UN TRESOR
MONETAIRE
A L’ABBAYE DE
VAUCLAIR (AISNE)
(suite)
II. ETUDE NUMISMATIQUE
Le trésor de
l'abbaye de Vauclair [i]
comprend 4249 monnaies, divisées en deux lots : l'un de 829 pièces (828 d'argent
et 1 de billon) [ii],
l'autre de 3 420 pièces de billon [iii].
En voici la
composition sommaire :
Premier lot :
Henri III
(1574-1589) : 1 teston, 18 francs, 8 demi-francs, 76 quarts d'écu, 1er type, 1 huitième d'écu, 1er type, 3 quarts
d'écu, 2e type.
Charles X
(1589-1590) : 25 quarts d'écu, 1er type.
Henri IV (1589-1610) 6 demi-francs, 10 quarts d'écu, 1er
type, 1 huitième d'écu, 1er type, 178 quarts d'écu, 2e
type, 9 huitièmes d'écu, 2e type, 1 quart d'écu, 3e type,
14 quarts d'écu, 5e type, 1 huitième d'écu, 5e type, 1
quart d'écu delphinal, 32 quarts d'écu de Béarn, 19 quarts d'écu de Navarre, 1
douzain du Dauphiné.
Louis XIII (1610-1643) : 14 demi-francs, 106 quarts d'écu, 1er type, 5 huitièmes d'écu, 1er, type, 45 quarts d'écu,
2e type, 9 huitièmes d'écu, 2 e type, 1 quart d'écu, 3e
type, 26 quarts d'écu de Béarn, 1 huitième d'écu de Béarn, 15 quarts d'écu de
Navarre, 2 demi-écus, 1er type, 1 écu, 2e type, 4
demi-écus, 2e type, 1 quart d'écu, 2e type, 1 douzième
d'écu, 2e type.
Louis XIV (1643-1715) : 5 écus à la mèche courte, 3 demi-écus à la
mèche courte, 1 quart d'écu à la mèche courte, 1 douzième d'écu à la mèche
courte, 47 quarts d'écu de l'ancien système monétaire, 1er, type, 4 huitièmes
d'écu, 1er type, 37 quarts d'écu, 2e type, 2 huitièmes
d'écu, 2e type, 1 quart d'écu de Béarn, 1 quart d'écu de Navarre.
DOMBES : Henri
(1592-1608): 1 demi-teston.
NAVARRE : Henri II (1572-1589) : 2 quarts d'écu.
BÉARN : Henri II (1572-1589) : 8 quarts d'écu.
FLANDRE : Philippe II (1555-1598) : 1 daldre Philippus.
BRABANT :
Albert et Isabelle (1598-1621) : 1 quart de patagon.
LIÈGE :
Ernest de Bavière (1581-1612) : 1 double teston ; Ferdinand de Bavière
(1612-1650) : 2 doubles testons, 2 dalers Ferdinand.
STRASBOURG : Charles de Lorraine
(1593-1607) : 2 quarts de Thaler.
BAVIÈRE : Maximilien 1er, électeur
(1623-1651) : 1 thaler.
ESPAGNE : Philippe II (1556-1598) : 1 pièce de
8 réaux ; Philippe III (1598-1621) : 1 quadruple réal ; Philippe IV (1621-1665)
: 3 pièces de 8 réaux, 4 quadruples réaux, 1 double réal.
AMÉRIQUE ESPAGNOLE
: Philippe IV: 12 pièces de 8 réaux, 10 quadruples réaux, 3 doubles réaux ;
Philippe III ou IV : 3 pièces de 8 réaux, 10 quadruples réaux, 2 doubles réaux.
Second lot :
Charles VI
(1380-1422) : 1 guénar (contremarqué), 1 demi-guénar (contremarqué).
Charles VII (1422-1461) : 1 blanc au K (contremarqué), 2 blancs à la couronne, 1re émission (dont 1 contremarqué).
Charles VII ou
VIII : 1 blanc à la couronne.
Louis XI
(1461-1483) : 10 blancs au soleil (dont 7 contremarqués), 1 blanc au soleil de
Provence.
Charles VIII
(1483-1498) : 2 douzains (dont 1 contremarqué), 12 dizains (dont 6
contremarqués), 1 dizain delphinal, 1 dizain de Bretagne (contremarqué).
Louis XII
(1498-1515) : 6 douzains (dont 3 contremarqués), 7 douzains du Dauphiné (dont 6
contremarqués), 1 douzain du Dauphiné au porc-épic (contremarqué), 1 dizain
(contremarqué).
Charles VII à
François 1er : 27 douzains aux couronnelles, indéterminables
(contremarqués).
François 1er,
(1515-1547) 7 douzains aux couronnelles (dont 6 contremarqués), 22 dizains
(dont 15 contremarqués), 2 douzains de Bretagne (contremarqués), 29 douzains à
la croisette (dont 16 contremarqués), 4 douzains du Dauphiné à la croisette
(dont 2 contremarqués).
Henri II
(1547-1559) : 144 douzains aux croissants (dont 94 contremarqués), 6 douzains
delphinaux aux croissants (contremarqués).
Charles IX (1560-1574) : 7 sols parisis (dont 1 contremarqué), 1 douzaine 1er type (contremarqué), 65 douzains, 2e type (dont 36 contremarqués), 2 douzains, 4e type (dont 1 contremarqué), 7 douzains delphinaux (dont 5 contremarqués).
Henri III
(1574-1589) : 4 douzains au nom de Charles IX (dont 3 contremarqués), 4 sols
parisis (dont 3 contremarqués), 309 douzains, ler type (dont
205 contremarqués), 14 douzains, 2e type (dont 7 contremarqués), 11
douzains, 3e type (dont 9 contremarqués), 4 douzains indéterminables
(contremarqués), 25 douzains delphinaux (dont 16 contremarqués).
La Ligue (au nom
de Henri III) : 116 douzains (dont 81 contremarqués), 1 douzain delphinal.
Charles IX ou X :
14 douzains frustes (dont 6 contremarqués).
Charles X
(1589-1590) : 204 douzains, 1er type (dont 139 contremarqués), 111
douzains, 2e type (dont 66 contremarqués), 2 douzains, 3e
type (contremarqués).
Henri III ou IV :
64 douzains (dont 37 contremarqués), 1 douzain delphinal (contremarqué).
La Ligue (au nom
de Henri III), ou Henri IV : 1 douzain.
Henri IV
(1589-1610) : 1 douzain au nom de Henri III, 147 douzains, ler type (dont 84 contremarqués), 843 douzains, 2e
type (dont 525 contremarqués), 6 douzains, 3e type (dont 4
contremarqués), 26 douzains, 5e type (dont 16 contremarqués), 15
douzains, 7e type (contremarqués), 115 douzains, 9e type
(dont 80 contremarqués), 1 douzain faux (contremarqué), 12 douzains
indéterminables (dont 9 contremarqués), 22 douzains delphinaux, 1er
type (dont 14 contremarqués), 250 douzains delphinaux, 2e type (dont
155 contremarqués), 5 douzains delphinaux indéterminables (dont 4
contremarqués), 21 douzains de Béarn, ler type (dont
13 contremarqués), 17 douzains de Navarre, 1er type (dont 12
contremarqués).
