La science limite-t-elle notre conception de l'autorité de Dieu ?
(dernière partie)
Nous avons tâché, dans les deux précédents
numéros, d'exposer de quelle manière deux
visions du monde, issues du message Chrétien d'une part et de la pensée
scientifique d'autre part, pouvaient être vues comme complémentaires,
bien qu'irréductibles, car traitant de catégories fondamentalement
différentes. Ainsi, la science moderne ne nous conduit pas à
remettre en cause l'autorité absolue de Dieu dans le monde. Cette
autorité, c'est par la foi que nous la reconnaissons, cette foi que la
science ne peut appréhender car elle appartient à une dimension qui
lui échappe. Ce n'est en rien remettre en cause la valeur de la
science, qui nous éclaire sur la beauté et la régularité d'un monde
si bien pensé qu'il reflète - pour qui sait y regarder avec les yeux
de la Foi - comme le dit Einstein, un rayon de la sagesse divine Il reste, toutefois, à répondre la question philosophique levée dans notre premier article, à savoir comment Dieu peut intervenir à chaque instant dans le monde, si ce monde obéit à des lois immuables - comment ne pas alors réduire Dieu a la conception déiste du dieu des origines, aujourd'hui détaché du monde. La conception Chrétienne veut que le rôle de Dieu soit de soutenir à chaque instant Sa création - y compris les lois qui la régissent - par la puissance de Sa Parole (Hébreux 1 :3). Mais ceci ne résout pas vraiment le problème de savoir quelle est encore la liberté de Dieu: Dieu est-il alors lié par les lois qu'il a fixées d'avance ou est-il libre de les changer - et alors pourquoi aurait-il créé des lois suffisamment imparfaites pour qu'il ait, de temps à autre, à les changer ? Notons qu'un certain nombre de passages Bibliques peuvent être invoqués pour conforter l'idée scientifique d'un monde suivant des lois fixées par Dieu (Ps 104 :19, Ps 148 :6) ; et pourtant, il est évident que Dieu reste totalement libre : " Notre Dieu est au ciel, Il fait tout ce qu'il veut " (Ps 115 :3). Si la science ne peut nous apporter une réponse à une question théologique telle que celle de la liberté de Dieu, elle nous propose néanmoins un éclairage neuf sur cette question. Nous l'avons vu, nous comprenons rarement à quel point nos conceptions de Dieu et notre interprétation de la Bible sont tributaires de nos catégories mentales, elles-mêmes héritées de notre culture, dont la science fait aujourd'hui profondément partie, et de la manière que nous avons d'appréhender le monde. Or, par rapport à la question de la liberté, le concept central du débat est le concept de temps. Nous demandons comment Dieu peut être libre aujourd'hui - dans le présent, à un instant donné du temps - s'il a fixé les lois ou connu toutes choses dès le commencement. Et assurément, notre conception du temps relève de la science. Or durant des siècles la science et la philosophie nous avaient habitués à une vision du monde où le temps, comme l'espace, était une catégorie fondamentale du monde, un élément primordial que la matière et toutes choses venaient ensuite remplir. Dieu lui-même était alors vu comme habitant le temps. Mais depuis le début du 20E siècle, avec l'invention de la relativité restreinte et de la relativité générale et le développement de la cosmologie moderne, nous possédons une conception nouvelle de l'espace et du temps, dans laquelle le temps lui-même devient relatif, dépendant non seulement du système de référence de l'observateur, mais également de la matière, de la gravitation. Il devient dès lors impossible de définir le temps indépendamment des autres éléments constitutifs de l'univers. En particulier, au sens de la science, le temps cesse d'exister en deçà du début de l'univers, du " big-bang ". Ceci nous conduit à une conception nouvelle de la Création, celle-ci n'étant plus un acte remplissant l'espace et le temps, mais le temps et l'espace devenant eux-mêmes des éléments constitutifs de la création. Or Dieu n'est, de toute évidence, pas une partie ou un élément de sa propre création ; on ne peut donc supposer que Dieu existe dans le temps, qu'il soit soumis au temps comme nous le sommes. Bien sur, notre relation à Dieu