(première partie)
Dans cette série de trois articles, dont les deux suivants paraîtront dans nos prochains numéros, nous nous proposons d'aborder la question de savoir
si les avancées de la science ont affecté notre conception de l'autorité de Dieu dans l'ordre de la nature, si elles ont restreint le pouvoir que nous attribuons à Dieu au niveau de notre perception du monde.
Nous analyserons dans quelle mesure le développement de la culture scientifique nous a conduits à redéfinir la manière dont nous envisageons la frontière séparant le profane du sacré, le naturel du Divin. Plaçant cette question dans une perspective historique, constatons que les peuples de l'Antiquité - et en particulier le peuple Hébreu - voyaient généralement l'intervention divine comme ce qu'on pourrait appeler le principe de fonctionnement normal de la nature. Non seulement Dieu était créateur du monde, aux origines, mais encore Dieu soutenait à chaque instant sa création, et chaque phénomène revêtait un caractère qu'on pourrait qualifier de miraculeux - non dans le sens d'exceptionnel - mais dans le sens qu'il manifestait une intervention directe de Dieu dans le monde. Il en allait ainsi du mouvement des astres, de la succession du jour et de la nuit ou du cycle des saisons, des phénomènes météorologiques comme le vent, la pluie ou l'orage, et du cycle de la vie - naissance et mort, maladie et guérison; et assurément, nous devons constater que cette conception de la nature se retrouve dans les Écritures (Job 9 :7 ; Ps 135 :7). Toutefois, avec l'apparition de la science moderne, au tournant du 16e et du 17e siècles, la perspective commença progressivement à changer. Les premiers grands astronomes comme Copernic, Kepler et Galilée commencèrent à cerner avec davantage de précision la régularité et les lois internes gouvernant le comportement des corps célestes, tandis que le physicien Newton développait la théorie permettant de rapporter ces divers phénomènes à un corpus très restreint de lois théoriques. Peu à peu, l'intervention directe de Dieu pour garantir la cohérence du monde semblait de moins en moins requise; Dieu était, certes, toujours reconnu par la plupart des scientifiques comme Créateur; mais il était vu alors comme le Grand Horloger, celui qui avait mis le monde en place aux origines. Partant de ces conditions initiales, le monde pouvait alors suivre son cours de manière autonome, suivant ses lois internes; Dieu n'avait plus à intervenir à chaque instant dans sa création - d'autant que son travail initial ne pouvait, par définition, qu'être parfait. Au fil des siècles, ce schéma de pensée s'étendit quasiment à l'ensemble des disciplines de la connaissance. L'on découvrait progressivement les lois de la physique, de la chimie, de la biologie et de la génétique. Les derniers domaines reconnus encore comme appartenant au sacré, comme celui du vivant, apparaissaient obéir au même type de lois inflexibles que tout le reste de la nature. La science ne semblait plus laisser beaucoup de place pour le grand mystère que, naturellement, nous voyons dans la nature et dans le miracle de la vie. Il résulta de tout cela, au fil des siècles, l'apparition d'une défiance, et même d'une animosité de plus en plus grandes entre la science d'une part, et la foi chrétienne d'autre part. Même si cela n'est pas le thème central de notre propos il n'est sans doute pas inutile d'évoquer ici, pour fixer les idées, ce qu'on pourrait appeler les éléments objectifs du débat, à savoir les points sur lesquels Chrétiens et scientifiques ont cru devoir s'opposer eu égard à d'éventuelles contradictions relatives à des faits ou à des théories scientifiques qui contrediraient le message Biblique. Notons au passage qu'il conviendra toujours de distinguer soigneusement ces éléments objectifs de l'élément plus théologique (si l'on se place du point de vue Chrétien) - ou philosophique (si l'on se place du point de vue profane) évoqué précédemment et concernant la question centrale posée plus haut - celle de l'autorité de Dieu - qui n'est pas un point relevant directement, objectivement de la science, mais plutôt de la vision générale du monde que nous pouvons nous former sur base de la culture ou de l'enseignement, soit Chrétien, soit scientifique. Concernant ces éléments objectifs, nous ne dresserons pas ici une liste exhaustive des points de conflit, nous contentant d'analyser un point particulier, mais tout à fait éclairant pour notre propos. Il s'agit du fameux procès qui opposa Galilée