CONCLUSION
Comme nous avons pu le constater, notre état de la question concernant
l'usage et l'évolution du pavement céramique médiéval, les documents abondent et
révèlent la vogue de cette technique décorative. Mais, l'étude systématique
n'en est qu'à ses débuts et demeure beaucoup plus incertaine que celle - encore
récente - de la poterie médiévale.
En étudiant une série de documents inédits, parfaitement identifiés quant à leur provenance et, pour la plupart, relativement bien datés, nous avons simplement cherché à faire progresser quelque peu la connaissance de ce secteur de la céramique médiévale. En unissant le plus intimement possible l'étude de ces productions décoratives et celle de leur origine artisanale, nous avons tenu compte d'une orientation actuelle de. la recherche médiévale :
"L'union de l'art et de l'artisanat est à l'origine de la beauté,
si frappante par le contraste avec leur banalité ou leur laideur d'aujourd'hui,
des objets familiers, coffres, cruches,
carreaux vernissés, plats d'étain, que sait-on. Ceux-ci méritent donc de
retenir non seulement l'archéologue mais aussi l'historien de l'art. Et
l'historien de la société et de la civilisation, qu'ils aideront à retrouver le
visage du passé." [i]
Dans cette perspective, nous pensons Pouvoir déboucher sur quelques
conclusions.
Pour le domaine qui nous importe davantage, dans le présent travail,
celui des pavements décorés, 'état de la question montre que les pavements émaillés
à décor incrusté que l'on conserve sont surtout répandus en France, en Angleterre,
en Belgique et, plus rarement en Hollande. Les pavements contemporains
allemands, suisses et autrichiens, procèdent généralement d'une autre technique
de décoration : le décor gravé ou en relief, émaillé ou non.
Le pavement à décor incrusté est une évolution du pavement mosaïqué, à
partir d'un perfectionnement technique. Ce type de pavement a duré plusieurs siècles
et se rencontre du XIIIe au XIVe siècle. Il atteint sa période d'apogée dans le
première moitié du XIIIe siècle et, à partir de ce moment, il évoluera peu à
peu sur le plan stylistique, mais
souvent au détriment de la
qualité esthétique.
La plupart
des carreaux médiévaux présentent des motifs iconographiques reflétant la vie
et les préoccupations de la noblesse médiévale : héraldique, vénerie,
chevalerie, etc... Les thèmes religieux sont extrêmement rares et constituent
des exceptions sur quelques documents qui peuvent aussi bien avoir servi de
revêtement que de pavement. Pourquoi ? Les indignations éloquentes de saint
Bernard auraient-elles contribué à écarter les motifs religieux de l'iconographie
des pavements, dans une attitude de respect envers des scènes nécessairement
destinées à être foulées au pied ? Dans tous les cas, les centres de production
semblent bien offrir indifféremment
le même genre de pavements aux édifices civils qu'aux établissements religieux.
Pour ce qui regarde les motifs iconographiques, les carreaux décorés que l'on
trouve à l'abbaye de Vauclair ressemblent à ceux des grands châteaux du
Laonnois et du Soissonais. Pour le pavement, une abbaye est assimilable à une
demeure seigneuriale. Aussi, ne faut-il pas s'étonner de l'absence de tout écho
de la vie quotidienne populaire dans les motifs de ces pavements. "Il y
avait alors les chansons du château et les chansons du peuple", a-t-on pu écrire
pour le XIIIe siècle français. [ii]
A leur manière, les humbles motifs décoratifs d'un pavement révèlent autant
qu'une chanson la réalité des "ordines" du Moyen Age.
Si les documents sont nombreux, les sources demeurent incertaines pour
les datations et, pour certaines régions, fort lacunaires dans l'information.
La Grande-Bretagne
est le seul pays où l'on trouve des tentatives de synthèse dans l'étude des pavements
médiévaux et des efforts pour dégager quelques courants par époque et par
région. En France, le seul ouvrage d'ensemble consacré à ce sujet, est
l'ouvrage d'E Ame : Les carrelages émaillés du Moyen-Age et de la
renaissance. Il date de 1859 ! Son importante documentation est
irremplaçable. Mais les datations doivent être acceptées avec prudence. Elles
sont souvent basées sur des donnés stylistiques plutôt qu'archéologiques. En Belgique,
on trouve une série de monographies de fouilles locales qui révèlent de multiples exemples de pavements céramiques médiévaux,
mais il n'existe encore aucun ouvrage de synthèse.
Il est urgent de combler nos lacunes dans la connaissance du pavement médiéval.
Il s'agit d'une question de temps et de travail. Mais n'est-ce pas aussi et surtout
une question de méthode? Dans une étude récente, parue sur la céramique, peut
lire cette définition :
"La céramique recouvrira ici deux entités : les récipients de
terre cuite et de grès. On n'envisagera pas les pavements et ]les revêtements, qui
relèvent de, l'architecture et de ses techniques décoratives ... " [iii]
Si l'on se place dans la perspective de l'utilisation architecturale des
carreaux, cette distinction entre poterie et carreau se justifie fort normalement.
Mais l'est-elle autant si l'on considère le mode de fabrication et le domaine de
l'artisanat médiéval ? Certains fours anglais du Moyen Age ont produit
indifféremment des poteries, des carreaux et des tuiles.
Les difficiles problèmes de datation, qui pèsent si lourdement sur
l'étude de la céramique médiévale, ne s'en trouveraient-ils pas résolus plus
aisément si l'on cherchait à mieux associer, solidairement à leur lieu d'origine
et de production, toutes les créations artisanales que tant d'éléments
unissaient jadis étroitement?
Par ailleurs, dans le domaine de la recherche, ne faut-il pas
encourager et hâter la constitution de "corpus" des carreaux
médiévaux ? A l'heure actuelle, les documents disparaissent très rapidement
sous les coups conjugués de l'indifférence des historiens d'art et ceux de la
rapacité des brocanteurs.
Pourtant , à leur manière - si souvent humble et discrète - les créations
artistiques du pavement céramique médiéval demeurent des témoins culturels
importants.