.  Mais, tous les autres jours, le célébrant n'était assisté que d'un diacre. Les dimensions étroites du chœur de Vauclair I s'expliquent fort bien, à la lumière de des prescriptions de cette liturgie de Cîteaux (10)[ii].  Sur le transept s'ouvraient deux chapelles latérales, de chaque côté du chœur.  Elles n'ont que 2 mètres de large environ, c'est-à-dire qu'elles répondent exactement à leur destination précise : loger un petit autel roman destiné aux messes privées des moines-prêtres.  Aussi le chœur et le transept de Vauclair sont-ils une excellente illustration du caractère essentiellement fonctionnel de l'architecture cistercienne du XIIe siècle.

 

2.         Le chevet.

 

Si l'on compare les plans connus (avec certitude) des premières églises issues directement de Clairvaux, du vivant même de saint Bernard, le plan de Vauclair I apparaît comme l'un de ceux l'esprit bernardien s'est exprimé de la manière la plus radicale. Jamais peut-être cette architecture sévère, née « de la règle et de l'équerre » ne s'est réalisée avec une rigueur aussi totale.  Ainsi, par exemple, de tous les chevets cisterciens connus, celui de Vauclair I est-il sans doute l'un des plus effacés.  Sur l'alignement rectiligne du transept, il accuse à peine une saillie de 3 mètres.  En quelle église cistercienne la réaction anti-clunisienne s'est-elle exprimée aussi radicalement ?

S'il fallait se borner à des comparaisons locales, rien n'est plus révélateur que d'aligner côte à côte les chevets de deux églises construites à la même époque : celui de Bruyères-et-Montbérault, à quelques kilomètres de Vauclair, et celui que nos fouilles ont mis au jour à Vauclair.  D'un côté éclate la luxuriance d'un art roman riche et complexe, de l'autre la nudité angulaire d'une pierre fruste (fig. 19 et 20).

La découverte de Vauclair I rappelle, une fois de plus, combien le sévère art cistercien, ce travail de maçon plus que d'architecte et d'artiste, dans sa beauté froide née de la nécessité sonne le glas de tout un univers mental et culturel (11)[iii].  La comparaison entre Bruyères et Vauclair I montre combien il serait important d'étudier de manière rigoureuse l'influence du premier art cistercien dans les régions où il s'implanta.  Pareille entreprise se heurte évidemment à des problèmes de datation, souvent très malaisés sinon impossibles à résoudre, au moins dans l'état actuel de notre connaissance des sources écrites.

 

            3. La nef.

Comme le montre bien le plan découvert, la nef de Vauclair I s'allonge sur neuf travées. Des piles rectangulaires, assez massives, la séparent des collatéraux. Sur le plan, l'étroitesse de ses dimensions accentue une impression d'allongement qu'on retrouve également dans l'église cistercienne de Fountains, en Grande-Bretagne.  Est-ce une coïncidence fortuite ?  Fountains accueillit le même abbé Henri Murdac qui présida aux débuts de Vauclair.  Ne vaut-il pas mieux chercher dans des raisons pratiques l'explication de cette disposition allongée de la nef ? Fermées au public, les églises cisterciennes sont uniquement réservées en leur intégralité à la communauté monastique.  N'est-ce pas, dès lors, le nombre élevé de moines et surtout de frères convers, ces derniers occupant toute la partie ouest de la nef, qui explique cet allongement particulier ?

 

Entrée et porche.

