UN TRESOR
MONETAIRE
A L’ABBAYE DE
VAUCLAIR (AISNE)
Monnaies d’argent
et de billon du XVe au XVIIe siècle
Jean Duplessy, et
le Groupe « SOURCES »
(Extrait des Cahiers
Archéologiques de Picardie, 1979, n°6)
(Pages 173 à 227).
Depuis 1966, à
l'initiative du Comité départemental du Tourisme de l'Aisne, les ruines de
l'ancienne abbaye cistercienne de Vauclair sont l'objet de fouilles méthodiques
menées par le Groupe «Sources», sous la direction de la Circonscription
Archéologique de Picardie [i].
Au cours de la
campagne de fouilles de 1973, un important trésor monétaire fut mis au jour.
Faut-il rappeler, à ce sujet, que l'archéologie scientifique n'a strictement
rien de commun avec la « chasse au trésor » qui sévit si souvent de nos jours ?
Pour l'archéologue, un trésor monétaire constitue un document historique auquel
il ne confère ni plus ni moins d'attention qu'à chaque élément du mobilier que
ses recherches mettent au jour.
1. ETUDE ARCHEOLOGIQUE
Le trésor monétaire de Vauclair fut découvert dans le secteur de l'hôtellerie monastique. Il s'agit d'un vaste complexe de constructions diverses, souvent remaniées au cours des siècles, et qui s'étend entre la Porterie et la façade ouest du bâtiment des Frères Convers. Le rôle traditionnel de ces hôtelleries est bien connu : elles servent à héberger pour un séjour généralement assez bref les hôtes de passage qui n'ont pas accès aux lieux réguliers, c'est-à-dire aux bâtiments monastiques où se déroulent la vie quotidienne des moines.
Les importants
résultats des recherches menées par le Groupe « Sources » à l'emplacement de
l'hôtellerie de Vauclair n'ont pas encore été publiés. En effet, une partie de
ce secteur, qui était boisée et inaccessible à la fouille, empêchait jusqu'à
présent d'achever ces travaux. Ils seront repris en 1980, après la coupe des
arbres qui recouvrent cet emplacement [ii].
Pour mieux situer
le lieu d'enfouissement du trésor monétaire, signalons simplement qu'un
bâtiment central d'hôtellerie fut construit au début du XVIIe siècle
pour remplacer une construction du XIIIe siècle détruite par
l'incendie de la Ligue, en 1590. C'est à quelques mètres du mur sud de cette
nouvelle hôtellerie que furent enfouis les deux sacs de monnaies découverts en
1973.
Mise au jour du
lot A
Au matin du
vendredi 3 août 1973, en commençant le travail, un fouilleur rectifiait à la bêche
la paroi ouest du carré U 18 (cf plan de la fouille). Deux monnaies identiques
s'échappèrent de cette paroi. Cette simultanéité intrigua et un sondage
effectué au grattoir allait révéler peu à peu qu'un lot important de monnaies
semblables se trouvait à cet endroit, dans la banquette de terre séparant le
carré U 18 du carré T 18.
Toutes ces
monnaies, fortement collées ensemble sous le poids des remblais, se trouvaient
sur les fondations assez irrégulières d'un ancien mur arasé. Une petite pierre
plate avait été placée au-dessus du paquet de monnaies.
Sur les pièces qui se trouvaient à l'extérieur du lot, on a pu relever nettement des fragments de tissus. Il semble donc certain que ces pièces étaient contenues dans un sac.
Au point de vue
stratigraphique (cfr coupe 1-1'), le lot de monnaies se trouve dans une couche
de remblai différente de la couche de surface qui la surmonte. Cette dernière
se présente comme une couche de sable un peu argileux, fort sombre, et encombré
de menus fragments divers et de toutes époques. Il s'agit vraisemblablement de
la couche de terre arable que l'on cultivait à Vauclair, à cet emplacement,
avant la guerre de 1914-1918.
La couche
suivante, où se trouvaient les monnaies, est faite d'un sable argileux moins
sombre, légèrement plus jaunâtre. Ce lot de monnaies occupait un emplacement
mesurant approximativement 32 cm de long et 20 cm de large. Il atteignait une
hauteur variant, selon la poussée des remblais, entre 15 et 20 cm. Notons aussi
que le niveau inférieur de ce lot de monnaies se trouvait à environ 50 cm du
niveau du sol, au moment de la fouille, c'est-à-dire à une très faible
profondeur.
Après un dégagement très lent et très minutieux, un premier comptage nous
révélait que ce lot contenait environ 3 400 pièces en billon. La plupart
d'entre elles étaient recouvertes d'une forte patine verdâtre et certaines
portaient la contre marque à la fleur de lis qui fut ordonnée en 1640.
En dégageant très
attentivement le niveau des fondations sur lequel reposait le lot des monnaies,
on découvrit encore une trentaine de pièces semblables dispersées - au même
niveau - sur une aire de plus d'un mètre carré.
