DEUX FOURS DE POTIERS GALLO-BELGES
A L'ABBAYE DE VAUCLAIR (AISNE) i
I. SITUATION ET DÉCOUVERTE DES FOURS.
Installée au centre du triangle Reims-Laon-Soissons et
située dans la vallée de l'Ailette, au bas du Chemin des Dames, l'Abbaye de
Vauclair (Aisne), dont la fouille fut commencée en avril 1966, par le groupe
d'archéologie « Sources», sous la direction du Père René Courtois, réservait de
grandes surprises à notre équipe de fouilleurs.
Personne ne s'attendait, en effet, à découvrir sous
les ruines de l'abbaye cistercienne qui fut fondée à Vauclair en 1134 ii, les
traces d'habitats antérieurs. Et
pourtant, déjà lors de la première année de fouilles, en juillet 1966, une
tombe à incinération, datée de La Tène III, fut découverte sous les fondations
du choeur de l'église du XIIe siècle (Pl. 2-1). Une autre tombe fut retrouvée dans la galerie du bâtiment des
convers (Pl.
2-2). La mise au jour, en août 1967 et septembre 1968, de deux fours de
potiers gallo-belges, allait bientôt ajouter un nouveau chaînon à cette
succession d'habitats à Vauclair.
Alors déjà, Vauclair était située peut-être le long
d'une voie de communication. En effet, rien ne nous interdit de penser que le
Chemin des Dames., qui suit le tracé de la crête, fut, déjà au début de notre
ère, une voie de passage dans la région (Pl. 3). N'oublions pas que la bataille de l'Aisne, livrée par César, en
57 a. Chr., se déroula à quelques kilomètres de Vauclair à quelque emplacement
que l'on situe l'oppidum gaulois de Bibrax iii.
Cependant, la première
abbaye cistercienne de Vauclair fut toujours considérée comme le premier
établissement sur ce site (croyance encore renforcée par la légende, si tenace,
des moines défricheurs s'installant en un endroit non encore occupé). Hormis la
Charte de fondation de l'Abbaye iv, citant la
terre de Vauclair comme « cultivée depuis toute antiquité », (mais cette
remarque fut ignorée jusqu'à ces toutes dernières années), rien ne laissait
prévoir, en effet, que des vestiges aussi intéressants qu'un atelier de
potiers, laissant supposer l'existence d'un habitat contemporain à cet endroit,
subsistaient sous les fondations de cette première abbaye.
C'est en ouvrant un
carré (Pl.
2, a) à l'extérieur du mur de retour du transept Nord de
l'église du XIIIe siècle, qu'apparurent les traces du Four A. Quant
au Four B, il fut repéré en dégageant les contreforts du mur Ouest de la
galerie du cloître, en face de la galerie des convers (Pl. 2, b).
Ils se situent respectivement sur les parcelles 17 (Four A) et 16 (Four B) du
cadastre établi en 1968.
L'importance de cette
découverte n'est pas à négliger, car à notre connaissance, aucune trouvaille de
fours n'a été signalée dans le département de l'Aisne, soit qu'il n'y en ait
pas (ce qui est peu probable), soit qu'ils aient été retrouvés tout à fait
fortuitement.
II. FOUILLE ET
DESCRIPTION.
1. FOUR A (Planches 4 et 5).
Dès l'ouverture du
carré XV, après la couche de sol en place (10 cm), nous nous trouvons en présence
de terre noire renfermant une grande quantité de tessons. Le dégagement du
carré XIV, à l'Ouest de XV, ainsi que l'enlèvement de la banquette de terre
séparant ces carrés, révèlent également une forte densité de tessons. Cette
concentration continue et augmente au fur et à mesure que l'on descend ; la
terre devient très noire à partir de - 40 du sol en place. Dans le coin
S. 0. de XV, on
remarque des débris rouges d'argile durcie au feu.
