Cahier Didactique

Renoir

et

Ensor


Masques et visages de James Ensor


"L'art belge verse à tout moment dans la démesure"

Paul Haesaerts


FICHE TECHNIQUE

Masques et visages de James Ensor

Belgique - 27' - 1952


Réalisation : Paul Haesaerts

Commentaire : Fernand Ledoux

Musique : André Souris

Montage : M. Saysset et M. Biard

Photographie : Charles Abel

Production : Ministère de l'Instruction Publique

Avec la participation de James Ensor


LE FILM

C'est avec une ribambelle de masques japonais ou du carnaval d'Ostende, avec force squelettes, pantins, monstres, gueux et pochards, que James Ensor a tiré la langue au petit monde bourgeois et bien établi de son siècle. Car quoi de mieux que le masque pour peindre l'homme tel qu'il est intérieurement ? Et quel meilleur prétexte que les fêtes carnavalesques des Flandres pour dévoiler l'envers du décor ? Pour cet impertinent, la vie n'est qu'une vaste farce dont il vaut mieux se rire. Parades, défilés, fêtes et manifestations populaires sont l'expression d'une condition humaine à ses yeux certainement grotesque et peut-être même méprisable...Lui même se met en scène comme un Rubens de carnaval.

Ce document exceptionnel nous montre le peintre peu de temps avant sa mort. Alors âgé de 90 ans, il livre ses réflexions sur sa vie, sa carrière de peintre : "J'ai dû manœuvrer envers et contre tous. Que de misères entrecoupées, d'arcs-en-ciel consolateurs, que de peines joyeuses" et lit quelques extraits de ses propres écrits, témoignant d'une poésie incontestable : "Il faut relire les mots en songeant aux couleurs. J'adore dessiner des beaux mots claironnés de lumière. Mots des fêtes, mots d'ouragans et de tempêtes, mots des pluies et des pleurs, mots sans rimes ni raison, je vous aime, je vous aime."

Son grand visage bonhomme et sa sympathique façon de rouler les “r” jouent en contraste avec une intériorité que l'on sait pourtant sombre.

Le film analyse quelques-uns de ses tableaux, les compare aux autres chefs-d'oeuvre de son temps (Van Gogh, Gauguin, Bonnard), prouvant ainsi que James Ensor est un précurseur de la plupart des tendances artistiques de notre siècle. Manque bien sûr ici la fulgurance de la couleur que le plus habile noir et blanc ne parviendra jamais à restituer, mais qui impose au regard une nouvelle façon d'envisager les toiles. S'attardant ansi sur la ligne et non plus sur la couleur, c'est un nouvel Ensor que nous découvrons ici.


CITATIONS

Ah ! Il faut les voir, les masques, sous nos grands ciels d’opale et quand barbouillés de couleurs cruelles, ils évoluent, misérables, l’échine ployée, piteux sous les pluies, quelle déroute lamentable. Personnages terrifiés, à la fois insolents et timides, grognant et glapissant, voix grêles de fausset ou de clairons déchaînés. Alors, j'ai vu grand, et mon cœur a vibré et mes os ont tremblé et j'ai deviné l'énormité des déformations et devancé l'esprit moderne, un monde nouveau s'est dessiné.


Ce ne sont pas des sujets, ce sont des lumières.”


Je crois être un peintre d'exception.”


Tout artiste est un héros, il faut qu'il souffre pour qu'un jour il ait la joie d'imposer à tous sa victorieuse personnalité.”


L'ARTISTE

James Ensor 1860-1949


Une jeunesse à Ostende


James Sidney Edward Ensor est né en 1860 dans la ville d'Ostende, en Belgique. Ce petit village de pêcheurs acquiert une certaine notoriété en 1834, lorsque le roi, Léopold Ier, en fait sa résidence estivale, avant de devenir, au cours des décennies suivantes, une station balnéaire animée et très à la mode.