Charles IX à Henri
IV : 56 douzains frustes (dont 31 contremarqués).
Louis XIII
(1610-1643) : 1 douzain faux de La Rochelle, 8 douzains de Montpellier (dont 6
contremarqués), 1 quinzain.
? : 23 douzains
frustes, royaux ou féodaux (dont 22 contremarqués).
DOMBES : Jean II (1459-1488)
: 1 blanc ; Louis II (1560-1582) 1 douzain (contremarqué) ; François
(1582-1592) : 4 douzains (contremarqués) ; Henri (1592-1608) : 78
douzains (dont 50 contremarqués).
BÉARN : Henri
d'Albret (1516-1555) : 12 douzains (dont 11 contremarqués) ; Antoine et Jeanne
(1555-1562) : 1 douzain (contremarqué).
ORANGE :
Philippe-Guillaume (1584-1618) : 1 douzain (contremarqué).
COMTAT-VENAISSIN :
Grégoire XIII (1572-1585) 13 douzains (dont 9 contremarqués) ; Clément VIII
(1592-1605) : 355 douzains (dont 223 contremarqués).
FLANDRE : Philippe
le Bon (1419-1467) : 1 gros vierlander (contremarqué) ; Albert et Isabelle
(1598-1621) : 4 patards (dont 1 contremarqué).'
TOURNAI : Philippe II (1555-1598) : 11 patards (dont 7 contremarqués) ; Albert et Isabelle (1598-1621) : 2 quarts de réal, 15 patards (dont 5 contremarqués) Philippe IV (1621-1665) : 1 patard.
BRABANT: Charles-Quint (1506-1555) : 1
gros (contremarqué) ; Philippe II (1555-1598) 1 patard
(contremarqué) ; Albert et Isabelle (1598-1621) : 40 patards (dont 20
contremarqués) ; Philippe IV (1621-1665) : 2 patards.
NAMUR :
Charles-Quint (1506-1555) : 1 gros (contremarqué).
LUXEMBOURG :
Albert et Isabelle (1598-1621) : 2 patards ; Philippe IV (1621-1665) : 1
patard.
PAYS-BAS ESPAGNOLS
(province illisible) : Albert et Isabelle : 17 patards (dont 14 contremarqués).
FRANCHE-COMTÉ :
Philippe le Beau (1482-1506) : 1 gros ; Philippe II (1555-1598) : 1 double gros
(contremarqué) ; Philippe IV (1621-1665) : 4 gros (dont 2 contremarqués).
LIÈGE : Robert de
Berghes (1557-1564) : 3 patards.
STEVENSWEERT : 1
gros (contremarqué).
UTRECHT : 3
stuiver (dont 2 contremarqués).
FRISE : 2 stuiver.
FRISE OCCIDENTALE
: 1 stuiver.
CLÈVES : Les
princes possesseurs (1609-1624) : 1 stuber.
SAVOIE : Charles
1er (1482-1490) : 1 parpaillole.
ESPAGNE : Philippe
II (1556-1598) : 3 cuartillo (dont 2 contremarqués).
? : 4 monnaies
entièrement frustes (contremarquées).
Des 3 420 monnaies
de billon, 1 238 n'ont pas été contremarquées, et 2 182 (63,80 %) semblent
porter la contremarque ordonnée en juin 1 640 ; « semblent porter »... car on
compte au moins 112 pièces avec fausses contremarques. Des 2 070 monnaies avec
contremarque présumée authentique, si 1 737 sont royales, 331 par contre sont
féodales et étrangères et leur contremarque était illégale ; il faut y ajouter
une royale fausse et une pièce complètement fruste.
Le trésor de
Vauclair apporte de multiples renseignements mineurs que l'on trouvera indiqués
dans le catalogue [iv]
: marques de maîtres ou de graveurs retrouvées ou précisées, différents
accessoires, erreurs de gravure, etc., sur lesquels je ne m'étendrai pas ici.
Je signalerai seulement une anticipation amusante : le quart d'écu 1613 de
Saint-Lô, au nom de ... Louis XIV (n° 428) !
D'autres
découvertes sont plus importantes. Ainsi le quart d'écu de Henri IV frappé à
Angers en 1608 (n°
139) est au premier type (avec croix fleurdelisée) et non au second comme
les pièces des années antérieures.
Le quart d'écu de
Bourges, 1642 (n°
515), a été fabriqué sous la maîtrise du malversateur Thomas Mosnier [v].
Le Y de l'exergue, différent de cet atelier monétaire, est gravé à l'envers.
Les huitièmes
d'écu 1645 et 1646 d'Arras ont gardé le nom de Louis XIII (n° 734-735),
tandis que les quarts d'écu de la même année et le huitième de 1644 ont celui
de Louis XIV.
Le lot de monnaies
de billon contient des douzains avec M en fin de légende comme différent (n°
280-286, 1700-1706 et 332),2 en 1593 et 1594, que j'ai attribués à
Martigues [vi],
et d'autres sans différents et caractérisés par des lettres très grandes, qui
sont sans doute issus de Sisteron [vii],
de 1593 à 1595 (n° 848-860 et 2617-2656).
D'autres douzains
de Henri IV au 9e type, visiblement altérés et de fabrication fort
défectueuse, ont comme marque d'atelier cet O pointé que Lafaurie et Prieur
attribuent à Clermont en même temps que O avec croissette en coeur, deux O
entrelacés et O sommé d'une croisette. Mais les différents de maître et de
graveur des douzains de Clermont (une fleur de lis à droite de la marque
d'atelier et un trèfle sous la légende du droit entre D et G) sont absents. Les
fleurs de lis ont leurs pétales refermés en annelets et les couronnes qui
somment les H au droit ou cantonnent la croix au revers sont ouvertes, alors
qu'à Clermont et dans les autres ateliers monétaires elles sont toujours fermées.
Ces pièces
proviennent vraisemblablement de la monnaie de Maringues, dont l'existence a
été découverte par le Dr Bailhache, grâce à l'étude de documents des Archives
Nationales [viii].
Riom étant aux
mains des Ligueurs, Henri III ordonna, en mai 1589, le transfert de. son
atelier monétaire à Clermont, décision confirmée en octobre par Henri IV. Le 5
mai 1590, le roi nommait gouverneur et lieutenant-général en Auvergne Charles
de Valois, comte d'Auvergne et de Lauraguais, bâtard de Charles IX et de Marie
Touchet.
Pour se procurer
les ressources nécessaires au paiement des gens de guerre, Charles de Valois
voulut faire fabriquer à Clermont des doubles sols parisis altérés dits «
pinatelles », comme son beau-père Henri de Montmorency, gouverneur du
Languedoc, en faisait battre à Montpellier et autres lieux.