Sous la couche de
terre brûlée apparaît un muret de pierres informes (± 20 x 20 x 15 cm) liées à
l'argile jaune et formant une circonférence de plus ou moins 1,30 m de diamètre
à l'extérieur. Plusieurs de ces pierres (surtout sur leur face intérieure) sont
rosies au feu et fendues par la chaleur. Elles subsistent encore sur plusieurs
assises sur le côté Sud du four. Le dégagement ultérieur révélera que ce muret
de pierres s'étend encore vers le Nord, au-delà de la limite Nord du carré XV,
pour former un ovale de 2,40 m dans son diamètre extérieur pour la plus grande
largeur.
A l'intérieur du
cercle de pierres et tout contre celles-ci, apparaît un revêtement de terre
cuite fortement rougie par la chaleur, mais non lutée, dont l'épaisseur varie
entre 10 et 6 cm. Il s'agit de la paroi
interne de la cloche du four : elle est compacte et en parfait état pour les
parties retrouvées. Ce revêtement, comme le muret, a été détruit sur le côté O.
par le caveau B (Pl. 4) ; sur le côté N. par la tranchée de
démolition du mur du transept Nord de l'église XIIIe (effondrement
vers le centre sous la poussée du remblai de démolition et vers l'Est par la
tombe creusée dans le four même.
En descendant à
l'intérieur du four, on remarque deux orifices pratiqués dans la paroi du four,
situés l'un en face de l'autre, dans l'axe de la plus grande largeur. Les
entrées de ces orifices sont fort soignées et intactes : ce sont les conduits
de chaleur de notre four. Elles étaient obstruées par la couche de charbon de
bois, argile et tessons remplissant l'intérieur du four. Le conduit partant en
direction S.-E. est entièrement conservé sur une longueur de 60 cm à travers la
paroi de terre cuite et le muret extérieur. Son ouverture est évasée et a un
diamètre de plus ou moins 15 cm, qui reste constant sur toute sa longueur. Les
parois intérieures du conduit sont également entièrement en terre cuite lissée
avec soin. Le conduit communique avec le foyer dont les traces restent
visibles. Au S.-E. du four, en effet, on remarque de l'argile jaune en place,
vitrifiée à plusieurs endroits. On s'aperçoit aussi que tout le secteur est
couvert de la couche de terre brûlée noire qui contient les tessons. De
nombreuses traces de charbon de bois se trouvent également entre la paroi Sud
du four et la paroi du carré XV.
Du conduit partant en
direction N., il ne reste que l'entrée évasée, parfaitement visible dans la
paroi de terre cuite et à travers le muret extérieur du four. A cet endroit de
la paroi de terre cuite, d'ailleurs, les pierres extérieures ont disparu et
nous avons tout un pan d'argile vitrifiée qui subsiste en élévation sans plus
aucun soutien extérieur.
Les deux conduits de
chaleur sont orientés N.-S. et coïncident, à 150 près, avec le Nord
magnétique actuel. Nous en reparlerons plus longuement lors de la description
du Four B v.
A l'intérieur de la
cloche du four, dans la chambre de chaleur, après une couche de terre noire,
plus grasse et plus dure que la couche extérieure et mêlée de quelques tessons
seulement, on trouve des morceaux de terre cuite rouge, véritables briquettes,
irrégulières, mais d'égale épaisseur (3 cm). Il s'agit sans doute de débris du
revêtement intérieur de la chambre de chaleur., car nous remarquons que ces
débris ont la même couleur et la même consistance que cette paroi. Certains
fragments un peu plus grands accusent même une forme légèrement concave et
semblent donc bien indiquer qu'ils proviennent de l'effondrement de la cloche.
Ensuite, nous avons une
couche très compacte de 6 à 7 cm de tessons, généralement plus grands que ceux
trouvés en surface et tout autour du four, amalgamés à de l'argile et à de la
terre noire très grasse, sorte de suie collante. Vient alors une couche de 1 ou 2 cm de petits charbons de bois et
enfin la base de la chambre de chaleur faite d'un massif compact de terre cuite
entièrement durcie et très résistante, comme
la paroi, mais de couleur gris-bleu mêlée de traces rouges et gris très foncé
vers les deux conduits.
Il est à remarquer que
nous ne trouvons aucun débris de sole sur la plate-forme, ni aucune trace d'un
système quelconque de soutien de sole, tant sur cette plate-forme que dans la
paroi de terre cuite.