 

Comme nous l'avons souligné dans la partie descriptive, le mur de façade de l'église de Vauclair I est nettement plus large que les autres murs de l'édifice.  Alors que les murs de la nef mesurent environ 1 m 50 de large, en fondations, le mur d'entrée accuse une largeur de plus de 2 m 50.  Cette épaisse façade devait posséder une sobre décoration.  En effet, les fouilles ont mis au jour un sommet de gable utilisé en réemploi dans les fondations de l'église du XIIIe siècle.  Il est plus que probable qu'il

provient     de l'église de Vauclair I. Par ailleurs, cette façade était certainement précédée d'un petit porche, comme beaucoup d'églises cisterciennes du XIIIe siècle.  En effet, les fouilles ont révélé un mur parallèle à la façade, et des sépultures situées dans l'espace compris entre ce mur et la façade proprement dite (12)[iv].  Ajoutons que ce porche devait se réduire probablement à une toiture oblique accrochée à la façade.  De fait, les faibles fondations du mur découvert ne pouvaient supporter une charge considérable.  A cause de la grande rigueur qui présida aux sépultures à l'intérieur même des églises cisterciennes (au moins durant le XIIIe siècle), on réserva l'emplacement du porche pour les inhumations de notables bienfaiteurs.  Ainsi, à Cîteaux, les dues de Bourgogne sont inhumés à cet endroit (13)[v].

 

4. L'appareil des murs.

 

Soulignons que l'angle nord de la façade de l'église, de même que toutes les fondations du mur de façade, ont été découverts dans un état de conservation remarquable.  Les fouilles ont mis au jour également les fondations des contreforts qui épaulaient les cotés ouest et nord de cet angle.

Mais il y a plus dans ce secteur : sur une partie des fondations du mur nord de la nef, à partir de l'angle de la façade, les recherches ont abouti à la découverte d'une ou deux assises de gros moellons allongés, taillés d'une manière sommaire, et liés au mortier.  Ce sont les seuils vestiges de l'église où nous ayons découvert l'usage du mortier.  Il s'agit certainement des premières assises visibles en élévation, au-dessus des fondations caractérisées par leur appareil si particulier, que nous avons longuement décrit plus haut.  Si limitée soit-elle, cette découverte est importante.  Elle suffit à nous donner une idée de l'appareil extérieur des murs de Vauclair I. A la rigueur des tracés rectilignes, ce calcaire grossier et ridé, aux aspérités saillantes, ajoutait certainement un climat de robuste austérité.  Nos goûts actuels eussent incontestablement aimé cette église et son appareil.

Mais la découverte de cette première assise en élévation nous fournit une autre indication : le peu d'importance accordée aux ressauts de fondations.  Ils ne semblent guère mesurer plus de 15 à 20 cm de largeur de chaque côté des murs.  Ces premières églises cisterciennes semblent surgir du sol même à partir de fondations qui sont, en réalité, des murs commencés tels quels dans le sol, et à partir de profondeurs bien impressionnantes.  Décidément, cette architecture répugne aux facilités et aux astuces du faux-semblant.

 

5. Sacristie et Armarium.

 

Le plan général des fondations découvertes nous révèle aussi l'existence d'une sacristie, sur le côté sud du transept.  L'emplacement est traditionnel dans le plan cistercien du XIIe siècle.  Il n'est pas sans intérêt de remarquer l'exiguïté de cette annexe de l'église.  Un lecteur non prévenu peut en être surpris.  Aussi faut-il rappeler qu'au XIIe siècle, la liturgie n'utilisait qu'une couleur unique pour les vêtements liturgiques et qu'au surplus ils étaient disposés sur l'autel, avant la célébration.  Rappelons aussi que la messe cistercienne était habituellement célébrée par un seul officiant (14)[vi].

Dans le prolongement de la sacristie, en direction du cloître, devait se trouver la bibliothèque, originellement appelée armarium.  En réalité au XIIe siècle, elle se réduisait souvent à une niche faisant office d'armoire et qui était creusée dans le mur.

 

6. Élévation et couverture.