Or le bail du
maître de la monnaie de Clermont, Charles Armand, ne prévoyait pas la frappe de
pinatelles, puisqu'elles étaient illégales depuis leur décri en 1586. Charles de
Valois s'entendit avec un certain Pierre Deshours, qui accepta de fabriquer des
pinatelles à Clermont. Mais, devant l'opposition des monnayeurs de Clermont, le
comte d'Auvergne décida d'établir un second atelier à Maringues, malgré la
défense de la Chambre des Comptes de Tours.
La frappe des
pinatelles commença à Maringues en novembre 1591. Pierre Deshours fut remplacé
en 1592 par Francisque Puchy, qui commença, vers le mois d'octobre, la
fabrication de douzains affaiblis, que le bail ordonnait à 2 deniers 15 grains
d'aloi (0,209) et 120 de taille au marc (2,03 g), mais qui n'auraient été, en
fait, que de 2 deniers d'aloi (0,l59) et 150 de taille (1,63 g), tandis que les
conditions des ordonnances royales étaient toujours de 3 deniers (0,239) et 104
au marc (2,35 g). La monnaie de Maringues fut fermée en 1593, mais on ignore à
quel moment de l'année. Le trésor de Vauclair contient des exemplaires de 1592
(n° 846) et de 1593 (n° 847 et 2614-2616)[ix].
Pour les monnaies
féodales, les seuls éléments importants concernent le Comtat-Venaissin.
Au nom du
vice-légat Silvio Savelli, on ne connaissait jusqu'à présent pour 1594 que des douzains
de Carpentras. Nous avons dans le trésor deux exemplaires d'Avignon au même
millésime (n° 1058-1059).
La pièce
avignonnaise la plus intéressante est cependant une pinatelle de Clément VIII
datée de 1592 et portant au revers le nom du légat Charles de Bourbon, qui
n'était plus légat depuis 1589 et était mort en 1590. Cette monnaie a été
déclarée inédite par F. Muntoni [x],
qui la classe bizarrement parmi les douzains, alors que deux exemplaires, à
vrai dire moins bien conservés que celui de Muntoni, avaient été publiés en
1865 et 1882 [xi].
Sur ce dernier exemplaire, le millésime qui accoste l'écu au droit était bien
visible, mais le deuxième canton de la croix, au revers, était usé et mal
frappé. Dans ce deuxième canton apparaît, sur l'exemplaire de F. Muntoni comme
sur celui du trésor de Vauclair, ce que notre confrère italien a vu comme un C
justifiant son attribution à Carpentras, alors qu’il s'agit en fait d'un
annelet. D'ailleurs le C de Carpentras, bien réel sur un autre exemplaire,
inédit celui-là, publié par F. Muntoni, est toujours inscrit à l'exergue du
revers [xii].
Il ne fait donc aucun doute que les pièces avec annelet en cantonnement soient
d'Avignon [xiii].
Comme l'a bien vu
G. Vallier [xiv] ces
pinatelles posthumes au nom de Charles de Bourbon ne sont ni des hybrides, ni
des pièces de faux-monnayeurs comme celles de cuivre argenté qui ont au droit
le type et la titulature des doubles sols parisis de Henri III [xv] et au revers
le nom du défunt légat. G. Vallier a supposé que le nom de Charles de Bourbon
avait été conservé jusqu'à la nomination d'un nouveau légat, les vice-légats, à
l'exception de Silvio Savelli pour les douzains de 1593 et 1594, n'ayant pas
mis leur nom sur la monnaie. Les pinatelles frappées en 1591 sous le pontificat
de Grégoire XIV ont également le revers de Charles de Bourbon.
Ces pinatelles de
Clément VIII sont donc les produits parfaitement réguliers (elles sont en
billon et non en cuivre argenté) de l'émission ordonnée le 13 Juin 1592 par le
cardinal vice-légat Grimaldi, au titre de 3 deniers 2 grains d'argent fin et à
la taille de 82 au marc (plus 2 de remède) [xvi].
Elles sont citées dans le règlement du 13 mars 1593 de la Cour de Grenoble, qui
confirme bien que ces pinatelles sont aux armes du pape et non plus à ses
initiales comme celles de Grégoire XIII, de Sixte V, d'Urbain VII et de
Grégoire XIV : « ... Autres pinatelles d'Avignon, sous le nom de nostre Sainct
Père le Pape Clément, ayans un chevron et des estoiles du costé de la pile,
vaut le marc un escu vingt sept sols trois deniers » [xvii].
Notre exemplaire pèse 2,46 g, celui de G. Vallier, 2,70 g ; F. Muntoni ne donne
pas les poids [xviii].
Ces monnaies sont
restées rares, quoiqu'il en eût été frappé de grandes quantités. Le Livre de la
Monnaie de Carpentras nous donne des renseignements non pas sur le nombre de
pièces émises, mais sur celles qui furent refondues comme trop faibles de poids
: entre le 28 juillet 1592 et le 24 mars 1593, il en fut refondu pour 5 600
marcs, soit au moins 500 000 exemplaires [xix].
*
**
Nous savons que
pour l'étude de la circulation monétaire il ne faut tenir compte que des
monnaies les plus récentes des trésors. Dans le trésor de Vauclair, ce sont
d'abord quelques monnaies de billon des Pays-Bas espagnols - Flandre, Brabant
et Luxembourg - sous Philipe IV d'Espagne (1621-1665), les monnaies d'argent
des Pays-Bas étant, elles, beaucoup plus anciennes. Comme la frontière
septentrionale du royaume était relativement proche, leur présence n'a rien de
surprenant.
Nous trouvons
aussi 45 pièces de 8, de 4 et de 2 réaux d'Espagne, toujours de Philippe IV,
auxquelles il faudrait ajouter la plus grande partie, sinon la totalité, des 22
pièces mal frappées qui restent indéterminées entre Philippe III et Philippe
IV. De ces 67 monnaies, 27 proviennent d'ateliers d'Espagne, 24 du Mexique et
16 du Pérou.
Il n'est pas
possible de savoir si ces monnaies espagnoles ont pénétré en France par les
Pyrénées ou par la frontière flamande. Il n'est pas impossible qu'elles soient
arrivées de Flandre, car elles étaient abondantes au Pays-Bas, malgré
l'existence d'un monnayage local important, et le gouverneur de ces provinces
dut, le 2 octobre 1647, donner à Bruxelles, au nom du roi d'Espagne Philippe IV,
une ordonnance qui déclarait : « ... Touchant les reaux d'Espaigne. L'on faict
à sçavoir, qu'entre lesdicts reaux entiers appellez mattes, demiz, quarts,
huictiesmes et seiziesmes parties d'iceux, l'on trouve par essays en faicts que
grand nombre de ceux de Peru, et autres sont alterez, falsifiez, inesgaux en
alloy et en poids, de façon qu'on ne les peut evaluer à juste prix, ny aussi
discerner les uns des autres, et pour cette cause l'on les declare dois à
present billon, comme aussi les parties des reaux d'Espaigne, qu'on a donné
parmy le peuple, pour quarante, vingt, dix, cinq, deux. et demy pattars ; tous
trop legieres, ordonnans qu'ils soyent generalement portez ès maisons des
monnoyes ou des changeurs sermentez, pour en estre donnée la valeur selon les
essays qui en seront faicts... »[xx].