Entre la base de la
paroi intérieure d'argile vitrifiée et la plate-forme, il y a une rigole de
plus ou moins 15 cm de large et de 12 cm de profondeur. Cette rigole court au
bas de la paroi intérieure et la continue formant un tout avec celle-ci pour se
terminer par la plate-forme de la base du four (Pl. 5). On a ainsi l'impression que l'intérieur de la chambre de chaleur
a été tapissé d'une chape de terre cuite faite d'une seule pièce.
Cette rigole est faite
de la même argile vitrifiée que la plate-forme surélevée de la chambre et que
sa paroi intérieure ; elle a la même teinte rouge brique, sauf aux abords des
deux conduits, où elle est d'un gris très foncé, presque noire. Elle était
comblée de terre noire grasse, de suie, de très peu de tessons, ce qui nous
indique qu'elle ne pouvait servir à recueillir les débris ou éclats de vases et
de morceaux de charbon de bois ou de paille, provenant peut-être de la
construction du four.
Le four, entièrement
dégagé, présente une forme ovale et a 2,40 m et 1,75 m comme diamètres
extérieurs ; 1,36 m et 1 m comme diamètres intérieurs. Il descend jusqu'à - 148
du sol en place. (Pl. 5 et 6).
Fonctionnement
du Four A.
Nous sommes
incontestablement en présence d'un four de fabrication très soignée et
construit très solidement. Nous avons ainsi la chance de le retrouver en un
état de conservation assez exceptionnel malgré les établissements et
constructions postérieurs à cet emplacement. Il faut aussi noter qu'il est rare
de mettre au jour un four de potiers en aussi bon état.
Cet heureux hasard
nous permet d'observer le système de fonctionnement caractéristique à notre
four, puisqu'aussi bien ses structures essentielles sont restées intactes et
ont résisté aux bouleversements ultérieurs.
Ces caractéristiques spéciales sont évidentes et bien
que les grands principes de fonctionnement d'un four soient respectés, il saute
aux yeux que nous sommes en présence d'un système, non pas particulier, mais du
moins inhabituel. Le plan (Pl. 5) nous montre une plate-forme ovale (1),
fortement vitrifiée, ceinturée d'une rigole (2) joignant les deux ouvertures
pratiquées dans la chambre de chaleur à ses deux extrémités, suivant l'axe le
plus long : (3) et (4). En observant ce que le sol nous a restitué, on ne peut
que déduire que nous avons exhumé ici un four à tirage horizontal, fonctionnant
sans sole proprement dite vi, la plate-forme surélevée en tenant lieu. La chaleur
était donnée par deux foyers (5) et (6) extérieurs, placés l'un en face de
l'autre, aux deux extrémités de la chambre de chaleur et était conduite à
l'intérieur de celle-ci par les deux entrées voûtées (3) et (4) pratiquées dans
la paroi. Les vases devaient être placés directement sur la plate-forme (1) la
rigole (2) servant à entraîner la chaleur et à la répandre à l'intérieur.
Venant de deux côtés opposés, ces flux de chaleur devaient alors se rencontrer
et monter pour remplir la cloche. Un orifice (7) pratiqué dans la paroi au
niveau de la plate-forme pouvait servir pour l'enfournement puis, en partie
rebouché, faire office de cheminée pour assurer le tirage et l'évacuation de la
fumée. Nous avons pu constater, en effet, une cassure dans la paroi de la
chambre de chaleur, entre celle causée par la sépulture médiévale et le conduit
Nord (Pl.
4). Cependant, cette ouverture servait peut-être uniquement à
l'enfournement et une cheminée aurait alors été aménagée au sommet du dôme.
Pourtant, aucune trace d'un tel dispositif n'a pu être repérée sur les débris
de la cloche jonchant l'intérieur de la chambre.
Telle est donc
l'explication qui s'impose à nous lorsque, nous considérons les vestiges retrouvés. Il est évidemment peu
commun de retrouver un four aux ouvertures multiples comme c'est -le cas ici.
