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Le temps des malheurs

 

Alors que la paix régna à Vauclair durant la majeure partie du XIIIe siècle, en revanche, à la fin du siècle et dans la suite, au cours de ces années de grands troubles, de guerres continuelles, de relâchement des moeurs et de violences, le reflet de ces malheurs se fit sentir jusque dans les cloîtres, à Vauclair comme ailleurs.

C'est ainsi que l'abbé Ponce (1259- 1275), ancien abbé du Reclus, se fit remarquer au chapitre général de Cîteaux, en 1270, par ses paroles injurieuses contre l'abbé de Cîteaux, ce qui lui valut, comme punition, de ne pouvoir occuper sa stalle au choeur, et de devoir jeûner deux jours au pain et à l'eau.  Cinq ans plus tard, le même abbé s'emporta au chapitre général, ainsi que plusieurs de ses collègues, contre les définiteurs qu'ils traitèrent de satrapes devant toute l'assemblée, fomentant le schisme parmi les abbés.  Tous les coupables furent déposés sur-le-champ par le chapitre général.

Mais des malheurs plus sérieux vinrent bientôt s'abattre sur l'abbaye de Vauclair.

Le 28 octobre 1359, Édouard III d'Angleterre débarque à Calais, avec un immense appareil de guerre.  "Le plus grand charroi et le mieux attelé qu'on vit jamais sortir d'Angleterre", nous dit Froissart.  Objectif : Reims.  Vauclair se trouve sur la route et, sous l'abbatial de Guy de Colligis (1345 - 1362), le monastère fut pillé et brûlé par les Anglais.  Un religieux, le père de Favery, fut emmené et jeté en prison à Vailly, puis à Pontarcy où il mourut de misère.

Vauclair connaît les affres de la Guerre de Cent Ans.

L'abbé Jean Colleret (1362 - 1394) répara de son mieux les ruines du monastère.  Nouveau malheur : sous l'abbatial de Jean de Craonnelle (1394 - 1420), la peste enleva onze moines dans l'espace de cinquante cinq jours.  C'était en 1419.

Un rayon d'espoir a-t-il touché le monastère en 1429, lors du Sacre de Charles VII, à Reims ? Toujours est-il qu'au lendemain de cette journée, le 22 juillet 1429, après avoir vénéré à Corbeny les reliques de saint Marcoul, Jeanne d'Arc empruntait le Chemin des Dames, et se rendait à Vailly les bourgeois de Soissons venaient lui remettre les clés de la ville. Du seuil d'Hurtebise, sur l'étroite crête séculaire, Jeanne, heureuse encore, a pu voir les murs blancs de Vauclair...

 

 

Un crime à Vauclair

 

Élu abbé, à la fin du sombre XVe siècle, Pierre Jonard (1479 –1503)  sut gagner la confiance du chapitre général de Cîteau qui le chargea, de concert avec l'abbé de Signy, de visiter l'abbaye féminine du Sauvoir-sous-Laon et d'y remettre de l'ordre.

Mais la fin de son abbatiat fut assombrie par un événement tragique. Un moine de l'abbaye, Pierre Yserra, fut assassiné le 23 octobre 1503 ; et comme un religieux avait pris la fuite, il fut soupçonnéd’être l'auteur du meurtre. L'abbé de Cîteaux se rendit sur-le-champ à Vauclair et prit les mesures les plus sévères contre l'abbé et les religieux, Pier    re Jonard et la moitié des religieux devraient être expédiés dans d’autres abbayes très régulières, où ils seraient tenus en prison pendant trois mois, au pain et à l'eau. Les autres religieux demeurés à Vauclair devraient, eux aussi, jeûner au pain et à l'eau jusqu'au prochain chapitre général et prendre la discipline au chapitre tous les vendredis pendant le même laps de temps, le nouvel abbé ne devant pas se soustraire à cette pénitence.

L'ancien abbé devrait être écarté pour toujours de Vauclair et se tenir à la disposition du chapitre général ou de l’abbé de Cîteaux.