C'est à Ostende que le père de James, James Frederic, un anglais cultivé, rencontre sa mère, Marie-Catherine Haegheman, une petite bourgeoise locale dont la famille possède une boutique de souvenirs et de curiosités. Le magasin fait vivre la famille d'Ensor, et le futur peintre grandit dans ce décor de "coquillages, dentelles, poissons rares empaillés, vieux livres, gravures, armes, porcelaines de Chine, un fouillis inextricable d'objets hétéroclites" (lettre d'Ensor à Louis Delattre, 4 août 1898).

Ce milieu original exerce une influence déterminante et durable sur le peintre, comme il le reconnaît plus tard : "Mon enfance a été peuplée de rêves merveilleux et la fréquentation de la boutique de la grand'mère toute irisée de reflets de coquilles et des somptuosités des dentelles, d'étranges bêtes empaillées et des armes terribles de sauvages m'épouvantaient [...] certes le milieu exceptionnel a développé mes facultés artistiques". Dès les premières manifestations de sa vocation, le jeune homme peut sans doute compter sur le soutien de son père, un homme intellectuel et sensible.


En quête de modernité


Formé à l'Académie de Bruxelles, à laquelle il s'inscrit en 1877, Ensor en rejette rapidement l'enseignement et préfère revenir travailler dans sa ville d'Ostende dès 1880. A l'exception de quelques voyages à Londres, aux Pays-Bas ou à Paris, et de nombreux passages à Bruxelles, il y demeure jusqu'à la fin de ses jours. Après son séjour dans la capitale belge, il se met à élaborer son univers personnel, explorant son environnement dans de nombreux dessins et peintures.


Ensor réalise des paysages, des natures mortes, des portraits ainsi que des scènes de genre mettant en scène sa sœur, sa mère et sa tante. La mangeuse d'huîtres, œuvre majeure de la période, conjugue magistralement ces divers genres picturaux. On y voit sa sœur Mitche absorbée par un repas d'huîtres. Une profusion de fleurs, d'assiettes et de linge de table se déploie devant elle. Mais La mangeuse d'huîtres est sans doute un tableau trop audacieux pour les très conservateurs milieux officiels, et il est refusé au Salon d'Anvers de 1882.

Même si Ensor n'échoue pas complètement auprès des cercles traditionnels, il expose un tableau au Salon de Bruxelles en 1881 et deux autres à celui de Paris en 1882. Il s'engage alors dans la libéralisation des expositions artistiques et bataille pour devenir un chef d'école. Il participe, notamment, à la création du groupe des XX qui joue rapidement un rôle de premier plan au sein de l'avant-garde.


"Je suis noble par la lumière"


Elevé sur les rivages de la mer du Nord, Ensor se passionne pour les effets de la lumière. Dans un tableau tel que La mangeuse d'huîtres, les liquides miroitant dans les verres jusqu'aux reflets sur le miroir trahissent déjà l'intérêt du peintre pour le pouvoir et la qualité de la lumière. Pour lui, elle est à l'opposé de la ligne, qui est elle-même "ennemie du génie" et "ne peut exprimer la passion, l'inquiétude, la lutte, la douleur, l'enthousiasme, la poésie, sentiments si beaux et si grands [...]".
Cet intérêt pour la lumière incite certains critiques à tenter un parallèle avec l'Impressionnisme français. Mais Ensor repousse la comparaison avec fougue : "On m'a rangé à tort parmi les impressionnistes, faiseurs de plein air, attachés aux tons clairs. La forme de la lumière, les déformations qu'elle fait subir à la ligne n'ont pas été comprises avant moi. Aucune importance n'y était attachée et le peintre écoutait sa vision. Le mouvement impressionniste m'a laissé assez froid. Edouard Manet n'a pas surpassé les anciens" affirme-t-il en 1899.


