Commentaires sur le projet de Constitution Européenne et le référendum français
Le "non" est-il contre-productif?
En votant " non " au référendum français du 29 mai, a-t-on une position contre-productive si l'on est partisan d'une meilleure capacité du politique à intervenir dans l'économie, autrement dit d'une capacité de ce dernier à définir un agenda démocratique?
Jeremy Rifkins, dans son livre "le rêve européen", parle joliment d'un "rêve européen", né dans le courant de l'après-guerre, comme d'un rêve civilisationnel nouveau, différent d'un "rêve américain" basé (pour résumer à l'excès) sur la réussite individuelle et les droits de la propriété, selon lui en crise. Il caractérise ce "rêve européen" par sept tendances : - inclusion (ne laisser personne à l'écart
de la collectivité) Je trouve cette analyse à la fois assez
séduisante et plutôt juste sur le diagnostic d'un projet
commun possible à l'échelle du continent. La question suivante
est : le TCE va-t-il plutôt dans le sens d'un tel projet ou s'en
éloigne-t-il? Ce qui est intéressant dans cette liste, c'est qu'il n'est question que d'exigences relationnelles : on souhaite la tolérance, la discussion, une harmonie personnelle pressentie comme inséparable d'un bien-être collectif. Une nouvelle prise en compte de la complexité du réel, et du caractère profondément relationnel du bonheur personnel. L'on n'est plus du tout sur une équation classique où le bien-être personnel serait conditionné par une plus ou moins grande accumulation de biens matériels (cela correspond d'ailleurs assez bien au niveau de vie des européens, dont les besoins sont quasi-saturés). Il est important de souligner que ce mode de représentation correspond très bien aux théories économiques les plus récentes et les plus riches en termes d'analyse complexe (multi-dimensionnelle): depuis N. Georgescu-Roegen, mais également K. Polanyi (que l'on recommence décidément à entendre citer), l'on sait que non seulement l'idée de marchés auto-régulés est une utopie (car basée sur des principes mécanistes dépassés en mathématique depuis le début du XIXème siècle), mais qu'elle est de plus une utopie dangereuse par la puissance d'intervention sur les écosystèmes de ses incarnations (je ne sais plus qui disait que l'humanité, au cours du siècle passé, était devenue une "force géologique"). S'il existe un enjeu central à l'échelle du continent européen, c'est bien celui-là : elle-même créatrice de cette triste mécanique, il est compréhensible que l'Europe soit la première à en remette en cause les aspects les plus néfastes. Pourtant, le TCE est encore très nettement en retard par rapport à cette évolution, il est à l'image de son histoire : issu d'une coopération marchande, il ne concerne toujours que les marchands. La Charte des Droits fondamentaux, qui constitue pourtant un joli florilège des préoccupations politiques majoritaires en Europe, est, outre le fait qu'elle reste nettement en-deçà de ce que l'on trouve dans les droits allemands, belges ou français, la partie la moins contraignante du texte (les droits qui y sont définis sont qualifiés de " principes généraux "). Pour ce qui concerne le caractère institutionnel, le principe d'attribution a été intégralement conservé pour toutes les dimensions politiques, pour le plus grand bonheur de l'UNICE : loin d'avancer vers un statut de coordinateur (aucune décision de coordination des politiques économiques contraignante ne peut être adoptée par l'Union), l'Union demeure une institution spécialisée chargée de réglementer un certain nombre de domaines précis, pour le plus grand bonheur des lobbyistes de tout poil qui considèrent, non sans raison, que l'agenda d'une telle institution spécialisée est bien plus malléable que celui d'une institution dotée d'un agenda politique cohérent, par définition global. Cette disposition permet à ceux qui disposent des meilleures capacités d'expertise d'imposer leur propre agenda; et les plus grosses concentrations financières, en ces temps de financiarisation accélérée de la vie économique, ne sont pas bien difficiles à localiser. Enfin, si l'on s'attarde à faire une analyse du vocabulaire utilisé dans ce texte, on ne peut que constater la prédominance de conceptions comme " société de marché ", " gouvernance ", " concurrence libre et non faussée ", reflet d'une conception de l'économie basée sur une référence à la capacité auto-régulatrice des marchés : encore une fois, ce genre de vision n'est pas adapté à autre chose qu'à l'agenda des entreprises multinationales, à la croyance selon laquelle un ensemble de processus mécaniques seraient le plus à même de procurer une réponse à l'éternelle question du meilleur gouvernement possible, et non les gouvernements eux-mêmes. Ce genre de croyance, outre le fait qu'il avantage mécaniquement ceux qui ont la plus grosse surface financière, n'est pourtant plus adapté pour répondre aux défis du monde actuel ; pire, elle a toutes les chances, si elle était appliquée, de continuer à faire croître le hiatus entre les électeurs et les gouvernants, et l'on sait qui sont les dépositaires historiques des frustrations de l'électorat. Le TCE apparaît donc comme une bonne occasion ratée : les quelques avancées, réelles, obtenues sur les plans de la simplification des modes de décision et du contrôle démocratique du pouvoir législatif ne sont finalement qu'une avancée très mineure par rapports aux enjeux actuels de la construction européenne (créer un gouvernement économique digne de ce nom pour intervenir politiquement à une échelle plus pertinente dans un contexte de mondialisation économique, et mettre en place les conditions d'épanouissement d'un modèle de société substantiellement plus "soutenable" que celui que nous avons actuellement). Dès lors, deux options :