Cependant, comme nous n'avons repéré aucune trace permettant de croire que les
deux entrées de chaleur n'ont pas fonctionné en même temps (il n'y a en effet,
pas d'indices montrant que l'une des deux entrées aurait pu être bouchée), nous
sommes bien obligée d'admettre le-principe d'un four à double alandier.
Le cas est loin d'être
unique. Même si pour l'instant, nous n'avons pu repérer aucun cas
semblable en Europe continentale, pour l'époque gallo-romaine, il existe cependant
en Angleterre, parmi les innombrables fours qui y ont été découverts, des
exemples du même type : à Overwey Tilford vii, FarnhaM viii, Snailslynch
Farm ix,
Binstead x,
Savernake Forest xi et Colchester xii.
Les Anglais,
d'ailleurs, qui se sont particulièrement intéressés à cet aspect de la technologie
de la céramique, parlent de deux types de fours gallo-romains xiii : il s'agit de updraught
kilns et de horizontaldraught kilns.
Il faut noter également que ce système à double tirage, ou tirage horizontal (étant donné que les foyers se situent au niveau de la plateforme faisant office de sole, sur laquelle reposent les vases) est encore d'application de nos jours dans les ateliers de céramique. Ce type de four a des brûleurs des deux côtés de la chambre de chaleur. La flamme y pénétrant, heurte une sorte de petit muret, formant un étroit couloir le long de la paroi, à la base de la chambre de chaleur (dans notre cas la rigole remplace ce petit muret), et est renvoyée vers le haut. Sous l'action du tirage de la cheminée, placée à l'arrière du four, la chaleur montante tournoie et est attirée vers les vases enfournés xiv (Pl. 7).
Il nous a été affirmé,
par ailleurs, que certains fours de la Manufacture Nationale de Sèvres
fonctionnaient encore aujourd'hui de la même façon.
PHOTOGRAPHIES
:
planche 8,
planche 9,
planche
10
Voir toutes les photos
(diaporama)
Conservation.
En annexe à la
description de ce Four A, nous voudrions dire un mot au sujet de la
conservation du four. Devant des vestiges aussi importants et aussi
intéressants, et dans le cadre de la mise en page de tout le site de Vauclair,
cette expérience de sauvetage de notre four devait être tentée. Il est évident,
en effet, que ses structures d'argile vitrifiée, si dures et si résistantes, ne
tarderaient pourtant pas à se détériorer sous l'action de l'eau, du gel et de
l'atmosphère.
L'ennemi numéro un étant l'eau et
l'humidité du sol, il fallait protéger le four de la pluie et en même temps
éviter qu'il soit attaqué par le dessous et que les infiltrations d'eau ne le
fassent éclater.
Nous avons donc
commencé par consolider les parties subsistantes les plus fragiles, telles que
la paroi d'argile vitrifiée, surtout aux endroits où elle fut cassée, le petit
muret de pierres extérieur et la chape d'argile recouvrant le tout. Nous avons
couvert ces parties d'enduit « Polyfilla » en essayant chaque fois de retrouver
plus ou moins la couleur originelle, mais de telle sorte que les parties
intactes et non consolidées ressortent aisément de l'ensemble. Ce renforcement
effectué, une solution de résine cellulosique fut projetée sur l'entièreté du
four et ses tout proches alentours.
Cette résine pénètre
sur une profondeur de 3 mm et rend donc les parties traitées totalement
imperméables.
Après application du
produit, lors d'un premier essai « d'inondation » du four, l'eau ruisselait et
perlait sur toute sa surface, même aux endroits normalement très poreux.
Pour éviter que l'eau
s'écoulant et s'infiltrant dans le sol à côté ne fasse éclater l'argile
vitrifiée maintenant imperméable, deux grands puisards ont été creusés aux
alentours, reliés à deux extrémités du four par des canalisations souterraines.
Il est possible que
par la suite une cage de verre soit placée sur l'ensemble du four. Il y aura
cependant alors un problème de condensation sur les parois en verre à
l'intérieur de cette cage et la question n'a pas encore été résolue.
Nous tenons à
remercier ici M. Crevaut, l'inventeur de cette solution de résine cellulosique,
qui a bien voulu nous apporter son aide et sa contribution à ce travail de
conservation.