Porté par ces certitudes, il amplifie ses recherches, et confère à la lumière une puissance unificatrice autant que spirituelle. A l'inspiration moderne de ses premiers sujets, s'ajoute un esprit mystique. Ses paysages prennent ainsi leurs distances avec la réalité pour devenir des chaos primitifs, dominés par un souffle divin.

Cette quête culmine dans la série de dessins Visions. Les Auréoles du Christ ou les sensibilités de la lumière (1885-1886). Seule la figure du Christ peut exprimer la puissance qu'Ensor a découverte dans la lumière. Celle-ci est omnipotente et traduit tous les états d'âme. Elle est ainsi "gaie", ou "crue", ou "triste et brisée", ou "intense", ou encore "rayonnante". Elle décroît, croît, lutte avec l'ombre ou triomphe jusqu'à l'aveuglement.

Présentés au Salon des XX de 1887, ces immenses dessins ne suscitent pas l'enthousiasme qu'Ensor espérait. Son envoi ne reçoit qu'un accueil mitigé, alors que l'on fait l'éloge du Dimanche à la Grande Jatte de Seurat, également exposé au XX.


Le peintre des masques


Très sensible à la critique, Ensor apparaît blessé, déçu, désespéré après le salon des XX de 1887 et sa confrontation avec la grande toile de Seurat. Au cours de la même année, il doit affronter les disparitions de son père et de sa grand-mère, auxquels il était très attaché. Ces événements marquent profondément Ensor et provoquent un tournant dans sa carrière et sa démarche.

Déjà présentes dans son œuvre depuis 1883, les représentations de masques et de squelettes prennent, à partir de 1887, une place prééminente. Il revisite même une partie de sa production du début des années 1880 afin de la peupler de ces motifs. Masques et squelettes rappellent bien sûr l'étrange ambiance du magasin familial ainsi que la tradition du carnaval d'Ostende, mais ils ont également une portée symbolique. Les premiers camouflent et exacerbent une réalité que le peintre trouve trop laide et trop cruelle, tandis que les seconds pointent la vanité et l'absurdité du monde.

En 1888, Ensor s'attaque à la monumentale Entrée du Christ à Bruxelles (2,52 x 4,3 m., Los Angeles, The Paul Getty Museum), sa réponse au tableau de Seurat et à ses détracteurs. Cette œuvre mêle tous les principes de l'art d'Ensor : la lumière qui exalte les couleurs poussées au plus vif, le souci de modernité qui transplante le Christ dans la Bruxelles du XIXe siècle tiraillée par des mouvements politiques contradictoires, les masques qui brouillent la réalité, l'apothéose du peintre enfin. Ensor donne ses traits au Christ, comme s'il sacrifiait sa vie et sa paix à la peinture.

Parallèlement à la réalisation de son tableau programmatique, Ensor se venge des attaques dont il est l'objet dans une série de panneaux virulents, de gravures, de dessins qui dénoncent les grandes injustices de son temps aussi bien que ses petites mesquineries. Ces œuvres sont d'une véhémence et d'une liberté inégalées en cette fin de siècle.


ILS ONT ECRIT


L'art d'Ensor devint féroce. Ses terribles marionnettes exprimaient la terreur au lieu de signifier la joie. Même quand leurs oripeaux arboraient le rose et le blanc, elles semblaient revêtir une telle détresse, elles semblaient incarner un tel effondrement et représenter une telle ruine qu'elles ne prêtaient plus à rire, jamais. J'en sais d'une angoisse de cauchemar. Et la camarde se mêla à la danse. Le squelette lui-même devint tantôt pierrot, tantôt clodoche, tantôt chienlit. Masque de vie ou tête de mort s'identifiaient. On ne songeait plus à quelque carnaval lointain, d'Italie ou de Flandre, mais à quelque géhenne où les démons se coiffaient de plumes baroques et s'affublaient de draps de lit usés, de bicornes invraisemblables, de bottes crevées et de tignasses multicolores (...). Pour animer pendant vingt-cinq ans un peuple aussi grouillant d'êtres chimériques et les douer d'une psychologie aussi étonnamment variée, fallait-il que le monde de la démence fût naturellement pour le peintre un monde de prédilection et de choix. "


Emile Verhaeren

POUR EN SAVOIR PLUS


A voir en Belgique

Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers : La conversation, Après-midi à Ostende, Dames à l'éventail, Le salon bourgeois, La mangeuse d'huîtres.

