Position de la Belgique dans le cadre de la défense de l'Occident.


Monsieur le Président,
Messieurs,

Au moment où le Parlement va aborder la discussion des projets militaires, j'ai cru devoir synthétiser devant vous la position de la Belgique dans le cadre de la défense de l'Occident.
Je me bornerai toutefois à rappeler les quelques grandes lignes du problème me réservant de développer avec plus de détails l'effort financier que le Gouvernement compte consentir pour la défense de la Belgique dans les prochaines années.
Quelle est la situation actuelle au point de vue militaire?
L'U.R.S.S. entretient en permanence environ 4.100.000 hommes sous les armes et plus de 12 millions d'hommes dans la réserve. Il existe dans ce pays environ 170 divisions d'active dont plus de 100 divisions peuvent être affectées au théâtre européen dès le premier mois du conflit. La durée du service varie de 2 à 5 ans suivant l'arme à laquelle est affecté le milicien. Certains experts américains sont arrivés à la conclusion que l'U.R.S.S. avait consacré envirion 45 milliards de dollars à la défense nationale en 1950. Ce montant peut être comparé avec celui annoncé hier par le Président Truman qui prévoit pour l'année 1951, 41 milliards de dollars pour la défense nationale des Etats-Unis et auxquels il convient d'ajouter 7 milliards de dollars pour la défense des états associés. La Chine communiste pourrait disposer d'ici la fin de 1951 d'une armée de 12 millions d'hommes et ce pays a consacré une somme de l'ordre de 8 milliards de dollars pour le budget de guerre de 1951 soit trois fois la somme dépensée en 1950.
A cet effort de guerre formidable que peuvent opposer les Nations Atlantiques?
Comme le disait le Maréchal Montgomery, nous avons des plans, des Comités, du papier et des mots. Nous devons maintenant mettre sur pied dan un temps limité des organisations qui produiront les forces nécessaires prêtes à entrer à tout moment en campagne. Il s'agit pour les puissances signataires du Pacte Atlantique de créer une soixantaine de divisions s'intégrant en une force terrestre Atlantique placée dès le temps de paix sous commandement unique. Il s'agit aussi de créer l'aviation de défense du ciel occidental et la force aérienne tactique correspondant à la force terrestre; il s'agit enfin de créer des forces navales nécessaires au maintien des lignes de communication maritimes.
Le législateur intervient dans la mise sur pied de la part revenant à la Belgique de deux façons: d'abord par le vote annuel du contingent qui est le nombre maximum de miliciens qui peuvent se trouver sous les armes un jour quelconque de l'année en cours. C'est la première partie des sacrifices à consentir par le pays pour sa défense.
Le projet de loi sur les contingents après avoir été soumis à l'avis du Conseil d'Etat et déposé en temps utile sur le bureau de l'une ou l'autre Chambre afin de pouvoir être voté avant le 1er janvier de l'année à courir et ce, suivant l'article 119 de la Constitution.
Le législateur intervient ensuite par le vote annuel du budget. En vertu des dispositions légales et réglementaires, les Ministres doivent transmettre leur projet de budget au Ministre des Finances avant le 15 juin de l'année qui précède l'ouverture de l'exercice. Pour satisfaire à cette obligation, le budget doit être préparé par les services dès le mois de février qui précède. Il est ensuite passé aux cribles de l'Inspection des Finances et soumis ultérieurement au Comité du Budget qui décide de la hauteur des crédits à inscrire. Cette procédure n'offre pas d'inconvénients en période normale et pour les départements qui ont un train de vie régulier. Mais comme le budget est l'expression chiffrée de l'action gouvernementale, action qui découle de la politique générale du Gouvernement, la procédure exposée sommairement ci-dessus offre de réels inconvénients en ce qui concerne la Défense Nationale, particulièrement pendant la période actuelle.
C'est ainsi que le budget 1951, préparé en avril 1950, a dû être revu en mis au point en october 1950, quite aux nouveaux engagements. Enfin, pour tenir compte de la prolongation éventuelle du temps de service, des crédits supplémentaires devront être sollicités.
