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CHEVALIER DES TOUCHES (le). Roman de Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889), publié à Paris en douze feuilletons dans le Nain jaune du 18 juillet au 2 septembre 1863, et en volume chez Michel Lévy en 1864.

La rédaction de ce roman historique, maintes fois interrompue en raison du manque de documentation ou de la préférence accordée par l’auteur à d’autres travaux, dura douze ans. Cet ouvrage s’inscrit à l’origine dans un vaste projet: Barbey d’Aurevilly avait décidé d’écrire plusieurs romans consacrés à la chouannerie et de les regrouper sous le titre général Ouest. Il renoncera ensuite à cette entreprise, si bien que l’Ensorcelée et le Chevalier des Touches sont désormais deux ouvrages autonomes.

Synopsis

Durant les dernières années de la Restauration, quelques aristocrates âgés sont, comme à l’accoutumée, réunis pour la soirée dans le salon des demoiselles Touffedelys, à Valognes. L’un des arrivants annonce qu’il vient d’apercevoir dans la rue le chevalier Des Touches dont Mlle de Percy conte alors l’histoire (chap. 1-3), qui constitue l’un des épisodes ultimes de la chouannerie moribonde. Messager intrépide assurant la liaison entre la Normandie et l’Angleterre, Des Touches se rendit un jour au château de Touffedelys, refuge des femmes de la noblesse, en compagnie d’un gentilhomme, connu sous le nom de guerre de M. Jacques. Ce dernier partagea bientôt l’amour de la jeune et très belle Aimée de Spens — celle-ci est présente lors de cette soirée mais, rendue sourde par la vieillesse, elle n’entend pas le récit de Mlle de Percy — qui rougissait toujours de manière incompréhensible lorsque le nom de Des Touches était prononcé en sa présence (4). En 1799, le chevalier fut pris par les Bleus et l’"expédition des Douze", organisée pour le délivrer à Avranches, échoua (5). Après les fiançailles d’Aimée et de M. Jacques (6), les Douze réussirent à libérer Des Touches à Coutances mais cet exploit coûta la vie à M. Jacques (7). Avant de s’embarquer pour l’Angleterre, le chevalier se vengea cruellement d’un meunier qui l’avait trahi (8).

Un nouveau narrateur — "je" — complète alors ce récit grâce à des renseignements obtenus bien plus tard: interné à Caen, Des Touches est désormais un vieillard fou. Dans un éclair de lucidité, il révèle au narrateur le secret de la rougeur d’Aimée: pour lui sauver la vie, elle s’était un jour dévêtue devant lui afin que les Bleus, apercevant cette scène à travers une fenêtre, croient qu’elle était seule (9).

Critique

Inspiré d’un fait réel, ce roman prend toutefois de grandes libertés avec la vérité historique. Bercé dès son enfance par des récits familiaux portant sur la chouannerie, Barbey d’Aurevilly cherche surtout à restituer l’atmosphère d’une époque qui lui importe plus que la véracité de telle ou telle anecdote. Tout comme dans l’Ensorcelée, c’est dans sa période d’agonie qu’il évoque ici la lutte royaliste, conférant ainsi une tonalité tragique à cette épopée héroïque. La présentation initiale des vieillards, tendrement satirique, offre un contraste avec le récit qui suit et place l’ensemble du texte sous le signe de la nostalgie et de la destruction: Aimée et le chevalier, ces deux créatures d’exception dégradées par les infirmités de la vieillesse — la surdité pour l’une, la folie pour l’autre — sont comme les emblèmes vivants d’une cause vouée à dépérir dans l’oubli. Lorsque Mlle de Percy sera "tout a fait dissoute en poussière", plus personne ne se souviendra de "ces noms qui méritaient la gloire et qui ne l’ont pas eue" (chap. 4). L’entreprise romanesque apparaît alors comme un mémorial, et c’est pourquoi il importe moins d’être fidèle à la vérité des faits particuliers que de dessiner d’inoubliables figures mythiques. Ainsi, tout comme Jéhoël de La Croix-Jugan, le héros de l’Ensorcelée, le chevalier des Touches est un être hors du commun, tant physiquement que moralement. Sa force surhumaine s’allie à une grâce féminine qui lui vaut d’être surnommé "la Guêpe". Cette androgynie confère au personnage un caractère mystérieux, voire monstrueux, dans des épisodes tels que celui de la vengeance contre le meunier où la grâce du dandy s’allie à une cruauté sanguinaire et raffinée. Toutefois, l’héroïsme, dans ce roman, n’est pas totalement unilatéral grâce à la figure de la Hocson, cette geôlière qui fait échouer l’enlèvement du chevalier à Avranches, et l’on sent que la nostalgie aurevillienne, en cette fin d’un XIXe siècle embourgeoisé, est avant tout celle d’une vacance historique où l’héroïsme n’a plus cours.

A. SCHWEIGER

Jean-Pierre de Beaumarchais, Daniel Couty. "Dictionnaire des oeuvres littéraires de langue française." © Bordas, Paris 1994