Musées Royaux de Bruxelles : La dame en bleu, La dame sombre, La musique russe.

MAMAC Liège : La Mort et les Masques.


A lire

James Ensor - Musée d'Orsay / Réunion des Musées Nationaux 2009


Pierre-Auguste Renoir, Peintre

La peinture n'est pas la rêvasserie. C'est d'abord un métier manuel, et il faut le faire en bon ouvrier.

Pierre-Auguste Renoir



FICHE TECHNIQUE

Pierre-Auguste Renoir, peintre

France – 1999 – 26'


Réalisation et scénario : Michaël Gaumnitz

Texte : Marie Sellier

Commentaire : Jean Bollery

Musique : Marc Perrone

Son : Yannick Robo

Montage : Christian Girier

Producteur : Lapsus, Arion Media, Réunion des Musées Nationaux, La Cinquième

Avec le soutien de : Ministère de l'Education Nationale et de la Procirep et du CNC


LE FILM

Ce documentaire de 26 minutes, permet d’appréhender les « sources de la modernité» à partir d’un point de vue qui mélange subtilement plaisir et critique. Selon le principe de la collection Artistes, de laquelle il est issu, peintures, dessins et photos de famille se mêlent aux cartes anciennes, aux prises de vues réelles et aux films d'archives pour retracer cette vie de peinture. Cette vie de peinture, c'est celle d'un homme qui a souffert, qui a aimé les femmes, passionnément. Il les peindra rondes et lumineuses, au teint nacré, jusqu'à la fin de sa vie, même lorsque ses doigts seront perclus de rhumatisme. Il disait : « Je suis comme le bouchon qui se laisse porter par le courant ». Raconter Renoir, c'est dire ce bonheur de peindre, jour après jour, sans se lasser. Renoir peint comme il respire, le bonheur de l'instant, simplement, sous un constant soleil, la joie d'exister.

Ici, la biographie n’est jamais anecdotique, mais bien au service du regard sur l’œuvre dont elle retrace l’évolution, les tournants significatifs. Peintre en porcelaine dès l'âge de 13 ans, son passé d'artisan marque son œuvre. Sa rencontre avec Monet, Sisley, Bazille... à l'école des Beaux-Arts, le conforte dans sa manière de peindre. Il voyage, découvre l'Italie, connaît une période dite “aigre”, puis revient à une peinture sensuelle avec la naissance de ses enfants. Grâce à cette approche sensible de l'homme et de l'artiste, les créations se dévoilent comme des œuvres incarnées, et non plus simplement comme des œuvres à contempler.


L'ARTISTE

C'est en 1855 que le père de Renoir, un modeste tailleur de pierres de Limoges établi à Paris depuis 1845, met son fils Auguste, âgé de 14 ans, en apprentissage dans une fabrique de porcelaine, rue du Temple. L'adolescent est initié à la peinture sur porcelaine. L'introduction d'une machine mettra fin à cette expérience. Huit ans plus tard, Renoir dispose d'assez d'argent pour entrer, en avril 1862, à l'École des Beaux-Arts. Parallèlement aux cours de l'Ecole, il fréquente aussi l'Atelier privé de Charles Gleyre où il se lie d'amitié avec ses condisciples Alfred Sisley, Frédéric Bazille et Claude Monet.