On devrait exécuter un tombeau de pierre pour le frère assassiné, et chanter pour lui un office solennel chaque année à perpétuité. De plus, l’abbé et les moines seraient tenus d’obtenir, au plus tôt, à leurs frais, la punition du coupable et de ses complices.

Enfin, on ne pourrait jamais recevoir au monastère les parents ou amis de l'ancien abbé, pour quelque raison que ce soit, sous peine des plus graves censures de l’ordre.

Telles sont les mesures d’une extrême gravité prises contre l'abbé et la communauté de Vauclair dans cette tragique affaire, qui reste fort obscure, et dans laquelle on ne saurait dire quelle fut la responsabilité de l'abbé Pierre Jonard qui mourir en 1507.

Cette réaction instantanée et d'une gravité exceptionnelle nous montre qu'à une époque où, comme on l'a dit plus haut, à cause des troubles et des guerres, la violence régnait partout, les autorités de l'ordre voulurent réagir avec la plus grande fermeté pour enrayer le mal par un exemple sans précédent.

 

Quelques grands abbés

 

Nous trouvons ensuite toute une série d'abbés qui eurent la confiance du chapitre général et furent chargés d'importantes missions.

En 1526, l'abbé Marin Berthain (1522 - 1579) fut délégué pour visiter et réformer l'abbaye de Bohéries, non loin de Guise, de concert avec les abbés de Vaucelles, d'Ourscamp, de Signy, de Longpont et de Valroy.  C'est le même abbé qui fit réparer, et consacrer de nouveau l'église le 16 juin 1540.  Il fit également exécuter des travaux de réparations dans les lieux réguliers.  Notons aussi qu'il obtint du pape Paul II, en 1547, le privilège des pontificaux, c'est-à-dire l'usage de la mitre, de la crosse et de l'anneau.

C'est encore Jean Galland qui, en 1557, mérita les éloges du chapitre général, qui lui confia, ainsi qu'aux abbés de Clairvaux et de Sept-Fons, la visite et la réforme des monastères de Champagne, de Brie, de France, de Normandie, d'Aquitaine, de Bourbonnais et d'Auvergne.

En 1567, c'est l'abbé Guy le Cornuat. (1562 - 1599) qui reçut, en même temps que les abbés de Clairvaux,,de Morimond, de la Chalade et de l'Isle-en-Barrois, le pouvoir de visiter tous les monastères de moines et de moniales en tous pays.  Il fut ensuite spécialement chargé de visiter les monastères de Brie, de Picardie, de Thiérache, d'Artois, de Hainaut, de Flandre et de Hollande.

         

Un ancien aumônier de Port-Royal abbé de Vauclair

 

L'abbé Claude de Kersaliou (1627 - 1653), Breton d'origine, ancien moine de l'abbaye de Begard en Bretagne, avait été aumônier des religieuses de Port-Royal, où, tandis qu'il était étudiant au collège des Bernardins de Paris, on l'avait chargé de prêcher à la Toussaint de 1608.  Peu après il y fut nommé aumônier.  Et c'est lui qui, après que la mère Angélique Arnauld eut rétabli-la clôture, lui fit un devoir de conscience de refuser désormais l'entrée des lieux réguliers à son père, comme on avait pris l'habitude de lui en ouvrir les portes.  On sait le tapage que fit M. Arnauld à sa première visite, quand on lui refusa l'entrée, et la scène qu'il fit à sa pauvre fille, qui en tomba évanouie.  C'est la fameuse "journée du guichet" du 25 septembre 1609, où nous retrouvons le Père de Kersaliou.

Quelque vingt ans plus tard, en 1627, le directeur jugé trop jeune par M. Arnauld fut nommé abbé de Vauclair.  C'est lui qui introduisit dans l'abbaye la stricte observance en 1650, en même temps qu'il mit tout son zèle à recouvrer les biens aliénés de son abbaye et à réparer les ruines causées par la guerre civile.