 

D'un sanctuaire entièrement disparu, et dont nos recherches ont restitué le plan précis, nous serait-il possible de chercher le maximum de certitudes quant à l'élévation et au système de couverture ? Entreprise aussi délicate que nécessaire, et qui nous fait atteindre les limites de la recherche archéologique proprement dite.  Une élémentaire probité oblige toujours à bien délimiter le moment où l'on abandonne le sol ferme des preuves assurées pour s'avancer sur le terrain mouvant des nécessaires interrogations et des hypothèses plausibles.  Avec quelle pertinence, H. Focillon a-t-il pu écrire : « On affaiblit les études historiques, et particulièrement les nôtres, en les parant d'un faux air de facilité » (15)[vii].  Remarque qui vaut singulièrement pour la recherche archéologique médiévale ! Apparemment, quoi de plus simple à lire qu'un plan ? Et pourtant que de méprises possibles ! Sans doute, certains édifices possèdent, plus que d'autres, une élévation et une couverture qu'un plan « par terre » (16)[viii] révèle plus aisément.  Ainsi le plan basilical.  L'archéologue, Pourtant, devrait toujours s'inspirer des sages mises en garde d'un maître éminent : « Certes le plan au sol contribue à définir le visage d'une église ; mais il n'y suffit pas ; les archéologues parfois s'y laissent prendre ; des parentés arbitraires sont proposées entre des constructions fort distantes les unes des autres sous prétexte quelles répondent au même plan... Le tracé au sol ne préjuge ni du mode de couverture, charpente apparente ou voûtes, ni de l'élévation relative de la nef et des collatéraux, ni de la distribution de l'éclairage » (17)[ix].

 

Si rigide qu'elle paraisse, et découlant si fortement d'un même esprit, l'architecture cistercienne, même à ses origines, s'est exprimée toutefois avec une liberté plus incontestable et des formulations plus variées qu'on ne l'avait communément imaginé.  Fille de Clairvaux comme Fontenay et Vauclair, et construite à la même époque, l'église de Fountains, en Grande-Bretagne, n'en posséda pas moins un plafond en bois au lieu d'une voûte.  Celle d'Eberbach, autre fille de Clairvaux, au plan allongé très proche de celui de Vauclair, adopta un système de couverture avec voûtes d'arêtes très différent de celui de Fontenay.  Et les voûtes en berceau des collatéraux de Fontenay ne sont pas celles en quart de cercle du Thoronet ou de Léoncel.  On n'en finirait pas de multiplier les exemples qui nous mettent en garde contre les généralisations abusives.  Aussi, en l'absence de sources historiques sûres et critiquées, faut-il savoir renoncer aux certitudes abusives.  Mais ce refus même n'est qu'une volonté têtue de pousser le plus loin possible l'utilisation honnête des données découvertes.  Ainsi, toutes précautions prises, et en réaffirmant le caractère interrogatif de nos réflexions, nous croyons utile d'inviter le lecteur compétent à étudier avec nous le plan de Vauclair pour en tirer le plus de données possibles quant à l'élévation de cet édifice disparu.

Sans doute, nous tenons à le redire, un plan au sol ne préjugera-t-il pas absolument du système de couverture.  Il n'en reste pas moins vrai, comme Viollet-Le-Duc l'a fort opportunément rappelé, qu'une loi fondamentale commande les tracés de toute l'architecture médiévale : c'est la chose portée qui commande la forme de la chose qui porte (18)[x].  Aussi l'analyse des supports est-elle capitale et, comme leurs fondations ont été découvertes, à Vauclair, en parfait état de conservation, il nous sera possible de les interroger sans trop de difficultés.

 

a) Analyse des supports

 

L'église de Vauclair 1 compte 9 travées, délimitées par 9 piles, dont nous avons découvert les fondations.  Remarquons d'emblée que, pour chaque rangée, la première pile, à l'angle du transept et de la nef, est plus importante que les suivantes.  Ses fondations forment un massif en blocage de 2 m 70 de long sur 2 m de large, alors que toutes les piles suivantes ont des fondations qui mesurent environ 2 m 20 de long sur 1 m 70 de large.  Nous reviendrons tout à l'heure sur la signification de cette différence.  Mais, pour toutes les piles, la partie descriptive de notre étude a souligné l'impressionnante profondeur des fondations et l'importance du système de chaînage qui les relient, dans le sens longitudinal de la nef.  Il semble peu probable qu'un simple plafond de bois ait nécessité des soutiens dont les fondations sont aussi imposantes.  Ne s'agit-il pas dans le cas de Vauclair I du type de support décrit par Marcel Aubert : « Dans les églises cisterciennes les plus simples, les piles qui portent les grandes arcades entre la nef et les collatéraux ne sont que des sections de murs, de plan rectangulaire, munies d'une imposte sur laquelle retombent les grandes arcades » (19)[xi].