Il ne faut cependant pas se leurrer : le TCE est le produit du rapport de force politique actuel en Europe, et toute renégociation du traité se fera sur des bases identiques, sinon pires du point de vue des partisans de l'intervention politique en économie. L'enjeu essentiel d'un " non " n'est donc pas d'obtenir une " Europe sociale ", illusoire à court terme, mais bien la possibilité d'y parvenir un jour : ce texte ne laisse rien entrevoir en ce sens, qu'il s'agisse de coordination des politiques publiques ou de marges de manuvre laissées aux coopérations renforcées. Laisser les options politiques ouvertes, voilà l'enjeu immédiat du " non ". Aboutir à des modes de gestion plus intégrés politiquement pour accéder à une échelle politique pertinente dans le contexte mondial d'aujourd'hui, voilà l'enjeu à plus long terme de l'Union. La continuité dans la gestion ou le pari de la rupture politique ? Accepter le " petit pas " de plus ou saisir l'opportunité d'exprimer un point de vue proprement politique sur le fond de ce qui est proposé, pour une fois que l'occasion en est laissée ? Il faut être conscient de ce que l'on rejette pour bien mesurer ce que l'on pourrait proposer à l'avenir : il serait consternant de renouveler le précédent de la CED, où la France, encore hantée par le spectre du militarisme allemand, avait enterré durablement l'idée d'une défense européenne. Ce que l'on rejette ici : une intégration européenne pensée par et pour les marchands, et qui reste pour l'instant inapte à peser politiquement sur la scène internationale. Ce que l'on veut : faire de l'Europe non plus seulement une instance juridique mais une instance politique, au sens large. Le oui serait une progression immédiate mais très restreinte dans ce sens, avec le risque de ne plus pouvoir changer d'orientation pour longtemps compte tenu du caractère très complexe des procédures de révision (unanimité requise même pour la partie III), avec notamment : toujours pas de coordination des politiques économiques cohérente à l'échelle de la zone euro, et strict maintien du principe d'attribution (compartimentation des politiques) favorisant le lobbying. L'Union ne change pas de nature, structurellement parlant, avec ce texte. Le non, quant à lui, prend le risque de
perdre les quelques avancées en termes d'intégration contenues
dans ce texte pour, éventuellement, sauvegarder la perspective
d'une intégration politique et institutionnelle plus aboutie, peut-être
aussi plus différenciée géographiquement. Ce processus
pourrait être aidé par le formidable outil pédagogique
sur l'Europe qu'a représenté ce débat en France,
et que bien des pays européens pourraient envier.
Bruxelles, mardi 3 Mai 2005 Le non de gauche est un non à l'Europe...
...telle qu'elle s'est construite jusqu'à aujourd'hui, c'est-à-dire en ne suivant pas d'autre principe que celui de l'économie de marché. Il n'y a en effet pas tellement de différences entre ce projet de traité constitutionnel (qui ne porte le nom de Constitution que parce qu'un certain monsieur Giscard veut à toute force rester dans l'Histoire) et les traités précédents sur le plan juridique : les procédures de révision sont les mêmes (unanimité), quoiqu'un peu simplifiées en ce qui concerne la partie III. Il s'agit, comme pour le traité de Maastricht, de codifier quelles sont les règles communes de gouvernement et les compétences que les Etats délèguent à l'Union. Point. Le droit de l'Union prime dans les faits les constitutions nationales lorsqu'il s'agit de ces compétences déléguées, comme c'est déjà le cas aujourd'hui : le TCE est une rationalisation des modes de décision et du corpus juridique européen. Une avancée dans un processus vieux de 50 ans, mais qui a l'avantage de nommer clairement son objet : qui dit constitution dit souveraineté, et la souveraineté populaire a été amputée tout au long de la construction européenne. À ceci près qu'en France, ce terme de Constitution a un pouvoir symbolique exceptionnellement puissant. S'il n'y a pas d'avancée institutionnelle majeure autre que symbolique, alors pourquoi le débat est-il si virulent? Pourquoi la moitié des français, "peuple fondateur" du projet européen, y sont-ils aujourd'hui opposés? Il me semble que, contrairement à ce que
disent beaucoup de partisans du oui, il ne faille pas séparer la