Une autre ordonnance, donnée le 10 avril 1648, tolérait toutefois
provisoirement les réaux de Séville pourvu qu'ils fussent de bon poids.
Il est possible que ce décri ait provoqué l'importation d'un plus grand
nombre de ces monnaies ce qui, par contrecoup, motiva un arrêt de la Cour des
Monnaies, le 3 décembre 1648 [xxi]. Selon la Cour des Monnaies, des essais
avaient permis de constater que le titre des réaux d'Espagne fabriqués au Pérou
était très altéré, et elle se référait à l'ordonnance de Bruxelles. L'arrêt
nous apprend qu'en 1647 des navires entiers de réaux du Pérou étaient arrivés
dans les ports français et que certains de ces navires avaient été saisis. Les
réaux du Pérou étaient donc décriés, «n'entendant la dite Cour comprendre audit
décry les Reaux du Mexique». Les réaux de Potosi devaient finir par être
également décriés en Espagne, par une ordonnance donnée à Madrid en octobre
1650.
Nous ne pouvons juger
si le titre des exemplaires du trésor de Vauclair est particulièrement altéré.
Il ne semble toutefois pas qu'ils soient « empirez du quart, du tiers, &
mesmes aucuns de la moitié du véritable titre » (soit 0,458 au lieu de 0,916)
comme le prétend la Cour des Monnaies. Ces pièces sont très mal frappées, sur
des flans mal préparés, d'épaisseur inégale, comme d'ailleurs la plupart des
exemplaires de fabrication espagnole, la qualité des réaux de Ségovie, frappés
au balancier, étant exceptionnelle. Contrairement à ce qu'on pourrait croire,
ces monnaies ne sont pas rognées. L'étude des poids, qui sont extrêmement
réguliers, permet de voir que certaines ont été frappées sur des flans plus
petits que les coins normaux, et que quelques pièces de quatre réaux, par
exemple, avaient reçu par erreur l'empreinte de pièces de huit.
*
**
Nous avons vu que
près des deux-tiers des monnaies de billon portent une contremarque à la fleur
de lis, en vertu d'une ordonnance royale de juin 1640, enregistrée à la Cour
des Monnaies le 3 juillet [xxii].
L'ordonnance
expose qu'après la hausse du cours des anciennes monnaies d'argent (testons et
demi-testons, francs et divisions, quarts et huitièmes d'écu) des spéculateurs
ont thésaurisé les douzains, les pièces de 15 deniers (sols parisis) et de 2
sols 6 deniers (doubles sols parisis), prévoyant une hausse équivalente du
cours des monnaies de billon. Pour remettre ces monnaies en circulation,
empêcher leur exportation et leur remplacement en France par des monnaies de
billon étrangères affaiblies, le roi fixe la valeur des douzains à quinze
deniers, celle des sols parisis à dix-huit et celle des doubles sols parisis à
trois sols. Ce changement de cours sera concrétisé par l'apposition d'une
contremarque à la fleur de lis. Les détenteurs auront deux mois pour porter ces
pièces aux Monnaies qui les contremarqueront. Pour pénaliser les spéculateurs,
le roi retiendra deux deniers sur les trois deniers de hausse des douzains et
sols parisis et quatre sur les six des doubles sols parisis. Une fois terminé
le délai fixé, les pièces non contremarquées seraient saisies et confisquées [xxiii].
« ... Et pour éviter que lesdites Pièces et Douzains
ne soient marqués de quelque fausse marque, Voulons que le coin où sera gravé
ladite Fleur-de-lis, soit fait & gravé par le Graveur général de nos
Monnoyes. Faisant defenses à tous Graveurs & autres Ouvriers, de
contrefaire ladite marque à peine de la vie ».
Le trésor de Vauclair contient au moins 112 pièces avec fausses
contremarques. En réalité, le nombre en est peut-être plus important, car nous
n'avons tenu compte que des lis mal formés. Certains faux poinçons devaient
être très semblables aux vrais, notamment ceux qui étaient fabriqués
clandestinement par des graveurs des ateliers royaux.
Un des poinçons faux représente une fleur tout à fait semblable aux
pseudo-lis des monnaies d'Orange. Peut-être a-t-il été précisément frappé à la
Monnaie d'Orange ? (n° 3359).
D'autres faux-monnayeurs, moins habiles, ont fait des fausses
contremarques... sans poinçon. Ils se sont contentés d'imprimer dans le métal
un cercle ou un ovale qui entoure une des fleurs de lis du type monétaire : un
des trois lis de l'écu de France, ou un lis de la couronne royale, ou un de
ceux qui cantonnent la croix du revers, voire, comme sur un patard d'Albert et
Isabelle, autour d'un trèfle décorant un angle de quadrilobe (n° 3403).
Parfois même un coup d'apparence circulaire est donné, au petit bonheur, sur la
monnaie.
Il faut enfin rappeler que sur 2 070 contremarques présumées
authentiques, 331 se trouvent sur des douzains féodaux ou sur des monnaies
étrangères, patards ou stuivers des Pays-Bas, cuartillos espagnols, etc. Ces
331 contremarques étaient donc illégales.
La pièce la plus récente du lot de monnaies d'argent est un quart d'écu
(ancien système) de Louis XIV, frappé à Limoges en 1648. Les monnaies
étrangères les plus récentes du même lot sont un quadruple réal 1640 de Séville
et une pièce de 8 réaux de l'atelier de Madrid qui est vraisemblablement de
1641.
Dans le lot de billon, ce sont au contraire les monnaies étrangères qui
sont les dernières en date. Et cela s'explique, puisque les monnaies royales, à
part quelques sols et doubles sols parisis, sont composées de douzains. Or la
frappe des douzains fut interdite par une déclaration de Henri IV, le 30 mars
1596. Les dernières fabrications officielles furent celles d'Aix en 1603.
Quelques douzains au nom de Louis XIII sont toutefois présents dans le
trésor. L'un d'eux (n° 1006) est
un douzain faux, en cuivre blanchi, émis en 1628 par les protestants de La
Rochelle. Les huit autres proviennent de Montpellier et ont également été
frappés par les protestants rebelles, en 1622 et en 1628[xxiv].
La seule monnaie légale de billon est donc le quinzaine fabriqué à Paris
seulement en 1641 (n° 1009) et dans le type duquel est incorporé
le dessin de la contremarque.
Les monnaies les plus récentes de ce lot sont donc deux monnaies de
Philippe IV d'Espagne, comme duc de Brabant : un patard de Bruxelles,, 1645 et
un autre d'Anvers, 1646.
Compte tenu du
délai nécessaire pour que le quart d'écu 1648 de Limoges, qui n'est pas fleur
de coin, parvienne jusqu'à Vauclair, le trésor aurait été caché vers 1649-1650.