au tribunal de l'Inquisition en 1632. Galilée avait défendu le système héliocentrique proposé un siècle plus tôt par l'astronome polonais Copernic, affirmant que la Terre tournait autour du soleil, et non l'inverse comme on le pensait jusqu'alors, selon l'antique système géocentrique dû à Ptolémée. Notons que divers versets de la Bible, interprétés dans un sens littéral, ont pu être invoqués pour défendre ce système (Ps 113 :3, Ps 104 :19, Js 10 :13), une lecture littérale du texte nous montrant un soleil qui se lève, qui se couche et qui bouge dans le ciel. Galilée pouvait-il alors avoir raison ? Remarquons que Galilée, loin d'avoir été un simple défenseur du système héliocentrique, fût également l'inventeur d'un des principes les plus fondamentaux de la physique, à savoir le principe de relativité (Einstein ayant généralisé par la suite ce principe à l'espace-temps à quatre dimensions). En termes simples il s'agit du principe nous permettant, lorsque nous décrivons le comportement d'un système physique dans un certain repère - par exemple un repère dont le centre serait le soleil - d'en déduire les équations correspondantes dans un autre repère, par exemple un repère centré sur la Terre. Ce principe permet ainsi de supprimer toute notion d'un repère absolu, d'où son nom de relativité; aucun repère n'est " meilleur " qu'un autre et nous sommes donc libres de choisir celui qui nous convient le mieux. Vu dans ce sens, l'avantage du système héliocentrique en astronomie est de permettre une description très directe du système solaire, d'être un repère " naturel " pour décrire ce système d'un point de vue théorique. Mais ceci n'interdit nullement que d'autres repères soient utilisés. Et de fait, les astronomes eux-mêmes utilisent encore fréquemment aujourd'hui un système géocentrique pour décrire leurs observations. Il n'y a donc en définitive rien d'erroné ou de surprenant à ce que l'auteur Biblique ait lui aussi utilisé ce système dans ses descriptions. Ce qui a conduit à conclure à une soi-disant contradiction entre le système défendu par Galilée et l'Écriture n'est donc qu'une conception trop restrictive de l'Écriture, comprise dans le cadre d'une tradition en elle-même non Biblique et d'un schéma mental erroné, basé implicitement sur la nécessaire existence d'un repère absolu, ainsi que sur un manque de compréhension des subtilités des théories scientifiques, à savoir le principe de relativité, il est vrai, totalement révolutionnaire pour l'époque. Nous voyons apparaître ici l'archétype des faux débats opposant souvent la science aux Chrétiens. Il peut hélas arriver que les Chrétiens confondent la véritable parole de Dieu avec leur propre interprétation de l'Écriture ou l'interprétation héritée de leur propre culture ou tradition. C'est déjà là une source de confusion, encore renforcée lorsque les théories scientifiques sont confondues avec les extrapolations philosophiques que l'on pourrait en tirer mais qui n'ont, en elles-mêmes, aucune valeur scientifique ; celle concernant par exemple, dans le cas de Galilée, la place, centrale ou non, qu'occupe l'homme - non plus dans le véritable espace physique - mais dans la Création, comprise dans son sens théologique. Il est également fréquent de voir les opposants, de part et d'autre, tomber dans le travers de procès d'intention - certains Chrétiens suspectant par exemple que des théories scientifiques soient " avancées " uniquement aux fins de contredire telle conception Biblique ou de soutenir telle conception philosophique non Chrétienne. Or la méthode scientifique, telle que nous la connaissons aujourd'hui, fournit toutes les garanties d'objectivité permettant d'infirmer le cas échéant les conclusions d'une fausse théorie, indépendamment de toutes données culturelles, philosophiques ou religieuses. Les procès d'intention sont donc totalement dépassés dans le cadre de l'activité scientifique - contrairement sans doute à ce que l'on peut dire d'autres domaines de l'activité intellectuelle, comme l'art ou la philosophie. Ayant abordé ici la question des éléments objectifs nous en reviendrons, dans nos prochains numéros, à la question centrale de la conception générale que nous avons du monde et de l'autorité de Dieu dans le monde, au vu des enseignements de la science. Et nous tâcherons d'établir comment le concept de la TOUTE-PUISSANCE de Dieu peut être maintenu en acceptant d'envisager les visions Chrétienne et scientifique du monde, non comme exclusives, mais comme complémentaires |