politique intérieure et la politique de l'Union. Pourquoi? Les débats de fond qui traversent actuellement la société française, sans négliger leur spécificité (importance du terme de Constitution pour expliquer la vigueur du débat dans ce pays), sont donc pertinents pour réagir face à ce TCE. Ainsi, beaucoup d'arguments des partisans du "non de gauche" tournent autour d'une critique de la logique "ultra-libérale", autrement dit l'état d'esprit consistant à s'en remettre à une logique marchande pour organiser sa vie et celle de la communauté. Le TCE, héritier d'une construction européenne fondée sur le marché, est logiquement imbibé de cette logique-là : tous les traités précédents le sont. La nouveauté historique est une sensibilité grandissante des populations à ce thème, et une exigence d'action politique pour contrebalancer cette dynamique mortifère. Ce que l'on demande aujourd'hui à l'europe,
c'est au minimum un gouvernement économique digne de ce nom : le
TCE ne propose rien dans ce sens-là, l'égoïsme des
Etats-Nations (dont la France) ayant conduit au strict maintien du principe
d'attribution de compétences. L'Union dirige la politique monétaire,
les Etats les politiques fiscales et budgétaires. Comment, cela
revient à mettre les Etats en concurrence?... Je suis persuadé que l'idée européenne, si importante et si porteuse d'espoir pour le continent, ne doit pas rester instrumentalisée par la logique marchande comme ce texte le propose. Avec la mise en concurrence des systèmes économiques nationaux entre eux, et en véhiculant une idée mensongère de dénuement du politique face à l'agenda des institutions financières, on voit tout de suite quels seraient les grands bénéficiaires des tensions sociales qu'une telle situation ne manquera pas de produire : les partis xénophobes et populistes qui voudraient faire croire qu'en votant pour eux tout se résoudra d'un coup de baguette magique. L'Europe a déjà donné, bon sang!
Bruxelles, lundi 2 Mai 2005 La gouvernance : une définition Le mot «gouvernance» est un mot des plus intéressants. (ré-)Apparu il y a une quinzaine d'années au sein des institutions financières internationales, il est aujourd'hui devenu une référence quasi incontournable pour quiconque parle d'administation publique. Ainsi, toute personne ayant travaillé quelques temps dans le milieu humanitaire et «développementiste» sait que la «bonne gouvernance» constitue l'alpha et l'oméga du «bon gouvernement» et que la plupart des textes internationaux du moment s'en réclament. C'est, par exemple, une condition primordiale pour obtenir des prêts du FMI. C'est encore ce que la Banque Mondiale désigne
par «la manière par laquelle le pouvoir est exercé
dans la gestion des ressources économiques et sociales d'un pays
au service du développement». (Voir la bonne définition
qu'en propose le site du ministère de l'équipement). C'est, enfin, un mot qui apparaît dans le
texte du TCE, à deux endroits tout à fait intéressants
: il apparaît à l'article I-50, consacré à
la «transparence» des institutions, lui-même partie
de la partie VI intitulée «la vie démocratique de
l'Union» où les rédacteurs du texte exposent leur
vision d'une administration démocratique. La seconde occurrence
de ce mot se trouve, là encore, à un moment où le
rédacteur expose une vision, s'aventure à exposer quelles
sont ses conceptions du bien-être planétaire : le titre V
(«l'action extérieure de l'Union»), en son article
III-292, stipule que l'«Union définit et mène des
politiques [...] afin : [...] h/ de promouvoir un système
international fondé sur une coopération multilatérale
renforcée et une bonne gouvernance mondiale.» On peut donc conjecturer sans trop de risque que le concept de «gouvernance» est un concept-référence, une idée que le rédacteur est prêt à défendre et à laquelle il croit, dans la mesure où il ne le cite que lorsqu'il s'agit d'exposer une vision normative, quasi morale, de ce que doit être le gouvernement de l'Union à l'avenir. Un terme important par ce qu'il peut nous apprendre sur l'état d'esprit et les références des rédacteurs du texte. C'est donc le moment de vous aiguiller vers cette excellente définition du concept que propose Georges Navet (philosophe et enseignant de sciences politiques) où il explique parfaitement que le coeur de l'idée de gouvernance telle qu'elle a été construite ces dernières années repose sur l'auto-contrôle de processus impersonnels au sein d'une sphère d'activité donnée, sans autres règles que «l'échec» ou «la réussite», autrement dit sans autre régulation que la loi du processus lui-même. Cela vous rappelle quelque chose? C'est sur ce genre d'exemple, encore une fois, que l'on comprend l'importance d'élargir ce débat sur le projet de Constitution Européenne si on veut en saisir les véritables enjeux : veut-on une société qui soit autre chose que ce qu'elle est actuellement, avec ses multiples impasses économiques, écologiques et psychologiques, ou continue-t-on à courir droit dans le mur en chantant l'abondance? Il n'y a pas de honte à avoir peur de l'atroce...