2. FOUR B (Planche 11).
En dégageant
l'enchevêtrement de murs occupant une partie de l'intérieur du cloître, le long
de la galerie Ouest, apparaissent les premiers signes indiquant qu'un four se
trouvait à cet emplacement. Après la couche de 10 cm de sol en place, on
rencontre des morceaux d'argile rougie ainsi que de la terre noire, brûlée,
traces évidentes d'un foyer. Encastrées dans les murs érigés lors des
remaniements du cloître et ceux des constructions postérieures à l'occupation
du monastère, ces traces étaient minimes en surface et il fallut procéder avec
minutie.
On ne rencontre aucun
tesson en surface, mais deux petites pierres rosies, analogues à celles formant
le muret extérieur de protection du Four A, subsistent seules à ce niveau. A l'extrémité
Ouest du secteur, le dégagement se fait rapidement, car aucune construction
postérieure n'est venue se superposer à cet endroit. Par contre, à 0,35 ni du
mur (a), de gros moellons apparaissent sitôt la couche supérieure enlevée. Un
mur tardif, (c), a été érigé sur une partie du four. On procédera par la suite
à l'enlèvement de ce mur de 65 cm de long sur 63 cm de large.
Au niveau de l'assise
supérieure du mur (a), apparaissent plusieurs pierres, liées à l'argile,
rougies par le feu et formant le muret extérieur du four. Le muret, lui-même,
est tout entier enrobé et recouvert vers l'extérieur d'argile crue. Contre ce
muret, la paroi interne de terre cuite rouge subsiste sur une hauteur maximum
de 25 cm. Elle est fendillée à de nombreux endroits et, vers le mur (b), sur
une distance de 25 cm, elle s'est effondrée dans la rigole, les pierres
extérieures ayant subi une forte poussée la faisant éclater. Cette paroi
complète du dôme, composée du revêtement d'argile cuite et du petit muret, aune
épaisseur moyenne de 15 cm.
Au Nord, une entrée de
chaleur est encore nettement visible, bien que la voûte pratiquée dans la paroi
ait disparu. On distingue encore cependant la courbe que fait la paroi de terre
cuite, gris foncé à cet endroit, là où commence le conduit faisant la
communication entre le foyer extérieur et l'intérieur de la chambre de chaleur.
Les pierres du petit muret sont encore en place de part et d'autre du départ du
tunnel. Cette ouverture dans la paroi est large de 15 cm.
Le foyer Nord est encore
très nettement marqué par de la terre noire et des morceaux d'argile cuite
ainsi que par quelques fragments de céramique noire. Les traces de foyer
s'étendent vers le N.-O., mais sont interrompues par les assises du mur (a).
Du foyer Sud il ne
reste que quelques indices. En effet, le mur (b) est venu casser le four juste
à l'endroit où aboutit le conduit de chaleur dans la paroi de la cloche. On
distingue cependant encore la présence du tunnel et son départ est visible dans
la paroi de terre cuite à l'Est, de même que dans la paroi Ouest, mais de façon
moins perceptible de ce côté, là où la paroi s'est en partie affaissée. Ce
second conduit de chaleur est large de 15 cm.
Après enlèvement du mur médiéval de
gros moellons (40 x 30 x 25 cm), on s'aperçoit que toute la paroi Est du four,
terre cuite et muret de pierres, a été arasée au niveau de la plate-forme de la
chambre de chaleur. Sous la dernière assise du mur (c), à l'extérieur du four, on retrouve des cendres et de la terre noire en
une couche uniforme mais peu épaisse (5 cm).
La rigole est
parfaitement conservée et court au bas de la paroi, sur tout le pourtour de la
chambre de chaleur. Elle était comblée de fragments de terre cuite rouge,
provenant du revêtement intérieur de la cloche, de quelques tessons, ainsi que
de charbon de bois. Elle est faite de la même argile cuite, rouge, que la
paroi, et est de teinte gris bleu, parfois noire, à proximité des deux conduits
de chaleur. Elle a une largeur constante de 8 cm, sauf à l'endroit où la paroi
s'est affaissée vers l'intérieur, où elle n'a pas plus que 4 à 5 cm de large.