Plusieurs fois, en effet, au cours du XVIle siècle, l'abbaye eut à souffrir de destructions et d'incursions diverses.  En 1590 déjà, comme Vauclair n'avaît pas voulu adhérer à la Ligue, les Laonnois vinrent brûler la ferme d'Hurtebise, principal domaine de l'abbaye, et piller cette dernière.

En 1650, elle fut à diverses reprises attaquée et pillée par les Espagnols.  L'actuel colombier de Vauclair porte encore la trace de ces ravages.

 

Visite de DOM MARTÈNE

 

Au commencement du XIIIe siècle, le prieur de Vauclair, Dom Jean-Baptiste de Noyville († 1712) travailla avec Dom Denis de Sainte-Marthe à l'édition des oeuvres de saint Grégoire le Grand, qui parut en 1705, et sa collaboration fut fort appréciée.

C'est à cette époque que Dom Martène visita l'abbaye de Vauclair au cours de son voyage littéraire.  Voici ce qu'il en dit : "il y avait longtemps que nous souhaitons voir cette abbaye à cause de la réputation qu'elle s'est acquise par sa régularité.  Car après la Trappe, Sept-Fons et Orval, elle passe pour une des mieux réglées de l'ordre de Cîteaux.

Elle est au diocèse de Laon, à quatre lieues de la ville, dans une solitude assez agréable... L'église est assez belle et fort propre.  J'en dis autant de tous les lieux réguliers où il est aisé de s'apercevoir que c'est une maison réformée... On nous fit voir une très belle croix d'or ornée d'un très beau filigrane, et enrichie de beaucoup de pierres précieuses.  Je ne parle point de la coule de saint Bernard, qu'on conserve à Vauclair.  Nous passâmes le reste de la journée dans la bibliothèque, qui est vaste et très belle, et toute remplie d'excellents livres très bien conditionnés.  Il y a aussi un grand nombre de manuscrits fort bons, la plupart des ouvrages des saints Pères".  La bibliothèque de Laon possède encore plus d'une centaine de ces manuscrits, dont plusieurs sont fort beaux.

 

La révolution et la vente de l'abbaye

 

Quand l'abbaye de Vauclair fut supprimée à la Révolution, elle comptait plus d'une vingtaine de religieux et n'avait jamais connu de commende, c'est-à-dire d'expropriation au profit d'un laïque.  En quoi d'ailleurs, Vauclair fait figure d'exception dans le Laonnois et le Soissonnais.

Est-ce à cette ferveur religieuse maintenue au milieu du XIIIe siècle que l'on doit l'attachement des populations avoisinantes ? Le fait est si singulier qu'il mérite d'être retenu.  C'est ainsi que le 8 mars 1789, les habitants de Vaucierc et de la vallée Foulon présentèrent une lettre de doléances pour protéger les moines de Vauclair contre la dispersion :

"Les maires et habitants de la communauté, soussignés, ont l'honneur d'observer que quoiqu'ils ne possèdent rien en propre dans le dit village et terrain, qu'ils soient logés par M.M. les abbés et religieux de Vauclerc de qui dépendent en toute propriété les maisons qu'ils habitent et qui ajoutent à la charité de les loger, celle de leur fournir du terrain pour des jardins, des chenevières et le reste, ont jusqu'à présent malgré leur pauvreté supporté les charges et payé les impositions, comme les habitants des autres villages...

En conséquence ils déclarent qu'ils n'ont aucune plainte à former..."

Rien n'y fit, bien entendu, et le dimanche 9 octobre 1791, au tribunal de Laon, l'abbaye fut mise aux enchères et adjugée à très bas prix à un maréchal d'Ardon.

En réalité, elle fut surtout vidée de son contenu, mais pour les bâtiments mêmes, on ne s'attaqua qu'aux églises.  Tous les autres bâtiments restèrent relativement intacts jusqu'en 1917.  A l'intérieur de l'immense mur d'enceinte qui protégeait un domaine de 17 hectares, les anciennes constructions monastiques abritèrent bientôt les habitants d'un hameau qui avait rang de commune : Vauclerc-La Vallée Foulon.  L'admirable bâtiment des convers fut classé en 1911.

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