Ne nous étonnons pas de ne pas y trouver de pièce d'atelier plus proche. A
cette époque, la fabrication des quarts d'écu de l'ancien système monétaire,
qui seront d'ailleurs décriés en 1652, se raréfie. En 1648, si l'on peut en
croire Gadoury et Droulers [xxv],
il n'en aurait été frappé qu'à Limoges, Bayonne, Saint-Palais et Pau, en 1649 à
Bayonne, en 1650 à Saint-Palais et à Pau. Dans le trésor, le millésime 1645 est
représenté par 36 pièces de Louis XIV, 1646 par 15, 1647 par 5 et 1648 par une
seulement.
La composition du trésor est cependant curieuse, car si la fabrication
des quarts d'écu décroît, celle au contraire des écus blancs et de leurs
divisions est à cette époque plus importante qu'au début du règne. Or on n'y
trouve que très peu de ces pièces : 9 de Louis XIII et 10 de Louis XIV (sur un
total de 102 pièces d'argent) et encore ces dernières sont-elles toutes du type
du début du règne, dit « à la mèche courte » (1643-1645).
Le trésor de Fontaine-Simon (Eure-et-Loir) [xxvi],
qui fut .caché vers 1655-1656, donc trois ou quatre ans après le décri des
quarts d'écu, ne contenait que des écus blancs, demis et quarts : 36 de Louis
XIII, 46 de Louis XIV à la mèche courte et 164 à la mèche longue. Il est vrai
que sur ces 164 écus et demi-écus à la mèche longue, 24 seulement sont aux
millésimes de 1646 à 1648, 27 de 1649 et 1650, et les 113 autres de 1651 à
1655, mais l'absence totale de ce type à Vauclair, de même que la faible
proportion des écus et pièces divisionnaires de 1642 à 1645 est difficile à
expliquer.
*
**
A partir de 1648, la région de Laon fut presque constamment ravagée par
les gens de guerre, les troupes françaises se montrant parfois pires que les
espagnoles en atrocités de toutes sortes qui se commirent dans les campagnes et
les petites villes.
Un Laonnais du siècle dernier, Edouard Fleury[xxvii]
s'en est pris violemment à la mémoire de Jean-Louis d'Erlach, qu'il qualifie de
« chef de brigands », et de « génie de la ruine inutile et sauvage ».
Jean-Louis d'Erlach, suisse calviniste, ancien chef d'état-major de
Bernard de Saxe-Weimar, était lieutenant-général des armées du roi depuis 1647
et gouverneur de Brisach et du Brisgau [xxviii].
Le 20 juin 1648, le roi lui écrit à Brisach pour lui annoncer que les
Espagnols, commandés par l'archiduc Léopold, attaquent la Picardie, et il lui
ordonne de marcher avec son corps d'armée [xxix] sur
le Luxembourg. L'idée de Le Tellier, secrétaire d'Etat à la guerre, qui
contresigne la lettre n'est encore que de soulager l'armée du prince de Condé
par une attaque de diversion. Le 6 juillet, d'Erlach est dans la région de
Nancy et de Château-Salins, le 24 à Metz, où il se réapprovisionne en vivres.
C'est sans doute encore en Lorraine que le touche la lettre royale du 27
juillet qui lui demande d'avancer sur la frontière de Picardie et de se rendre
le plus tôt possible à Marle, Montcornet ou Guise où il recevra d'autres
ordres. Le 10 août, son quartier général est à Ribemont où il reçoit de Condé
l'ordre de camper entre Guise et Péronne. Le 14 août il va chercher des vivres
à Arras, et le 16 il fait sa jonction à Béthune avec l'armée du prince de
Condé. Le 20 août, il contribuait fortement, par une opportune attaque de
flanc, au gain de la victoire de Lens, où il commandait le corps de réserve.
Le 26 août
éclatèrent les troubles de la Fronde et le roi quitta Paris pour Rueil le 13
septembre. Le corps d'armée d'Erlach passa la Somme et descendit jusqu'à
Clermont-en-Beauvaisis, prêt à marcher sur Paris. Le 18 septembre, Condé lui
ordonna de quitter Clermont et de s'installer aux environs de Guise jusqu'à
nouvel ordre. Le 22 septembre, Mazarin écrivit à d'Erlach pour le convier à la
Cour, en termes très chaleureux. Il partit, en laissant le commandement de ses
troupes au Polonais Rasilly, et rejoignit la Cour à Saint-Germain-en-Laye. Le
prince de Condé le présenta au roi en disant : « Sire, voilà l'homme auquel on
doit la victoire de Lens ».
Nous savons par le
notaire Lehault [xxx]
que le corps d'armée d'Erlach, sous le commandement de Rasilly, était à Marle du
16 au 28 octobre, que les soldats ont battu, pillé et rançonné quantité
d'habitants, brûlé et démoli trente maisons dans les faubourgs. D'Erlach partit
rejoindre ses troupes à la fin du mois. Il était encore à la Cour le 24. Après
avoir rejoint son corps d'armée, qui devait prendre ses quartiers d'hiver en
Alsace, il était de retour à Brisach le 8 novembre 1648.
A aucun moment,
contrairement à ce qu'affirme Edouard Fleury, qui semble brouillé avec la
chronologie et confond les événements de 1648 et ceux de 1649, les régiments
d'Erlach ne se trouvèrent cantonnés dans les doyennés de Neufchâtel, Montaigu,
Bruyères et Mons-en-Laonnois, donc très près de Vauclair [xxxi].
Le 16 janvier
1649, le roi écrivit à d'Erlach pour lui demander de s'assurer de la personne
de Turenne, compromis dans la Fronde, et de le remplacer à la tête de l'armée
d'Allemagne. Turenne réussit às'enfuir en Hollande, après avoir en vain essayé
d'entraîner une partie de ses troupes dans sa rébellion. Le 18 mars, Louis XIV
apprenait à d'Erlach que les Espagnols avaient à nouveau envahi le royaume, et
il lui ordonnait de traverser la Lorraine et la Champagne, pour concentrer ses
forces à Rethel et à Château-Porcien. La Lorraine et la Champagne furent
horriblement ravagées par ces troupes, qui n'avaient pas reçu de solde depuis
plusieurs mois [xxxii].
Le quartier
général de d'Erlach était à Rethel du 16 au 21 avril, à Saint-Germain-Mont à
partir du 23 avril et jusque vers le 8 mai. A vol d'oiseau, Saint-Germain-Mont
est à sept ou huit lieues de Vauclair. C'est donc pendant cette période du 23
avril au 8 mai que l'armée d'Allemagne, selon le témoignage de César de
Malortye [xxxiii],
capitaine de cavalerie de la garnison de Laon, déposant en 1650 sur les
événements de l'année précédente, « s'étant primitivement estendue dans les
doyennés de Neufchastel, Montagut, Bruyères et Mons-en-Laonnois, ils y ont
commis tous les désordres et violences possibles... » Ces dates sont d'autant
plus vraisemblables que le même témoin conclut ; « La dicte armée a tost après
continué d'exercer les mesmes violences dans les doyennés de Marle, Vervins,
Crécy, jusqu'à Guise ». Or nous savons par le notaire Lehault [xxxiv]
que d'Erlach, en route vers Guise depuis Saint-Germain-Mont, a traversé Bosmont
le 11 mai et Marle le 12. Le 13 mai son quartier général était à Guise, le 16 à
Bohéries, le 19 à Ribemont, du 27 mai au 6 juin à Saint-Quentin, ensuite à
Péronne, puis à nouveau à Saint-Quentin du 18 au 28 juin, date où il partit
pour Brisach, laissant le commandement au général Rosen.