 

b) Les supports du transept.

 

Mais il y a plus. Un autre élément qui peut nous offrir une meilleure perspective de solution, c'est l'étude attentive des supports du transept.

1)    Tout observateur un peu compétent ne peut manquer d'être frappé, à la lecture du plan, par l'importance des murs de refend qui séparent les deux chapelles adjacentes au chœur.  L'épaisseur de leurs fondations et leur profondeur sont identiques aux murs mêmes de l'église.  Comment expliquer l'importance de ces fondations, sinon par un rôle de support que ces murs exerçaient en accueillant à leur extrémité ouest la poussée d'une voûte surplombant le transept ? On remarquera, dans cette perspective, comment ces murs de refend sont alignés exactement en face des murs de la nef.

2)    Plus significative encore apparaît l'observation attentive de l'extrémité ouest des murs parallèles aux murs de refend, dont nous venons de parler, c'est-à-dire des murs qui délimitent le sanctuaire proprement dit (presbyterium) et le séparent des chapelles adjacentes (murs 325 et 422 sur le plan général, fig. 14).

Deux singularités frappent d'emblée dans le tracé des fondations : a) un élargissement manifeste et régulier de l'extrémité de chacun de ces murs, en direction de la chapelle adjacente ; b) le rétrécissement à angle droit que l'on retrouve d'une manière parallèle à l'extrémité ouest de chacun de ces murs, en direction du transept.  De quoi peut-il s'agir ?

a) Il nous semble évident que l'élargissement de l'extrémité ouest de ces murs leur confère un caractère de support renforcé qui, une fois de plus, serait parfaitement inutile dans une église couverte d'une simple charpente de bois. Et ce rôle de support accru apparaît d'autant plus significatif que la première pile de la nef, à l'angle du transept (C'est-à-dire la pile qui se trouve vis-à-vis de ce renforcement dont nous venons de parler), présente elle aussi, nous l'avons vu, des fondations renforcées et différentes des autres piles.  On se trouve manifestement déjà en présence du principe des quatre piles majeures, à la croisée du transept, qui vont devenir un élément important-de l'art gothique.  Dans l'édifice qui nous concerne, comment expliquer ce renforcement intentionnel des quatre éléments d'angle de la croisée du transept, sinon comme support de la poussée accrue d'une voûte en pierre ?

b) D'ailleurs, la seconde singularité que nous avions relevée vient nous offrir un argument supplémentaire.  Nous voulons parler du rétrécissement caractéristique de chacune des extrémités ouest de ce mur renforcé.  Comment l'interpréter sinon comme fondations d'un pilastre ou d'une colonne engagée ? Non seulement cette disposition architecturale n'aurait aucune signification dans un transept à couverture en bois, mais elle se révèle manifestement comme le support d'un arc formeret dont l'autre extrémité prendrait appui sur un élément parallèle adossé à chacune des deux piles renforcées de la nef.

c) Une découverte fort intéressante, pour le problème qui nous occupe de Vauclair II (XIIIe siècle). Nous en donnons la photo et le profil (fig. 13).  Il s'agit incontestablement d'une colonne engagée assez importante et taillée avec soin.  Son profil est plus évolué que ceux de Fontenay et ressemble à un autre profil découvert à Morimond, qui date lui aussi du XIIe siècle. Elle provient certainement de l'église de Vauclair I et il nous paraît devoir la situer comme un élément des colonnes engagées qui se trouvaient à la croisée du transept, au-dessus des rétrécissements observés en fondations et dont nous venons de parler. L'élégance du profil nous laisse deviner quel chef-d'œuvre les moines de Vauclair ont résolument démonté pour y substituer l'église gothique de Vauclair II.

 

d) Les collatéraux.