Sous le mur (c), après
une couche de 5 à 6 cm faite de fragments d'argile cuite rouge, accumulés à la
suite de l'effondrement du dôme, de quelques tessons et de terre noire très
grasse, la plate-forme apparaît entièrement conservée. Elle s'affaisse
cependant au centre, mais sans se craquer ni se casser. En deux endroits de
cette plate-forme, on aperçoit des pierres grises qui semblent appartenir à un
massif qui aurait formé la fondation de-la chambre de chaleur, et sur laquelle
on aurait simplement appliqué une couche d'argile.
La plate-forme, avec
la rigole, constitue la seule partie intacte du four, puisque la paroi de la
cloche ainsi que le muret extérieur ont été arasés à leur niveau sur toute la
moitié de la circonférence du four. Toutefois, la forme du four est très
nettement visible et ainsi tout le plan de la substructure de ce four B est
conservé.
Le Four B a 1,05 m de
diamètre extérieur, dans l'axe N.-S., 0,80 m de diamètre extérieur, dans l'axe
E.-O. ; il a un diamètre intérieur maximum de 0,87 m et un diamètre intérieur
minimum de 0,57 m.
Nous avons dit, à
propos du Four A xv, que son orientation ne différait que de 150 du Bord
magnétique actuel. A un ou deux degrés près, la même observation peut se faire
à propos du Four B. Il n'y a là peut-être qu'une simple coïncidence. Et
pourtant, les fours ont dû être orientés en fonction des vents dominants dans
la région à l'époque de leur utilisation. Il semblerait donc que nos deux fours
étaient en activité à la même époque, même s'ils sont si éloignés l'un de
l'autre. Cet éloignement (environ 150 m), en effet, pourrait paraître bizarre
pour deux fours contemporains. Mais il ne faut pas oublier que sur cette
distance de 150 ni entre nos fours, furent construites par la suite, une partie
du cloître et l'église du XIIe siècle, aux fondations très profondes (Pl. 2),
ainsi que l'église du XIIIe siècle et toutes les constructions postérieures. Il
est donc assez naturel qu'il n'y ait plus de traces de fours sur cette
superficie, niais il n'est pas impossible non plus que d'autres fours aient pu
être entièrement détruits par ces constructions. En effet, les ateliers de
potiers, comprenant parfois de très nombreux fours, pouvaient être très
étendus, mais alors tous les fours étaient généralement groupés
xvi parfois
même autour d'un unique foyer.
Il apparaît donc comme
très probable, compte tenu des constructions postérieures à cet emplacement,
que nos deux fours appartiennent bien à un même établissement, qui aurait été
relativement vaste, et qu'ils auraient fonctionné, si pas en même temps, du
moins durant des périodes de temps très proches.
L'orientation
identique de nos deux fours s'expliquerait donc de cette façon. Bien plus, elle nous incline à croire qu'il
en a bien été ainsi à cette époque dans l'atelier de Vauclair.
Quant au fonctionnement
de ce Four B, il est évident, étant donné ses structures identiques à celles du
Four A, qu'il a dû fonctionner de la même façon que celui-ci.
________________________
i Marie-Elisabeth Litt, extrait de la Revue du Nord
N°202 juillet-septembre 1969, Université de Lille – Faculté de lettres et
Sciences humaines
ii Les ouvrages ou articles traitant de l'Abbaye de Vauclair sont rares. La plupart même ne font que mentionner les ruines existantes. Il n'y est en tout cas jamais fait mention de vestiges antérieurs à l'arrivée des moines. Voici la bibliographie sommaire concernant l'établissement monastique: Archives dép. de l'Aisne, H. 666-591. Bibl. Nat., mss latin, 11073-11074, deux cartulaires, XIIe et XIIIe s.
AUBERT M., L'architecture cistercienne en France, Paris, 1934, 2 vol.
COTTINEAU, Répertoire topo-bibliographique des abbayes et prieurés, Mâcon, 1939, col. 3302.
FLEURY Ed., Antiquités et monuments du Département de l'Aisne, Paris, 1877-I882, 4 vol.
Gallia christiana, t. IX, 633, X, instrum., 195.