Loin de les
ordonner, le lieutenant-général d'Erlach ne restait pas insensible aux méfaits et
cruautés de ses soldats. Il écrivait à sa femme : « Nos gens se conduisent fort
mal et pire que l'ennemi, de sorte que nous sommes détestés de toute la France,
tellement que la bonne réputation que je m'étois acquise souffre beaucoup ;
mais n'y pouvant rien changer, je m'en rapporte à Dieu qui sait que tous ces
désordres ne viennent pas de moi », et à Mazarin : « ... L'indulgence et le
libertinage dans lesquels M. de Turenne les a entretenues, sans avoir jamais
fait de punition exemplaire parmi elles, les a tellement confirmées dans cette
mauvaise habitude, qu'il est impossible de les réprimer quelque peine que l'on
y apporte » [xxxv].
En fait, d'Erlach
ne se contentait pas de s'en rapporter à Dieu, mais ordonnait de sévères mesures
répressives. Le 3 avril 1649, il écrit à l'un de ses officiers, le
général-major Schütz : « ... Comme de très grandes plaintes sont faites contre
les régiments, je prie Monsieur le général-major qu'il veuille chercher autant
que possible à arrêter de tels désordres et à y remédier, afin qu'il prévienne
des plaintes ultérieures, que notre honneur et notre réputation se conservent
et que nous ne passions pas partout pour des Turcs et des gens barbares » [xxxvi].
Son ordre du jour du 16 mai
1649, au quartier général de Bohern (Bohéries) est encore plus net : les
maraudeurs et les incendiaires seront punis de châtiments corporels ou de mort,
selon les cas [xxxvii].
Le notaire Lehault, de Marle, qui notait dans son journal les exactions et
incendies commis à Marle, en octobre 1648, par le corps d'Erlach, commandé par
Razilli, écrit en 1649 [xxxviii]
: « Le 12 may 1649, l'armée du général Erlack, ayant demeuré près d'un mois à
Saint-Germain-Mont, et ayant esté hyer au giste à Bomont, icelle composée de 13
mille hommes et 12 pièces de canon, ledit Erlack en personne a passé en ceste
ville, et ont faict fort peu de dégasts en ladite ville, en conséquence des
deffenses qu'en avoit faictes ledit sieur Erlack, et est allée ladite armée ès
environs de Guise ». L'ordre du jour du 16 mai renouvelait donc des ordres
antérieurs. Comme le remarque
Alphonse Feillet [xxxix],
cette modération « s'explique tout naturellement par la discipline qu'exige et
qu'obtient ce malheureux d'Erlach de soldats qui viennent de recevoir leur
solde, mais que lui refusera bientôt cette même armée le jour où la solde
manqua, et où, pour vivre il fallut piller le paysan ».
D'Erlach fut si «
desgouté des troupes », selon ses propres termes, qu'il demanda à être relevé
de son commandement, ce que lui accorda Mazarin le 29 juin. L'armée passera
sous le commandement de Rosen, et ne regagnera l'Allemagne qu'à la fin de
novembre.
Après le départ de
l'armée d'Allemagne, les troupes anglaises et irlandaises au service de la
France, commandées par lord Digby, vinrent prendre leurs quartiers d'hiver dans
la région, mais elles paraissent avoir surtout ravagé les localités au nord de
Laon.
En 1650, la guerre
se rapproche encore de Vauclair. Le 6 mai, l'armée impériale, aidée par
Turenne, a franchi la frontière. L'archiduc Léopold traverse l'Aisne à
Pontavert et occupe Berry-au-Bac d'août à octobre, tandis que des régiments
français sont cantonnés à Craonne et à Beaurieux. Coureurs espagnols et
coureurs français de l'armée du maréchal du Plessis-Praslin pillent et
incendient, font la moisson pour vendre eux-mêmes les grains [xl] ,
quand ils ne fauchent pas les blés encore verts pour en nourrir les chevaux.
Selon un témoin : « Pendant que le maréchal du Plessis campa autour de Marle,
l'on ne vist de tous costez que des villages en feu »[xli].
Pontavert, Corbeny sont dévastés.
Juvincourt est entièrement ravagé, ainsi qu'Amifontaine et Prouvais. Les
épidémies (peste, typhoïde) apparaissent, favorisées par la guerre : les
soldats malades et blessés sont abandonnés dans les villages désertés et le
long des routes.
Les paysans
cherchent un refuge illusoire à l'abri des murs des monastères, où ils déposent
meubles, argent et bestiaux, ce qui attire les pillards. Furieux de s'en voir
refuser l'entrée, les maraudeurs mirent le feu aux portes et aux granges de
l'abbaye de Saint-Nicolas-aux-Bois et pillèrent le couvent. L'abbaye de Vauclair
fut pillée en juin 1650 par les Lorrains, en juillet, pendant six jours, et le
31 août par les Espagnols [xlii].
1650 paraît donc la
date la plus vraisemblable pour l'enfouissement du trésor. Par qui fut-il caché
? Par un laïc peut-être, puisque les monnaies étaient dissimulées dans un mur
de l'hôtellerie. Je ne crois pas que ce fut lorsque Vauclair était directement
menacée, mais plutôt quelques semaines auparavant, dès les premiers mouvements
de troupes, au début du mois. de mai. Cacher un trésor demandait du temps, et
le travail devait être fait à l'abri des regards et des oreilles indiscrets. Il
est donc impossible que son propriétaire ait pu procéder à cette opération au
moment où l'abbaye, et tout particulièrement ses bâtiments non conventuels,
était remplie de réfugiés des villages voisin [xliii].
[i] Cant. Craonne, arr. Laon, dép. Aisne.
[ii] C’est le lot B de l'étude archéologique.
[iii] Lot A.
[iv] En l'absence d'ouvrage de référence précis pour les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, j'ai dû donner une description complète de chaque variété.
[v] Cf. J. DUPLESSY, Le trésor de Fontaine-Simon (Eure-et-Loir) (Monnaies de Louis XIII et de Louis XIV), dans Revue numismatique, 6e série, X, 1968, p. 268. M. DHENIN, Quelques pièces à conviction, dans Bull. Soc. franç. de Numismatique, 1973, p. 372-375.
[vi] Cf. J. DU PLESSY, Trésor de monnaies des XVe et XVIe siècles découvert à Fécamp, dans Revue num., 6e série, XIX, 1977, p. 164-166.
[vii] Cf. J. DUPLESSY, ibid., p. 167.