est soumise au temps tout comme le Seigneur lui-même, lors de sa vie terrestre, fut soumis au temps, sachant lorsque son temps n'était pas encore venu, et mourant sur la Croix au temps fixé, avant de ressusciter au troisième jour. Mais aujourd'hui - l'aujourd'hui de notre condition humaine - Il vit auprès du Père, aux Siècles des Siècles. Que sont ces Siècles des Siècles ? Pouvons-nous pleinement comprendre le sens et la nature de ce mystère ? Sans doute devons-nous saisir ici les limites de notre intelligence, et éviter d'appliquer à Dieu notre vision trop " anthropomorphique " du temps. L'Écriture elle-même ne nous donne-t-elle pas quelques indications de cette réalité, lorsqu'elle nous parle de Dieu en qui il n'y a pas l'ombre de variations (Jacques 1 :17) ou lorsque le Seigneur lui-même livra cette phrase énigmatique, à la fois révélatrice de Son Nom et si paradoxale par rapport à notre vision du temps: " En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, je suis " (Jn 8 :58)? Reconnaissons en tout cas que, si Dieu n'est pas soumis au temps , les questions que nous nous posons quant à Sa liberté par rapport aux lois qu'il aurait fixées " au début des temps " - notion qui, dans la perspective de Dieu, n'a peut-être aucun sens, ces questions elles-mêmes deviennent peut-être vides de sens, et l'apparente opposition que nous supposions, entre une vision Chrétienne du monde, et une vision scientifique, n'est-elle alors plus qu'une illusion. Tout comme était illusoire l'apparente contradiction entre la vision Biblique et le système héliocentrique défendu par Galilée - une fois que la relativité des systèmes de référence était reconnue. Nous réalisons ainsi combien notre propre subjectivité intervient lorsque nous partons d'éléments objectifs pour nous forger une vision du monde. Ces éléments objectifs sont, pour le scientifique, les faits d'expérience et les théories scientifiques; pour les Chrétiens ce sont les éléments de la révélation, contenus dans les écritures. Il y aurait beaucoup de présomption, dans un cas comme dans l'autre, à supposer que la connaissance de ces éléments pourtant objectifs nous fournisse une vision absolue de la réalité du monde ; notre subjectivité, basée sur nos expériences ou notre culture, est toujours requise pour permettre à notre intelligence de structurer l'information, tout objective qu'elle soit, et en déduire des schémas abstraits qui sont nos représentations du monde. Une meilleure connaissance des schémas qui fondent notre subjectivité - et nous l'avons vu dans l'exemple de notre conception du temps, ceux ci ont souvent fort à faire avec la connaissance scientifique - nous permettra d'éviter bien des erreurs. La plus fréquente de ces erreurs réside peut-être dans la présomption qui nous est naturelle de croire tout savoir et tout expliquer. La science a ce mérite de nous faire reconnaître la relativité des connaissances, et la complémentarité de la science et de la foi nous montre que nous pouvons avoir des éclairages différents sur la réalité, des représentations différentes de celle ci, suggérant que celle-ci, en-elle même, nous échappe encore. Et l'Écriture elle-même nous avertit que notre connaissance n'est que partielle (1 Cor 13 :9) et que c'est encore par la foi, et non par la vue que nous marchons (2 Cor 5 :7). La foi reste ici, pour le Chrétien, le mot essentiel. C'est la foi qui nous fait reconnaître l'autorité de Dieu, et nous fait connaître Sa puissance illimitée dans le monde. La foi n'implique pas que nous comprenions tout, sinon elle ne serait plus la foi ; elle n'implique pas que nous basions notre conception de la puissance de Dieu sur l'enseignement de la science, mais sur la Parole de Dieu. La science
ne nie pas cette autorité de Dieu, simplement elle n'en dit rien. Et ce
n'est que lorsque nos intelligences limitées tentent vainement de
confronter l'enseignement de Dieu et celui de la science, se livrant à
toutes sortes d'extrapolations philosophiques pour tenter de les faire
se faire se rencontrer, voire se confronter sur un terrain commun, que
surgissent les doutes et les confusions.
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