 

De nombreux débris de colonnettes engagées, trouvés en réemploi dans les fondations de l'église de Vauclair II, nous laissent penser qu'ils provenaient des collatéraux et que, là aussi, nous pouvons supposer un voûtement en pierre. Mais le procédé utilisé était-il fidèle à une tradition carolingienne fortement ancrée dans le Laonnais (20)[xii], celle des arcs diaphragmes si caractéristiques des églises du XIIe siècle dans cette région ?  Il est impossible de se faire une certitude, dans ce domaine.

 

Conclusion

 

Au terme de cette étude attentive des supports, il nous paraît raisonnable de penser que la première église cistercienne de Vauclair était couverte d'une voûte de pierre.  On retrouverait de la sorte le procédé de couverture de Fontenay, c'est-à-dire une voûte en berceau de la nef épaulée par un berceau transversal à la croisée du transept.

Ajoutons encore, pour compléter notre investigation, que les fouilles ont mis au jour, dans les fondations de Vauclair II, de nombreux réemplois de pierres taillées avec soin et recouvertes d'enduit clair.  Elles proviennent certainement de Vauclair I. Certaines présentent des exemples suggestifs et bien conservés d'un procédé caractéristique des premières églises cisterciennes du XIIe siècle : les pierres à parement sont couvertes d'un enduit blanc ou gris sur lequel on trouve les faux joints peints en couleur jaune ou ocre.  D'autres offrent des motifs en losange.

 

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[i] (9) « Quelque longues et attentives qu'aient été mes recherches de trente années, je n'ai pu me procurer un plan de l'abbaye de Vauclair ou de son église, ni renseignements suffisants pour constituer ce plan ». (Edouard FLEURY, Antiquités et monuments du département de l'Aisne, Paris et Laon, 1877-1882, 4 vol. gr. in-4°, t. IV, p. 39).

[ii] (10) Afin de rendre cette étude accessible à un public cultivé qui ne constitue pas nécessairement une chapelle d'initiés, nous avons cherché, quand il se peut, à éliminer les termes techniques incompréhensibles pour le grand public.  Mais un effort de clarté ne doit pas conduire à l'imprécision.  Aussi, pour prévenir toute équivoque, voulons-nous préciser ici que nous emploierons le terme « chœur » pour la partie de l'église que les érudits nommant au sens strict : « le sanctuaire », ou encore « le presbyterium ». « Au sens strict, on appelle « sanctuaire » la partie de l'église où se trouve le maître-autel et où évoluent les ministres de la messe, tandis que le chœur situé en avant ou en arrière, et meublé de stalles de chaque côté, est le lieu où se chante I'office des différentes heures » (DE' VOGÜE et NEUFVILLE, Glossaire de termes techniques, Zodiaque, 1965, p. 124).

[iii] (11) Rien n'est plus relatif que les modes et les engouements pour les styles.  A notre époque, où la sobre nudité de l'art cistercien suscite une vive admiration, il n'est pas sans intérêt de rappeler que l'art cistercien coïncide avec la disparition de l'iconographie romane et qu'il n'est pas impossible d'y voir une relation de cause à effet.  D'aucuns, aujourd'hui, semblent le regretter : « Il ne sied pas de se leurrer dans la distorsion nouvelle qui écartèle à partir de 1135-1140 la création plastique, c'est bien l'éclatante cohérence du milieu roman qui s'effondre, avec sa combinaison instinctivement ajustée des masses et des épaulements, de l'élément sculpté qui s'y vient accrocher comme un fruit sauvage, de la fresque dont la mandorle semble emprunter sa courbure au cul-de-four absidal pour enclore avec lui, dans un tourbillon de gloire, le Dieu des firmaments ». (R. OURSEL, Évocation de 1a chrétienté romane, Zodiaque, 1968, p. 374) .