LA PERIODE IMPRESSIONNISTE (1864-1883)

Suivant la recherche de ses amis du Café Guerbois, en particulier Bazille et Monet, sur la lumière naturelle, il travaille «sur le motif» en forêt de Fontainebleau. Ses recherches artistiques vont alors couvrir un large éventail, étant moins sûr que d'autres peintres de la direction à prendre, tenu qu'il est par la double nécessité de vendre des tableaux pour vivre, et de se tailler une place sur la scène parisienne. En plus de vues citadines et de paysages, comme les vues de Paris qu'il peint avec Monet au printemps 1867 (Le Pont des Arts), son propos artistique s'exprime aussi dans de nombreuses scènes de genre, des portraits en plein air, comme "Les Fiancés", qui séduisent le spectateur par leur luminosité et leur expressivité. À partir de 1864, il expose ou tente d'exposer au Salon. Renoir ne s'approprie un mode de représentation picturale qu'à l'été 1869, lorsqu'il travaille à La Grenouillère avec Monet, peignant l'animation de ce lieu de loisirs de la bourgeoisie parisienne, avec des touches de couleur rapides et vigoureuses, simplifiées à l'extrême, des personnages à l'état d'esquisse, un art de la lumière rendue par des reflets mobiles, rendant ainsi compte de l'« impression » régnant dans ce lieu.

Pourtant, si Renoir, avec La Grenouillère et quelques autres toiles datées de 1869 et 1870, affirme les composantes essentielles de la peinture impressionniste, en particulier la division des tons, sa recherche délibérée d'une clarté accrue par une couche légère de peinture qui apparaît dès 1872, va caractériser l'exécution de la plupart des œuvres traditionnellement rattachées à sa période impressionniste : La loge (1874), Le chemin montant dans les herbes (1875), Le Moulin de la Galette (1876), La balançoire (1876). Ce parti pris semble bien constituer l'élément capital sur lequel s'appuient alors ses recherches plastiques. Peu à peu, naît une œuvre que certains n'hésiteront pas à qualifier d'anti-impressionniste («Renoir, comme Cézanne, fut un peintre anti-impressionniste», dira André Lhote).Sa caractéristique principale est l'emploi d'une pâte plus ou moins épaisse, mais toujours résineuse, c'est-à-dire, contrairement à la pâte d'un Monet, fort peu diluée dans l'essence de térébenthine, donc peu dégraissée. La vive admiration que Renoir, dès 1872, éprouve pour Delacroix n'est peut-être pas étrangère à cette évolution qui, après les expositions impressionnistes «maudites» de 1874, 1876 et 1877 auxquelles il participa, contribue au très grand succès qu'il remporta au Salon de 1879 avec Madame Charpentier et ses enfants (1878). Il est vrai qu'il a renoncé, cette année-là, à exposer aux côtés de ses amis impressionnistes et que le goût de Georges Charpentier, l'éditeur très en vue de Zola, Maupassant et Daudet, n'a pas été sans cautionner l'art de Renoir auprès des amateurs de portraits. Pissarro écrit : « Renoir a un grand succès au Salon. Je crois qu'il est lancé, tant mieux, c'est si dur la misère ! ». Pendant ces années misère, Renoir aura peint de fabuleuses toiles impressionnistes, aujourd'hui connues dans le monde entier. En 1880, il rencontre une jeune modiste, Aline Charigot, qui travaille non loin de son atelier. Elle a vingt ans, elle posera pour lui dans de très nombreux tableaux. Ils se marieront en 1890, cinq ans après la naissance de Pierre, et auront deux autres enfants, Jean (le cinéaste) et Claude. Renoir est connu, apprécié, il peut maintenant profiter de la vie. Aline posera une première fois dans Les Canotiers à Chatou, puis dans une de ses toiles majeures qu'il achèvera en 1881 Le déjeuner des canotiers.