Examinons brièvement le budget de la Défense Nationale pour 1951. Et d'abord le budget ordinaire qui doit permettre d'assurer la vie journalière des forces armées. En 1950 le budget ordinaire de la Défense Nationale comportait 6,3 milliards de dépenses. Le projet de budget ordinaire de la Défense Nationale pour 1951 comporte un montant total de dépenses de 7,1 milliards. La majoration s'explique à concurrence de 360 millions pour les dépenses de personnel et 500 millions pour les dépenses d'entretien du matériel.
Le budget extraordinaire doit nous permettre d'acheter le matériel nécessaire à la réalisations de notre programme. Ce matériel sera fourni en partie par l'industrie nationale et en partie par le programme d'aide militaire. Il constitue avec l'infrastructure l'essence même de la force aérienne et de la force navale, il est nombrex et divers dans les forces terrestres. Et c'est le deuxième volet du dyptique des sacrifices à consentir par le pays pour sa défense, le deuxième poste de la prime de son assurance-vie, deuxième poste dont je me propose de vous entretenir aujourd'hui.
Avant de poursuivre, je voudrais rappeler en quelques mots la portée du vote du Parlement en ce qui concerne le budget extraordinaire. Les autorisations budgétaires comportent soit des crédits de paiement permettant à l'Administration de parcourir au cours d'un même exercice l'ensemble du cycle des dépenses depuis leur naissance jusqu'au paiement, soit des crédits d'engagements permettant simplement d'engager des dépenses à concurrence du coût total du programme des travaux dont l'exécution est répartie sur plusieurs années, tandis que les paiement seront échelonnés sur différents exercices pour lesquels seront successivement autorisés les crédits de paiement nécessaires. 
C'est ainsi que les budgets extraordinaires successifs de 1949 à 1951 ont accordé pour la Défense Nationale un montant total de 14,4 milliards de crédits d'engagement pour lesquels 8,6 milliards de crédits de paiement ont été consentis. Le budget extraordinaire pour 1951 comporte 5,5 milliards de crédits de paiement en ce qui concerne la Défense Nationale. Ces crédits sont répartis à raison de 2,3 milliards pour le paiement d'engagements pris en 1949 et 1950; et 3,2 milliards correspondant au programme propre pour 1951.
Les crédits prévus en 1951 pour les engagements nouveaux se chiffrent à 7,4 milliards (dont les 3,2 milliards de crédit de paiement nouveaux prévus ci-dessus) se répartissent comme suit:
a) FORCE TERRESTRE:
Armement, munitions, charroi, équipement, etc.     2,8 milliards
Constructions                                                      1,4 milliard
b) FORCE AERIENNE:
Avions, armement, munitions, charroi, etc .            1,2 milliard
Infrastructure                                                       1,1 milliard
c) FORCE NAVALE
Matériel, armement, munitions, charroi, etc.            0,3 milliard
d) BASE DE KAMINA                                             0,6 milliard
                                                              Total     7,4 milliard
Dans cet ensemble, le programme de dépenses annoncées en juillet dernier et portant sur 5 milliards de francs à engager en 1950 et 1951 sera réalisé comme suit:
a) Majoration des crédits ordinaires de 1950            0,4 milliard
b) Majoration des crédits ordinaires de 1951            0,6 milliard
c) Majoration des crédits extraordinaires de 1951      4   milliards
                                                              Total      5   milliards
Les 4 milliards dont question ci-dessous correspondent aux crédits d'engagements postulés au budget extraordinaire de 1951; les crédits de paiement représentent les décaissements à effectuer en 1951, sur les contrats et marchés à imputer sur les crédits d'engagement de 4 milliards sont évalués à 1,2 milliard. Les 2,8 milliards restants feront l'objet de crédits de paiement à porter pour la plus grande part au budget extraordinaire de 1952 et pour le surplus au budget extraordinaire de 1953.
Que représente cet effort total de 12,6 milliards (7,1 milliards pour les dépenses ordinaires et 5,5 milliards de crédit de paiement pour les dépenses extraordinaires consacrés par la Belgique à la Défense Nationale en 1951?
Les prévisions budgétaires pour 1951 comprennent 62,7 milliards pour les dépenses ordinaires et 19,4 milliards pours les dépenses extraordinaires soit un total de 82,1 milliards. Dans ce total, la Défense Nationale intervient pour 12,6 milliards soit environ 15,35 % du budget général. Remarquons qu'après modifications, le budget de la Défense Nationale pour 1950 intervenait à raison d'un peu moins de 10 % du budget général (7,9 milliards pour 9,5 milliards).