Bruxelles, mercredi 27 Avril 2005
La Constitution européenne et l'économie de marché )))écouter(((
Il me semble qu'un des problèmes du débat actuel sur la Constitution européenne est le tabou qui entoure " l'économie de marché " ; on peut remettre en question la Constitution, l'ultra-libéralisme, mais surtout pas cette économie de marché qui, parce qu'elle nous a si bien " réussi ", semble constituer pour beaucoup l'alpha et l'oméga de la structure sociétale idéale. C'est clairement un point de vue majoritaire, et, même dans le camp du non, peu de gens osent aller jusqu'à cette critique-là dans leur mise en cause des modes de gouvernement actuels et leur exigence d'une plus grande prise en compte de l'humain aux plans politique, économique et social. Rien d'étonnant à cela : à moins d'être tout à fait exclu de la société ou, comme aiment à le répéter les " décideurs ", d'occuper une position " d'irresponsabilité " (c'est-à-dire de pouvoir exprimer une opinion critique sans trop de risques de rétorsion professionnelle, comme dans certaines branches de la fonction publique), il est impossible de ne pas cautionner au moins partiellement ce mode de fonctionnement au quotidien. Par nos achats évidemment, mais également par notre adhésion plus ou moins volontaire, plus ou moins subie au vocabulaire de la responsabilité individuelle. Le jour où nous envisagerons tous notre existence comme des petits "entrepreneurs individuels ", où tout ce qui nous entoure, les objets comme les personnes, aura une UTILITE, alors cette logique sera devenue LA logique. Même encore aujourd'hui, beaucoup perçoivent le marché comme un processus impersonnel et neutre d'allocation des ressources. D'autres, heureusement de plus en plus nombreux, réalisent au fur et à mesure de la progression qualitative de ce dernier que le marché est avant tout un mode de perception et de représentation individuel et collectif, qui nous entraîne toujours un peu plus vite vers une catastrophe écologique et psychologique horrible (cf les uvres de M. Bounan, K. Lorentz, M. Chollet, M. Rahnema, G. Debord, R. Girard, J. Baudrillard, P. Rhabi, K. Polanyi, N. Georgescu-Roegen, etc.). Les entreprises (particulièrement celles qui travaillent dans l'énergie, Shell en tête, qui, confrontées aux critiques des écologistes sur leurs activités, ont élaboré des stratégies de réponse redoutablement efficaces) rêvent de privatiser ce qui reste : l'eau, l'air, ce qui reste de génome vivant non encore décrypté (elles ont à ce jour systématiquement breveté tous les gènes qu'elles ont découvert, à commencer par ceux qui composent le génome humain), les droits humains, avec l'argument imparable que, si elles ont fait des dégâts jusqu'à maintenant, c'est parce qu'elles ne prenaient pas en compte TOUS les paramètres dans leur processus de production. Comme le dit excellemment un trader de la bourse de New York interviewé dans le documentaire américain The Corporation, " L'environnement ? Connais pas ! Si l'eau, l'air avaient une valeur, alors là oui, je pourrais en tenir compte dans mes évaluations, mais là " Comment ne pas se rendre compte de ce que, socialement, cela impliquerait? C'est malheureusement assez simple, il suffit de transposer les inégalités constatées aujourd'hui avec un nombre limité de biens de consommation dans le futur et d'imaginer ce que cela donnerait avec l'ensemble de la Biosphère considérée elle aussi comme un ensemble de biens de consommation : ceux qui auront les moyens de se payer un environnement de qualité auront droit à de l'air à peu près pur, une nature champêtre certes hygiénique (le grand projet de demain est de transformer nos agriculteurs déficitaires en "jardiniers du paysage" pour les déambulations bucoliques des citadins-néo-ruraux en mal d'air pur et de petites bébêtes) mais à peu près réelle, une alimentation et une santé correcte, tandis que les malheureux qui n'auront pas ces moyens n'auront droit qu'à la pollution, l'enfer urbain et toutes les maladies dégénératives, aussi bien physiologiques que psychiques, qui en découlent... La compétition économique (et donc la concentration et les inégalités) étendue à tous les domaines de la vie, voilà ce que signifie, à terme, "l'économie de marché". Et elle ne durera pas longtemps, tant ses principes fondateurs (pour faire simple, la réification, c'est-à-dire réduire à l'état d'objet tout phénomène vivant ) sont étrangers aux processus vivants. Je crois que, plus ou moins inconsciemment, beaucoup de gens commencent à ressentir cette évolution : cela explique une sensibilité grandissante au concept de "marché", ils sentent bien que, confusément, il se passe là quelque chose de primordial. C'est là, à mon avis, l'explication de l'abus du terme " libéral " ou " ultra-libéral ", au sens où ce qui est critiqué n'est pas tant le courant de pensée historique désigné par ce terme que l'état d'esprit consistant à s'en remettre entièrement à des processus marchands pour organiser sa propre vie et celle de la communauté. Il est clair qu'imputer cette évolution à un individu (le grand méchant financier) ou même à une classe sociale (la bourgeoisie) est une imposture masquant mal l'appétit de pouvoir de son auteur : nous sommes tous les auteurs, collectivement, de ce que nous sommes devenus, par nos actes comme par nos renoncements. Ce processus remonte, historiquement, à la Renaissance et on ne peut décider de changer du jour au lendemain de modèle de société, à moins de s'appeler Pol Pot ou Adolf Hitler. Mais il est plus que temps de se donner les moyens, au minimum, de tenter d'inventer de nouvelles formes d'existences institutionnelles susceptibles de ne pas finir dans l'horreur que j'ai esquissée plus haut. Deux axes à peu près sûrs s'offrent à nous : considérer la Vie comme seule richesse réelle (non, je ne suis pas opposé à l'avortement ;-) !); et recourir à la démocratie partout où c'est possible puisque, selon l'excellent mot de Spinoza, " plus les membres qui participent aux décisions sont nombreux, plus la capacité de nuisance de chacun est restreinte ". Le débat sur la Constitution européenne
est un excellent lieu pour ce débat sur la société
de marché : par l'emploi du mot " Constitution ", on
a réveillé chez les français tout ce que ce mot signifie
depuis l'invention de la souveraineté populaire, autrement dit
la capacité que doit avoir " le peuple " de se donner
les institutions qu'il désire. C'est l'occasion de poser la question,
jamais posée finalement, du sens de la construction européenne
et du modèle de société autre que pourrait proposer
l'Europe, après avoir inventé cette triste mécanique.
C'est l'occasion, quelle qu'en soit le résultat, d'un véritable
débat démocratique tel qu'il a lieu en ce moment en-dehors
de toute institution à commencer par les médias. Espérons,
d'ailleurs, que tous ces votants du " non " continueront à
écouter leur intuition plutôt que ce matraquage médiatique
qui utilise tous les moyens d'intoxication possibles, de la culpabilisation
grossière (" de toute façon les français n'ont
rien compris ") au cynisme le plus achevé (" Vous voulez
changer l'Europe ? Votez oui ! ")
Bruxelles, lundi 25 Avril 2005
Décider, c'est avant tout être
Et c'est là que les problèmes commencent : la rhétorique de " la France qui tombe " fleurit depuis quelques années dans l'Hexagone, et se porte suffisamment bien pour qu'on puisse croire qu'elle ait pénétré les mentalités ; l'identité collective française, c'est de moins en moins une nouveauté, n'est plus porteuse d'un projet communautaire crédible, distancée qu'elle est par des projets universalistes concurrents. La République, partie importante de ce que je vais me risquer à nommer "identité française" ne fait plus sens qu'en " creux ", par défaut, on l'invoque sur le mode de l'âge d'or révolu quand il s'agit de la louer ou on vilipende ses aspects " dirigistes " et " frileux " quand il s'agit de la critiquer. Je pense pouvoir affirmer que, d'un point de vue macro-économique, un tel discours est justifié : dans un contexte où l'analyse médiatique se réalise essentiellement par le prisme économique, non seulement le modèle français est de moins en moins " concurrentiel " (mais il n'est pas le seul en Europe) mais l'on ne voit rien venir, du côté politique, qui permette d'esquisser une promesse d'avenir meilleur, économiquement parlant. Au plan interne, la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail ne cesse de se dégrader au détriment de celui-ci (les excellents résultats des 15 premières cotations du CAC40, +20 % en moyenne cette année, s'expliquent pour moitié par la croissance de l'économie mondiale et pour l'autre moitié par la non-redistribution aux salariés des gains de productivité obtenus, d'après Patrick Artus, directeur de la recherche chez CDC Ixis), plombant ce moteur essentiel de la croissance interne qu'est la consommation des ménages (autour de 60% du PIB), et au plan externe, l'impossibilité de réaliser un policy-mix cohérent hypothèque toute tentative de politique macro-économique efficiente (voir mon article précédent sur " le retour des idéologies ? ") à l'échelle de la zone euro. Il est relativement aisé de produire une propagande politique crédible quand l'économie va bien, cela devient nettement plus délicat quand celle-ci va mal, les gens commençant à s'apercevoir que, comme le dit ce cher J. Chirac, le système démocratique actuel est un système dans lequel " les promesses n'engagent que ceux qui y croient " (on connaît en tout cas la valeur que ce personnage