LA PERIODE INGRESQUE ou SECHE (1883-1890)

En 1881, grâce à la vente de ses tableaux, Renoir peut, pour la première fois, partir au printemps en voyage vers le sud, sur les traces de Delacroix, d'abord en Algérie, puis à l'automne et l'hiver en Italie, où il découvre les maîtres florentins, Raphaël et les fresques de Pompéi, enfin à l'Estaque, près de Marseille, où il peint avec Cézanne, avec des coloris plus violents, et revient au dessin.Renoir affiche encore plus de détachement à l'égard de l'Impressionnisme. Il doute et remet son œuvre en question. Les contours de ses personnages deviennent plus précis. Il dessine les formes avec plus de rigueur, les couleurs se font plus froides. La transition sera progressive, car Renoir est en perpétuelle recherche d'un art pictural absolu. Sa nouvelle manière, qui correspond à la période dite «sèche» ou «ingresque», est d'abord caractérisée par un dessin plus précis et par des aplats comme dans Les Parapluies (1882-1884) ou La Danse à la ville (1883), puis par un contour net, une matière lisse et une répartition uniforme de la lumière comme dans Les Grandes Baigneuses (1884-1887).

LA PERIODE NACREE (1890-1897)

En 1890, Renoir épouse Aline Charigot. Critiqué, mal compris, Renoir va peu à peu sortir de la période "sèche". Sans revenir à un coup de pinceau purement impressionniste, il va infléchir le trait, abandonner la rigueur tout en conservant le modelé de ses sujets. Délicatesse, forme, couleur, lumière et volupté sont les maîtres mots de cette nouvelle période. Abandonnant le style linéaire, Renoir adopte une facture plus souple et onctueuse, avec plus de fluidité et des effets de transparence. C'est la période «nacrée» . Cette évolution de Renoir qui approche la cinquantaine est aussi due au fait suivant : «Il s'aperçut en effet, à cette époque, que ses œuvres de jeunesse se craquelaient et que les tons s'altéraient. Il surveilla donc ses mélanges, qu'il réduisit, comme Rubens, au minimum, et se contenta d'une couche mince et unique» (André Lhote). L'intérêt du public est enfin immense. Après 1897, et jusqu'à la fin de sa vie, Renoir en vient à une manière impulsive, directe, sans retouches, à laquelle vont se rattacher d'innombrables figures de femmes plantureuses et nues (Baigneuse s'essuyant la jambe -1905), peintes souvent en une seule séance, dans des coloris à dominante ocre-rouge. Souffrant de rhumatisme articulaire, Renoir est contraint, au début du siècle, de rechercher le climat du Midi. Il s'établit tout d'abord à Grasse (1900), ensuite au Cannet (1902), puis à Cagnes (1903), où il est frappé, en janvier 1912, d'une paralysie des jambes et des bras. Opéré au mois d'août de la même année, il continue à peindre, son pinceau attaché à la main, durant les sept années qui lui restent à vivre.

CITATIONS

Vers 1883, il s'est fait comme une cassure dans mon œuvre. J'étais allé jusqu'au bout de l'Impressionnisme et j'arrivais à cette constatation que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot, j'étais dans une impasse”.

Je suis encore dans la maladie des recherches. Je ne suis pas content et j'efface, j'efface encore...”

Un sein, c'est rond, c'est chaud. Si Dieu n'avait créé la gorge de la femme, je ne sais si j'aurais été peintre.”

Vous arrivez devant la nature avec des théories, la nature flanque tout par terre.”


POUR EN SAVOIR PLUS


Renoir (s) - En suivant les fils de l'eau de Jean-Pierre Devillers - 2005 – 52'

Le peintre Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) et son fils, le cinéaste Jean Renoir (1894-1979), furent tous deux également fascinés par l'eau. Cette passion commune est le point de départ d'une exploration de la filiation artistique entre le peintre et le réalisateur.

Film disponible au Centre du Film sur l'Art sur simple réservation.

A lire

Pierre-Auguste Renoir, Mon père de Jean Renoir, Folio, Paris, 1999.

Cahier didactique réalisé par Sarah Pialeprat

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