La part du revenu national consacré à la Défense Nationale peut s'évaluer à environ 3,5 % en 1950 et 5 % en 1951.
Suivant les statistiques récentes, les dépenses de la défense nationale dans des différents pays en fonction du revenu national pour 1951 sont les suivantes:
Etats-Unis                       19,5 %
Canada                             8,5 %
Royaume Uni                  10    %
France                            10    %   
Pays-Bas                           6    %
Il est à remarquer que le budget de la Défense Nationale ne comprend pas en Belgique, le dépenses de pensions de guerre comme c'est le cas pour les autres pays. Compte tenu du montant de ces dépenses, on peut estimer que le montant total des dépenses de la Défense Nationale belge par rapport au revenu national est environ 6,5 %.
La Belgique s'est, en outre, engagée à augmenter sa production pour participer efficacement à la défense commune. En plus de la production destinée à son usage propre, elle devra produire du matériel d'armement ainsi que des produits demi-finis à destination de ses partenaires du Pacte Atlantiques. Ce matériel d'armement comprendra notamment des armes individuelles, des explosifs, des camions, du matériel du Génie.
Il n'est pas possible de déterminer actuellement le montant de la production additionnelle que l'économie belge devra fournir, mais il est certain que le pays devra faire appel à toutes les énergies. Mais je connais assez la valeur de nos industries et de notre main-d'oeuvre pour pouvoir dire que dès que les commandes seront passées les délais de fourniture seront strictement respectés.
Mais si une armée postule des hommes et du matériel, il est entendu que chez elle comme partout dans l'industrie, le problème du cadre doit être résolu avec un soin particulier. Cadre de l'active, mais aussi cadre de réserve et je devrai particulièrement faire appel à celui-ci pour résoudre le problème posé. Ce problème se décompose en réalité en deux parties:
1) La formation d'officiers et sous-officiers de réserve qui serviront somme tels pendant 12 mois sur les 24 mois de service,
2) L'utilisation du cadre de réserve en CI pour encadrer des unités de réserve à mettre sur pied à la mobilisation et pour remplir des missions diverses que la guerre suppose.
J'ai désigné un Lieutenant-Colonel pour établir l'inventaire exact des officiers et sous-officiers de réserve en CI, et me faire dans un délai très court des propositions pour l'utilisation rationnelle de chacun. Ceux qui n'ont pas encore reçu d'affectation de mobilisation en rececront une qui tient compte de leurs aptitudes particulières et ce au fur et à mesure de la constitution des unités de réserve.
J'ai voulu également rétablir le contact efficace des cadres de réserve avec l'armée et avec les problèmes de la Défense Nationale.
Dans ce but la publication du bulletin d'information des officiers de réserve sera reprise incessamment. Comme en 1940, il traitera des questions d'intérêt militaire et comportera toutes les questions d'ordre général concernant les officiers de réserve quelle que soit la force armée à laquelle ils appartiennent.
Monsieur le Président,
Messieurs,
L'Europe est en équilibre instable. Laisser perdurer cette situation mettrait le pays en grave péril. Les Etats-Unis mesurent l'effort que l'Occident accepte de faire pour se sauver. De leur côté, les pays occidentaux doivent avoir la détermination froide de faire un effort au moins comparable à celui des Etats-Unis. Ils doivent être décidés à défendre leur liberté et leur civilisation au prix de leur sueur et de leur sang. Sans cela il est inutile de poursuivre plus longtemps l'organisation du théâtre Nord-Atlantique.
Si les Américains constatent que notre réarmement est une tromperie, ils se détourneront de l'Europe et se désintéresseront de son sort. La Belgique a pris la détermination de mettre sur pied dans le cadre de ses engagements internationaux une force qui soit autre chose qu'une façade. C'est la tâche à laquelle je me suis attelé de toutes mes forces et je vous demande de m'aider à la remplir. 

Discours du Colonel B.E.M. Degreef, Ministre de la Défense Nationale début 1951 et publié dans le magazine
Le jeune officier de réserve.

  

Image by FlamingText.com