attache aux siennes) On en est là, à ce moment de l'Histoire où le discours dominant se met tout à coup à tourner " à vide ", les catégories traditionnelles du " bon sens " et de la " rationalité " ne sont plus opérantes : les vieilles recettes de communication se retournent tout à coup contre leurs auteurs et toute apparition du président-pantin national renforce les rangs des opposants. Les arguments habituels, l'intimidation, la culpabilisation, la suffisance des " experts " apparaissent tout à coup pour ce qu'ils sont : des procédés de persuasion arbitraires. Les français ont ceci d'attachant que leur suffisance et leur mauvais caractère sont doublés d'un grand orgueil : ils aiment encore moins que la moyenne des gens qu'on se paie leur tête. Ils veulent voter non par ras le bol, par désespoir parfois, parce qu'ils ne comprennent rien (si ce texte était une véritable Constitution, cela pourrait être un argument suffisant pour voter non : la Constitution de 1791 était révolutionnaire notamment par sa simplicité, rendant plausible l'affirmation selon laquelle " nul citoyen n'est censé ignorer la loi "), parce qu'ils jugent (c'est mon cas) que ce texte prétend donner une valeur constitutionnelle (usurpée) à des principes politiques particuliers qui servent une vision du monde partiale et nuisible au bien commun. Que ces principes constituent déjà l'agenda des institutions n'est hélas que trop vrai ; ce n'est pas une raison pour leur accorder en sus la bénédiction du vote de la Nation " Not in our name " (" Pas en notre nom "), protestaient certains américains courageux lors de l'invasion de l'Irak par leur gouvernement.
Dimanche 27 Mars 2005 - Vendredi 22 Avril 2005
Je confie l'introduction à Tony Blair : "ni droite, ni gauche, une bonne politique". C'est exactement la tentation de l'Europe telle qu'elle est présentée dans ce traité : devenir au plus près l'incarnation de l'idéologie que sous-tend une telle déclaration, celle selon laquelle toute politique consisterait à mettre en place la "bonne politique". Quelle est-elle, cette bonne politique? Très simple, ce qui joue en faveur de sa diffusion : les marchés se suffiraient à eux-mêmes pour parvenir à un équilibre vu comme l'ultime objectif. L'action politique se limiterait donc à organiser le bon fonctionnement des marchés, le vecteur le plus efficace pour arriver à cet état étant de laisser s'exercer une concurrence conforme au modèle de CPP, Concurrence Pure et Parfaite (modèle théorique, si le coeur vous en dit c'est expliqué sur des dizaines de sites internet, moi je n'ai plus le courage). C'est ce que l'on peut appeler "néo-libéralisme" par commodité. C'est une idéologie commode car elle consiste à simplement tout ramener sur le mode quantitatif et normatif (au bonheur des administrations!); elle peut donc donner l'illusion à l'homme politique qui s'en réclame qu'il a la possibilité de dire le vrai, le définitif, le scientifique (ce qui est faux d'ailleurs, la science s'est heureusement complexifiée quelque peu depuis Laplace et la logique mécaniste) et que son rôle doit dorénavant être de communiquer la vérité. Comme pour toutes les idéologies d'ailleurs. Et tant pis pour les "externalités" : pollution, absence de prise en compte du long terme (les générations futures passent après le dernier véhicule tout-terrain X5 de BMW), déstructuration des liens sociaux et psychologiques (mots polis pour ne pas dire extension tous azimuts de la solitude)... Comme son nom l'indique, cela est en-dehors, cela n'a pour elle aucune existence puisque ni la pollution de l'air ni la souffrance psychique individuelle ne sont des choses facilement dénombrables, et donc susceptibles de devenir des valeurs économiques. On laisse le soin aux Etats de mettre bon ordre à tout ça derrière, jouant alternativement de la protection sociale et médicale (anti-dépresseurs remboursés par la Sécurité sociale) et des charges des brigades anti-émeute. Cette idéologie, après avoir servi les sociétés européennes depuis la Renaissance et favorisé l'avènement de la modernité, a atteint aujourd'hui un stade où son extension pose plus de problèmes qu'elle n'en résoud : c'est l'origine de tous les mouvements "altermondialistes", qui attaquent les grandes multinationales en tant que représentants les plus visibles de cette forme de réalité mais dont l'aboutissement théorique débouche toujours sur une remise en cause des fondements mêmes du système (le film "The corporation", quelque peu caricatural, est un bon exemple de cheminement intellectuel allant de l'analyse à la prise de conscience, et de la prise de conscience à la nécessité d'une action politique collective). Ces mouvements ayant été beaucoup médiatisés, leurs thèses se sont diffusées dans l'ensemble des