JANAUSCHEK L., Origines cisterciennes, Vienne, 1877, P. 32.
LE LONG, Histoire ecclésiastique et civile du diocèse de Laon, Châlons, 1783, pp. 252-254.
LENOIR A., Architecture monastique, Paris, 1852-1856, t. II.
LEQUEUX J. F. M., Antiquités religieuses du diocèse de Soissons et Laon, Paris, 1859, 2 vol., t. II, pp. 153-157. MEURGBY J., Armorial de l'église de France, Mâcon, 1938, p. 23.
PETIT V., Note sur la grange de Vauclair, dans Congrès Archéologique, 185 1, pp. 73-88.
POQUET, Excursions archéologiques à l'abbaye de
Vauclair, dans Congrès archéologique de France, t. XVIII,
1851-1852, pp. 66-73.
RHEIN A., L'abbaye de Vauclère (sic), dans Congrès archéologique de France, t. LXXVIII, 1911, pp. 226-246.
RHEIN A., Notes sur les édifices de l'abbaye de Vauclerc, dans Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1912, pp- 414-419-
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, Liv. I, ch. V, Statuta capitulorum
generalium ordinis cisterciencis, éd. J.
Canivez, Louvain, 1933-1941.
SHARPE Ed., The architecture of the Cistercians, Londres,
1874.
Citons enfin l'article du Père Anselme Dimier qui donne une très bonne synthèse de l'histoire de Vauclair et de son état actuel : DIMIER, Père Anselme, Vauclair, abbaye cistercienne, dans Archeologia, 14, janvier-février, 1967, pp. 39-50.
iii CESAR Jules, De Bello
Gallico, Commentaires sur la Guerre des Gaules, Livre II. Bibrax se
situerait, selon les auteurs, à Saint-Thomas (Aisne), au lieu-dit Vieux Laon,
ou sur une colline appartenant à la commune de Bourg et Comin (Aisne). Voir la bibliographie à ce sujet dans
l'article: LOBJOIS G., Les fouilles de l'oppidum gaulois du - Vieux
Laon - à Saint Thomas (Aisne), dans Celticum XV, suppl. à Ogam-Tradition
celtique, n° 106, 1966, pp. 1-34. Voir
aussi : JORSSEN M., Une énigme historique
et archéologique, Bibrax, dans.
Mémoires de la Société d'Agriculture, Commerce, Science et Arts du département
de la Marne, LXXXI, 1966.
iv Cartulaire de Vauclair, Charte de Fondation, Bibliothèque Nationale, mss. latin, 11073, fig. 1 : Bartholomeus laudarnensis episcopus confirmat fundaticum Vallis-Clarae ... Odo etiam de Tutto qui alteram medietatem ejusdem villae tenebat, totam terram quae antiquitus fuit arabilis eisdem fratribus concessit, excerpta Heri silva, de qua tamen ad omnes usus suos quantum vellent acciperant, et quidquid in decima ejusdern villae habebat...
vi CORDER Ph., Structure of
Romano-British Pottery Kilns, Council for British Archaeology, Research
Report, 5, London,1957, pp. 23-24.
vii CLARK A. J.,
The fourth-century Romano-british Pottery Kilns at Overwey, Tilford, Surrey
Archaeological journal, LI, 1949, pp. 29-56.
viii Surrey Archaeological journal, XX, 1907, p. 231.
ix Antiquarian Journal, VII, 1928, pp. 48-53.
x Journal of Roman Studies, LIV, 1964, p. I75.
xi ANNABLE F. K., A Romano British Pottery at Savernake Forest, Kilns
I-II, The Wiltshire Archaeological and Natural History Magazine, LVIII,
CCX, 1962, pp. 143-I55.
xii HULL M. R., The
Potters Kilns of Colchester, Reports of the Research Committee of the
Society of Antiquarian of London, XXI, Oxford, 1963 ; fours X et XI, pp. 3-5,
fig. 3-4.
xiii CORDIER Ph., op. cit., passim.
xiv NELSON G. C., Ceramics, a Patter's Handbook, New
York, 1966, P. 230, fig. 5.
xvi CORDER Ph., op. Cit., PP. 24-25.