[viii] Cf. Dr. J. BAILHACHE, Un atelier monétaire inconnu (Maringues, 1591-1593) d'après des documents inédits, dans Revue num., 41 série, XXXII, 1929, p. 159-180.
[ix] Cf. J. DUPLESSY, Identification des douzains frappés à Maringues sous Henri IV, dans Bull. Soc. franç. Num., 1978, p. 434-435.
[x] Cf. F.MUNTONI, Le monete dei Papi e de gli Stati Pontifice, ll, Rome, 1972, p. 122, n° 133.
[xi] Cf. Ad. CARPENTIN, Bulle et monnaies ecclésiastiques de Provence, dans Revue num., nouv. série, X, 1865, p. 195-198 ; G. VALLIER, Trouvaille de monnaies de la dernière moitié du XVIe siècle à Grenoble, dans Revue belge de Numismatique, XXXVIII, 1882, p. 354-359.
[xii] Cf. F. MUNTONI, loc. cit., n° 134. Le n°' 135, déclaré sans cantonnement, paraît avoir aussi l'annelet, assez effacé, au canton 2.
[xiii] Henri Rolland a publié une fausse pinatelle de Henri III, qui a un annelet au canton 4. Cette pièce, qui reproduit une caractéristique des pinatelles d'Avignon, est sans doute l'oeuvre d'un faux-monnayeur provençal. Cf. H. ROLLAND, Une curieuse pinatelle, dans Bull. Soc. franç. de Num., 1970, p. 542.
[xiv] Cf.-G. VALLIER, Petit supplément à la numismatique papale d'Avignon, dans Congrès arch. de France, XLIXe session, Avignon, 1882, p. 349-351.
[xv] Cf. H. ROLLAND, Les pinatelles d’Avignon 1582-1593, dans Revue num., 51 série, III, 1939, p. 207-235, qui, après Luneau, croît que les pinatelles hybrides au nom de Henri III seraient des erreurs de graveurs des ateliers, voisins, de Villeneuve-lès-Avignon ; cette hypothèse est invraisemblable, d'autant que ces monnaies sont en cuivre argenté et non en billon. Cf. F. MUNTONI, op. cit., 1, p. 80 : « ibridi di pinatelle, con il diritto di Francesco III (sic !) di Francia ».
[xvi] Le texte intégral de cette ordonnance est donné par H. CHOBAUT, Nouveaux documents sur la monnaie de Carpentras (1587-1599), dans Annales d'Avignon et du Comtat-Venaissin, XVI, 1930, p. 37-39.
[xvii] Cf. R. VALLENTIN, Les pinatelles d'Urbain VIII (1590), dans Mémoires de l'Acad. Vaucluse, VII, 1888, p. 332-333.
[xviii] Le poids moyen légal, en tenant compte du remède, était de 2,91 g.
[xix] Cf. H. CHOBAUT, Inventaire sommaire du Livre de la Monnaie de Carpentras (1590-1601), dans Annales d'Avignon et du Comtat-Venaissin, XVIII, 1932, p. 64-66.
[xx] Cf. V. BRANTS, Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 2e série 1506-1700, Les ordonnances monétaires du XVIII siècle, Bruxelles, 1914, p. 213.
[xxi] Cf. Arrest de la Cour des Monnoyes, Portant décry de tout cours & mise des Reaux d’Espagne de la fabrication du Perou, dont les figures sont cy empreintes.... Paris, 1648. Cet arrêt comme l'ordonnance de Bruxelles, appelle « réal » la pièce de 8 réaux, le véritable réal étant qualifié de « huitième ».
[xxii] Cf. Edict du Roy portant que les douzains auront cours pour quinze deniers chacun : les pièces de quinze deniers pour dix-huict : & celles de deux sols six deniers pour trois sols : à la charge de les porter dans deux mois, ès Hostels des Monnoyes, pour estre marquez d'un costé d'une petite Fleur-de-lis, sur peine de confiscation des pièces qui ne se trouveront marquées après ledit temps, Paris, 1640.
[xxiii] Les mesures répressives et l'obligation même de faire contremarquer les pièces sont abrogées par l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 janvier 1644. Cf. Arrest du Conseil d'Estat, Portant que tous les Douzains seront exposez pour quinze deniers, soit qu'ils soient marquez ou non : avec défenses à toutes personnes de les refuser, Paris, 1644.
[xxiv] Cf. P. PRIEUR, Douzains de La Rochelle, dans Bull. Soc. franç. Num., 1955, p. 346-347 ; J. LAFAURIE, Douzains au nom de Louis XIII émis par les huguenots, ib., 1974, p. 582-584.
[xxv] Cf. V. GADOURY et F. DROULERS, Les monnaies royales françaises de Louis XIII à Louis XVI 1610-1792, Monte-Carlo, 1978, p. 131-132.
[xxvi] Cf. J. DUPLESSY, op. cit. (n. 6), p. 263-279.
[xxvii] Cf. E. FLEURY, Un chapitre inédit d'histoire locale. Le diocèse de Laon pendant la Fronde, Laon, 1858, p. 31-69.
[xxviii] Sur la vie du général d'Erlach, cf. Albert d'ERLACH, Mémoires historiques concernant M. le général d'Erlach, Yverdon, 1784 ; A. VON GONZENBACH, Der Generai Hans Ludwig von Erlach von Castelen, ein Lebens- und Charakterbild aus den Zeiten des dreif3ig jâhrigen Kriegs, Berne, 1880-1882.
[xxix] Ce corps ne se composait pas seulement d'« Allemands luthériens, une bande de démons déchaînés », comme l'écrit E. Fleury, puisqu'au départ de Brisach il comprenait 965 hommes d'infanterie française sur un total de 2911. Cf. « Etat des Troupes tant vieilles que nouvelles qui sortiront du Gouvernement de Brisach pour aller servir à l'armée », dans A. VON GONZENBACH, op. cit., III, p. 83, et pièce justificative n° 7. A ces effectifs viendront s'adjoindre par la suite 400 cavaliers du régiment Ruvigny, le régiment d'infanterie (Polonais) de Rasilly, le régiment d'infanterie (Anglais) de Storpe, etc.
[xxx] Cf. [Nicolas LEHAULT], Recueil concernant les désordres qui se sont passés dans le comté de Marle, pendant la guerre (1635 à1656), Vervins, 1851, p. 34. Le « colonel Erlack, qui y est venu en personne 8 jours après » était Sigismond d'Erlach, cousin de Jean-Louis.
[xxxi] Op. cit., p. 32 « Au mois de mai 1648, le baron d'Erlach apparaît à Marle qu'il épargne par nous ne savons quel caprice de douceur » (il s'agit en fait du passage à Marle le 12 mai 1649 ; en mai 1648, d'Erlach était encore à Brisach) et plus loin : « C'est vers le mois de juillet de la même année et après la bataille de Lens, que les compagnies luthériennes du baron d'Erlach revinrent dans le Laonnois par Neufchâtel. Elles occupèrent d'abord les doyennés de Neufchâtel, Montaigu, Bruyères et Mons-en-Laonnois ». La bataille de Lens est du 20 août, et nous verrons que cette occupation se place en avril-mai 1649.