sociétés, particulièrement la société française, provoquant une remise en cause plus profonde qu'auparavant du système politique en place : il y a aujourd'hui une "cassure" fortement ressentie par tous entre les thèmes du gouvernement français et ceux qui émanent de la société civile. Le taux de renouvellement de la classe politique est en France à des niveaux historiquement bas : rien d'étonnant à ce que les hommes politiques actuels ne comprennent plus grand-chose à un monde qui communique de façon toujours plus rapide... Dans cette perspective, on peut effectivement débattre assez longtemps de la portée juridique de tel ou tel article, on passera à côté de la principale information du TCE : l'intention politique de ses rédacteurs, consistant à séparer une bonne fois pour toutes l'économique des avatars de la politique, en confiant des "règles" "scientifiques" pour la bonne "gouvernance" des marchés à une instance chargée de leur bonne application. L'Union européenne est déjà l'organisation la plus aboutie de toutes les institutions se réclamant de cette vision. Elle est, par exemple, l'unique zone au monde où il n'existe pas de "policy-mix" (coordination des politiques monétaires, économiques et sociales pour assurer leur efficacité) digne de ce nom. Alors que les Etats-Unis, le RU, la Chine, l'Inde... ont tous entre leurs mains ces instruments de coordination, l'UE, suite à un choix idéologique qui n'a jamais été corrigé depuis, ne l'a pas, avec les faibles résultats macro-économiques que l'on sait (voir à ce sujet l'excellente analyse de P. Jacquet, directeur de l'agence française de développement). Pire, une telle harmonisation douanière déconnectée des politiques fiscales a entraîné l'apparition d'un marché européen des droits fiscaux, où les agents économiques (essentiellement les entreprises) peuvent mettre les Etats en concurrence les uns avec les autres : outre le nivellement par le bas des normes sociales qu'une telle situation implique, on voit bien qu'il y a là une énergie et des investissements qui sont, à l'échelle du continent tout entier, plus destructeurs que producteurs de valeur. C'est là un problème structurel crucial, que le débat sur la directive bolkestein a souvent abordé. L'adoption du TCE ne changerait rien à cet état de fait; il ne s'y trouve aucun dispositif de coordination des politiques économiques supplémentaire (voir ce qu'en disent deux importants membres allemands du PPE ayant participé de près aux travaux de la Convention, qui se félicitent de l'absence de changement sur la question). Du point de vue de la possibilité de mener des politiques macroéconomiques, il n'y a que peu ou pas de progrès enregistrés pour l'Union avec le TCE par rapport aux traités de Nice ou Maastricht. Par contre, adopter ce TCE rendra bien plus difficile toute vélléité de sortir de cette situation. C'est ainsi que les critiques fantasmatiques (la Constitution serait vendue au grand capital, etc) et "pragmatiques" (efficience économique laissant franchement à désirer) se rejoignent : dans la critique d'une idéologie. Encore une... Espérons que la démocratie saura venir à bout de celle-là comme elle a su venir à bout de ses prédécesseuses. Cela demandera du travail et beaucoup de temps car c'est actuellement l'idéologie du pouvoir, le prix à payer pour en obtenir étant de partager cette conception marchande du réel . Ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard s'il y a une telle fracture entre la classe gouvernante, majoritairement pour le oui, et le reste de la population : pour obtenir le pouvoir qu'il exercent aujourd'hui, ses représentants doivent au quotidien renouveler leur obéissance et même leur adhésion à cette idéologie. On peut s'en rendre compte assez facilement dans une institution comme l'entreprise : pour peu que celle-ci soit de taille suffisamment importante, il suffit de parler le "cadre", ce curieux jargon essentiellement nominal émaillé d'anglicismes et de déformations ("performer", "solutionner"...) pour qu'on vous foute la paix, peu importe la qualité réelle de ce que vous faites. Vous obéissez, vous le montrez et vous approuvez; le reste n'est pas de votre ressort. Espérons que le débat qui accompagnera ce vote fera apparaître également ces thématiques, car c'est là un enjeu tout à fait central. L'objectif serait, au minimum, d'intégrer à nouveau la décision économique à la décision politique, pour, sait-on jamais, se donner enfin les moyens de commencer à répondre au défi, vital pour la survie de l'humanité, créé par la surexploitation des ressources de la Biosphère. Et il ne s'agit pas là d'un doux rêve nostalgique de promenade champêtre pour citadin dégénéré, mais de la possibilité d'un avenir pour nos enfants. C'est un bon sujet politique, ça, non?