Faut-il attribuer cette rigueur à un événement de l'histoire cistercienne auquel Raymond Oursel semble attacher une particulière importance : « En l'état actuel de la connaissance, l'adoption de ce plan (à chevet plat) se prévaut d'un terme a quo déjà évoqué à propos des miniatures de l'Ordre, et qui ne laisse pas d'entre troublant : celui du chapitre général de 1134, qui, tenu au lendemain même de la mort d'Étienne Harding, eut à débattre des institutions cisterciennes et à en spécifier l'esprit ... Fruit du consentement indiscutable de l'unanimité des abbés, l'architecture cistercienne postérieure à 1134 codifie en quelque sorte l'ascétisme monumental, le dote en quelque sorte de la doctrine plastique qu'il se cherchait et lui imprime une vigueur et un élan tels que les destins de la civilisation romane de la pierre en sont bouleversée ». (R. OURSEL, Évocation de 1a chrétienté romane, Zodiaque, 1968, p. 370). Il semble, en réalité, que les choses évoluèrent progressivement et que les décisions du chapitre général, que le Père J. Canivez a groupées en 1134, soient à reporter vers 1152 ; en particulier le fameux statut litterae unius coloris fiant, et non depictae.  Mais l'orientation précise, imprimée à partir de saint Bernard, n'en demeure pas moins indiscutable.

[iv] (12) Une étude particulière sera consacrée uniquement aux sépultures découvertes dans les monastères de Vauclair. il s'agit d'un domaine auquel l'archéologie médiévale a jusqu'à présent, attaché fort peu d'importance.  On peut s'étonner de cet oubli quand on sait l'importance d'une sépulture dans la mentalité médiévale.  Comme les rites funéraires du moyen âge seraient mieux connus si les tombes recelaient des boucles mérovingiennes ou des poteries romaines !

[v] (13) « Dans les églises ne devaient être enterrés que les rois et les reines, les archevêques et les évêques ; telle était la règle formelle qu'édicta le Chapitre général de 1152 et rappela celui de 1180, règle si stricte, dans les premiers temps du moins, que les ducs de Bourgogne, fondateurs de Cîteaux, n'étaient pas enterrés dans l'église qu'ils avaient élevée, mais dans une chapelle fermée, sous le porche occidental, et que les Solly, fondateurs de Loroy (Cher), ne reçurent de sépulture que sous le porche de l'église... » (Marcel AUBERT, L'Architecture Cistercienne en France, seconde éd., Paris, 1947, t. 1, p. 330).

[vi] (14) L'Exordium Cistercii cum summa Cartae Caritatis dit : « Altarium linteamenta, ministrorum indumenta, sine serico sint preter stolam et manipulum. Casulae vero non nisi unicolor habeatur » (n° XXV).  A dater de 1123-1124. L'Exordium Cistercii disait déjà : « Confirmaverunt etiam ne retinent cruces aurcas seu argenteas, ... neque casulas nisi de fustaneo vel lino sine pallio auroque » (chap.  XVII). il est probable qu'on laissait de la sorte aux vêtements liturgiques leur couleur naturelle.  Faut-il rappeler, par ailleurs, que les différentes couleurs liturgiques n'ont été instituées que par Innocent III (entre 1198 et 1216) ?

[vii]  (15) Art d'Occident, t. 1, P. 8 (Livre de Poche).

[viii] (16) L. LEFRANçOIS-PILLION, Abbayes et cathédrales.  Paris, 1956, p. 15

[ix]  (17) R. CROZET, L'Art Roman., Paris, 1962, p.59.

[x]   (18) VIOLLET-LE-Duc, Dictionnaire raisonné d'architecture Française, t. 9, p. 214.

[xi]  (19) M. AUBERT, op. cit., t. 1, p. 269.

[xii] (20)   A Cerny-en-Laonnois, non loin de Vauclair, se trouvait, avant sa destruction durant la guerre de 1914-18, une église du XIIe siècle d'un grand !intérêt architectural. Outre certains chapiteaux, avec têtes humaines inscrites dans un décor de feuillage fort stylisé, l'une des caractéristiques de ce remarquable sanctuaire était l'utilisation des arcs-diaphragmes comme soutien du plafond de la nef et des collatéraux.