[xxxii] Deux régiments désertèrent, dont le propre régiment d'Erlach. Cf. A. VON GONZENBACH, op. cit., III. p. 260 et n. 3 : «... le régiment de Bernhold qui avait déserté tout entier et en celui de cavallerie de M. d'Erlach appelé l'ancien corps, en qui il se fiait le plus, jusqu'à 300 maîtres donnèrent un mauvais exemple, quoiqu'il eut fait charger et tailler en pièce 3 compagnies ; l'armée n'étant pas payée manquait de tout, de vivres et de fourrage... »
[xxxiii] Cf. E. FLEURY, op. cit., p. 34.
[xxxiv] op. cit., p. 37.
[xxxv] En outre, cette armée était encombrée de valets, de femmes et d'enfants... Cf. Albert d'ERLACH, op. cit., I, p. 394 : « A cette indiscipline, joignez l'énorme bagage qu'elle traînoit après elle ; les femmes, les goujats qui la suivaient, & on jugera combien il étoit difficile de la réprimer et d'empêcher le pillage. Un seul de ces corps composé de cinq à six régimens, infanterie & cavalerie, avoit un équipage de 1500 chevaux & de 900 valets. Aussi le peuple qui dans la marche précédente de M. d'Erlach accourait sans crainte au devant de lui, fuyoit & abandonnait ses demeures devant les troupes qu'il conduisait dans ce moment ». Cf. aussi A. VON GONZENBACH, op. cit., III, p. 250, n.2 (extrait d'une lettre de d'Erlach à Mazarin, avant la campagne de 1649) : « Si le roi veut se servir à l'advenir de cette armée, j'estime, Monseigneur, qu'il sera nécessaire d'en changer la plus grande partie qui n'est pas propre pour servir,en France à cause du grand nombre de femmes et enfants qui passe celui des hommes particulièrement dans la cavallerie... » La même montre que d'Erlach n'avait accepté qu'avec répugnance le commandement de l'armée.
[xxxvi] Lettre écrite au quartier général de Vaviolle, près de Ligny-en-Barrois : «
Im übrigen, weil sehr Grof3e Klägden von den Regimentern einkommen, bitte ich
den Herrn Generalmajor, er wolle trachten, solche désordres so viel möglich
abzustellen und zu remediren, damit fernere Klägden verhütet, unsere Ehr und
Réputation erhalten und wir nicht als Türken und barbarische Leute ausgeschrien
werden », dans A. VON GONZENBACH, op. cit., III, p. 264 et n. 2.
[xxxvii] Cf. A. VON GONZENBACH, op. cit., III, p. 270 et pièce justificative n° 15 (texte intégral allemand de l'ordre du jour), et ci-dessous Annexe.
[xxxviii] op. cit., p. 37.
[xxxix] Cf. A. FEILLET, La misère au temps de la
Fronde et saint Vincent de Paul ou un chapitre de l'histoire du paupérisme en
France, Paris, 1862, p. 142.
[xl] Mazarin aurait approuvé et même recommandé ces pratiques, selon une lettre du duc de Chaulnes, gouverneur de Picardie, au Chancelier, citée par A. FEILLET, op. cit., p. 196-197 : « 21 août 1649... les munitionnaires de l'armée d'Harcourt achètent les blés que les soldats, et particulièrement les Allemands, enlèvent de tous côtés... L'honneur de cette combinaison est dû à Son Eminence, qui en est l'auteur ».
[xli] Le maréchal du Plessis-Praslin, selon A. FEILLET, op. cit., p. 142-143, n'était pas plus coupable que d'Erlach ou Rosen : «cette justification ne s'adresse pas seulement à d'Erlach mais au maréchal du Plessis-Praslin, dont la correspondance annonce la plus grande pitié pour les pauvres populations que ses armées foulent aux pieds et dont elles font litière ».
[xlii] Cf. Abbé AMBOISE, Géographie physique et historique des communes de Chermizy, Ailles & Vauclerc, Laon, 1902, p. 38-39, qui malheureusement ne cite pas ses sources.
[xliii] Un autre trésor, dont nous n'avons
malheureusement qu'un inventaire beaucoup trop sommaire, fut découvert en 1909
à Berrieux, non loin de Vauclair. Il se composait de 8 pièces d'or, dont 4 de
Philippe IV d'Espagne, et de 272 pièces d'argent (dont 23 espagnoles) et de
billon (185 douzains, la plupart contremarqués). Le millésime le plus récent
était 1651. Cf. G. CHANCE, dans La Gazette num., XIII, 1908-1909, p. 99-100.
Ordre du jour
du général d'Erlach, 16 mai 1649.
Johann Ludwig von Erlach Ihrer königlichen Majestât
bestellter Generalleutnant über dero Armee in Deutschland, Gubernator zu
Brisach und zugehörigen Lauben.
Nachdem wegen deren bei dieser Armee vorgelaufenen
Exorbitantien vielfältige Klägden eingelangt, daf3 etliche sich unterstanden,
die Kirchen, Klöster und adelige Häuser in dem Land zu plündern, spoliiren, und
theils gar in Brand zu stecken, dadurch nicht allein diese Armee verschrehet
und verhaf3et, sondern auch deroselben alle Avisen und Kundschaften, so man von
dem Feinde durch die lnwohner des Landes haben könnte, ganz und gar abgesteckt
worden, zumalen alle Zufuhr abgeschnitten, und die Gelegenheit aus den Städten
sich zu proviantiren, benommen wird, indem man niemand mehr in dieselbigen
ein-, oder benöthigten Proviant, und anderes herausfolgen lassen will, dahero
die Armee in die höchste Necessität gerathen und dergestalt länger nicht würde
bestehen können.
Als werden hiemit alle dergleichen Exorbitantien bei Leib-
und Lebenstrafe ernstliih verboten, daf3 sich hinfüro keiner mehr solche
Desordres zu verüben gelüsten lasse, welche dawiderhandeln und solche verbotene
Plünderungen in dem Land ferner zu verüben sich unterstehen, sonderlich die
einige Häuser oder Gebäude freventlicherweise anstecken würden, dieselben
sollen ohne Gnad an Leib und Leben nach gestaltsame, des Verbrechens
alles Ernstes abgestraft werden. Es wird dem Generalgewaltigen dieser Armee und
seinem Leutnant, wie auch denen Regimentsprofosen zugleich anbefohlen, ihren
Beruf diesf3falls in Acht zu nehmen, die Strafen hin und wieder zu bereiten,
die Uebertreter dieses Verbotes gefangen zu nehmen und ohne Urtheil und Recht
nach ihrem Verdienste und dem Inhalt dieser Verordnung abzustrafen, damit die
Desordres abgestellt und weitere Ungelegenheiten verhütet werden mögen.
Wonach sich ein jeder wird wissen zu richten.
Signatum im Hauptquartier Bohern den 16. Mai 1649.
(Erlachisches Sigill.)
Sign.
H. L. v. Erlach