Mercredi 23 Mars 2004
Un non au referendum pourrait être une claque assez retentissante et, mieux, imprévue pour la Commission et son cortège de lobbys encravatés. La directive Bolkestein est un bon exemple des représentations strictement quantitatives du réel que nourrissent les technocrates bruxellois : un grand marché bien huilé, ronronnant, transparent, prévisible, hygiénique et beau comme une salle de bains. Une merveilleuse construction cérébrale, vertigineuse d'équilibre; mais illusoire, parce que le réel est trop complexe pour être ramené à un seul mode de perception. On a toutes les raisons de s'énerver contre ce genre de terrorisme intellectuel, surtout quand il est amené au nom du progrès humain alors qu'il n'arrange qu'une frange limitée mais influente de la population et que son application à l'ensemble du vivant a occasionné des ravages environnementaux considérables. MAIS : Cette idéologie est actuellement l'idéologie dominante en Europe : si on renégocie un traité suite au non français, ce sera sur des bases équivalentes, voire pires puisque les 10 nouveaux pays auront à présent un rang de membre à part entière et qu'ils ont tout intérêt à déréguler au maximum pour faire jouer leurs bas coûts salariaux. Il faut se mettre en tête que la partie III
tant décriée de ce traité restera le coeur politique
de l'Union dans les années à venir, quelle que soit l'issue
du scrutin : 25 pays composent cette union, et pour certains M. Chirac
est un président de gauche! Le véritable danger de ce texte vient, à mon avis, de sa prétention constitutionnelle bien qu'il ne soit pas une constitution : il ne crée pas d'Etat européen mais bien une structure internationale technique de "gouvernance" économique, faiblement responsable devant l'électorat (l'exécutif y prime encore très largement sur le législatif). Reconnaître au texte régissant cette structure la qualité de "Constitution" serait lui accorder une légitimité qu'elle n'a pas. Et renoncer par là même à l'exercice de la souveraineté populaire, condition juridique d'existence de la démocratie. C'est à mon sens l'argument le plus définitif en faveur du non. Dès lors, il faut tenter d'être cohérent
: dire simplement non en réaction au "grand capital"
ou parce que la doulce France risque d'être diluée, c'est
présumer de ses possibilités réelles d'influence
ou vivre dans une nostalgie coupable. La seule alternative crédible
dans le sens démocratique, aujourd'hui que les politiques économiques
se font à l'échelle européenne, est de réclamer
une souveraineté (et donc une responsabilité) réelle
à cette même échelle; soit en créant un Etat
fédéral mais je doute que cela soit envisageable dans l'immédiat,
soit en établissant les conditions de construction d'un tel Etat
restreint. Les coopérations renforcées participent de cette
préoccupation, mais, dans l'état actuel du projet, elles
ne peuvent déroger au principe de non-distorsion de concurrence
vis-à-vis des autres Etats de l'Union (l'article III-416 est flou
à ce sujet mais il me semble bien que les "Etats-membres"
qui y sont mentionnés sont les Etats membres de toute l'Union et
pas seulement ceux de la coopération renforcée considérée),
ce qui limite considérablement leur intérêt. Non?
Lundi 21 Mars 2004
Le traité de Nice a été négocié comme un compromis passager, une sorte de pis-aller temporaire, sur la base duquel on ne peut pas construire grand-chose tant les dispositions qu'il contient rendent l'Union ingouvernable. Le constat traverse les partis et les Etats, Pologne mise à part (le quorum de voix qui lui avait été attribué l'avantageait notablement). Cela n'a pas changé entre-temps, et les raisons structurelles qui ont abouti au TCE restent d'actualité : les modes de décision demeurent inadaptés à un fonctionnement à 25, et le corpus juridique européen reste une vraie cacophonie avec l'enchevêtrement des traités de Maastricht, Amsterdam et Nice. Si le TCE est rejeté, il faudra trouver autre chose, et vite : le Traité de Nice ne vivra pas longtemps quoiqu'il arrive. Je pense que tout projet futur portant le nom (ou l'ambition politique) de "Constitution Européenne" ne doit se préoccuper que de l'organisation des pouvoirs, pas du contenu des politiques. Avec un véritable texte constitutionnel, le débat portera enfin sur le coeur du sujet, quelle Europe voulons-nous, et le oui sera enfin un vrai oui à un projet politique européen nécessaire, même inachevé ou en devenir. À vouloir régler tous les problèmes au sein d'un même texte, Giscard a (encore une fois?) péché par excès d'orgueil; lorsque l'on produit un texte dont la nature juridique est floue, il ne faut pas s'étonner que le débat qui s'ensuive le soit, une question mal posée ne saurait créer les conditions d'une bonne discussion. En ce sens, on retrouve aujourd'hui une situation
assez voisine de celle du 21 avril 2002 : à force d'évacuer
du débat officiel les questions importantes, ou même les
questions tout court (taper sur son adversaire n'est pas discuter une
problématique politique, de même que poser deux questions,
l'institutionnelle et la politique, en n'autorisant qu'une seule réponse
équivaut à ne pas poser de question du tout), ce que jugeront
les électeurs français n'est pas tant l'opportunité
d'une réforme européenne que le monde politique lui-même.
Au risque de faire le bonheur électoral de tous les poujadismes
et autres conduites téléguidées, à droite
comme à gauche. W. Nepigo |