Une petite médaillette avec bout de chaînette fut découverte à côté du paquet de monnaies.
Ces 3 400 pièces
de monnaies, qui constituent le lot A de l'étude archéologique, sont présentées
comme le second lot de l'étude numismatique.
Mise au jour du
lot B
En continuant à
dégager attentivement le niveau des fondations qui avaient servi de base à la
cache du lot A, nous devions découvrir deux ou trois pièces d'argent (quarts
d'écu) semblables à une monnaie découverte antérieurement dans l'extrême angle
N-0 du carré U 19.
Les recherches se
poursuivirent en entamant la berme de terre qui séparait les carrés T 18 et T
19. Assez rapidement, un autre lot de
monnaies apparut, au même niveau que le précédent, disposé de manière identique
sur les fondations arasées, et se trouvant à cinquante centimètres du lot A. De
la même manière aussi, des fragments de tissus se trouvaient sur certaines
monnaies extérieures de ce lot.
D'une manière plus
accusée que pour le lot A, le sac de ces pièces d'argent avait été placé sous
une sorte de couverture faite en petits moellons plats. Ces moellons mesurent
environ 20/30 cm x 15/20 cm x 2 cm d'épaisseur. Notons aussi que ce lot de
monnaies était placé vers le milieu des fondations sur lesquels il reposait.
Cette seconde
découverte fut faite au matin du jeudi 9 août 1973 et se composait de plus de
800 pièces en argent. Il s'agit du premier lot de l'étude numismatique.
Le mode
d'enfouissement
Il ne fait pas de doute que ces deux sacs situés dans le même contexte archéologique constituent un même ensemble monétaire enfoui en un seul temps.
Nos recherches de
1972 avaient clairement établi qu'après l'incendie de la Ligue en 1590, un
nouveau bâtiment d'hôtellerie fut construit au début du XVII, siècle, à la place
d'une construction antérieure. Ce remaniement nécessita l'arasement complet des
bâtiments antérieurs à l'incendie de 1590. Il est donc certain qu'à la moitié
du XVIIe siècle - date de l'enfouissement, d'après l'étude
numismatique - le mur, sur les fondations duquel reposaient les monnaies,
n'existait plus. L'emplacement choisi pour l'enfouissement était dérobé à la
vue des voies d'accès de l'abbaye par le nouveau bâtiment du XVIIe
siècle, orienté E-0. C'est à quelques mètres du mur sud de cette construction
que furent enfouis les deux sacs de monnaies. Tout le contexte archéologique
semble indiquer un enfouissement hâtif : faible profondeur de la cachette,
éparpillement de certaines pièces autour des deux sacs, cache assez sommaire.
Par ailleurs, l'enfouissement
à cet emplacement - hors clôture - du quartier des hôtes indique manifestement
qu'il ne s'agit pas d'une cache réalisée par les moines mais par un laïc
réfugié dans l'hôtellerie. L'étude numismatique permettra de préciser avec
précision la date de l'enfouissement et son insertion dans le contexte
historique fort tourmenté de cette époque [iii].
[i] Sur le plan administratif, les ruines de
Vauclair se trouvent sur le territoire de Bouconville - Vauclair, canton de
Craonne, département de l'Aisne - Sur la carte de l'I.G.N. (1/25 000e),
Vauclair se trouve sur la feuille Craonne 1 et 2, coordonnées Lambert, zone
nord, entre 702 et 703 d'une part, et d'autre part, entre 196 et 195.
[ii] Rappelons brièvement les
principales publications sur les fouilles de Vauclair :
Claude
Stas, « Un ensemble funéraire de la Tène III, dans le site de
l'abbaye de Vauclair », Mémoire présenté à l'Université de Liège, en 1970.
Une partie de ce mémoire a été publiée dans « La Revue du Nord », n°
211, oct.-déc. 1971, pp. 579-618.
M.
El. Litt, « Deux fours de potiers gallo-belges, à l'abbaye de
Vauclair », « Revue du Nord », n° 202, juillet-sept. 1969, pp.
413-453.
R.
Courtois, « La première église cistercienne de l'abbaye de Vauclair
», « Archéologie Méd.iévale », II, 1972, pp. 103-125.
Anne-Véronique
Sautai-Dossin, « La céramique de la fin du Moyen Age à
Vauclair », Archeologie Médiévale, V, 1975.
Groupe
« Sources », « Un four tuilier médiéval à l'abbaye de Vauclair », « Cahiers
Archéologiques de Picardie », 1975, pp. 69-76.
[iii] Immédiatement après sa découverte, le trésor monétaire de Vauclair
fut confié pour étude au Cabinet des Médailles, à Paris. Le Groupe «
Sources » tient à exprimer sa très vive gratitude à M. Jean Duplessy qui mena à
terme ce travail considérable avec une rare érudition. Les photographies -
remarquables - des monnaies ont été réalisées par Madame Roulot, photographe au
Cabinet des Médailles.