Cahier Didactique

Le Monde du Baroque : l'homme en représentation

Le baroque, une esthétique de la profusion qui tend vers l'infini.

 

FICHE TECHNIQUE
Le Monde du Baroque : l'homme en représentation
FRANCE - 1982 - 53'
Réalisation : Jean Antoine, Folco Quilici
Scénario : Jean Antoine
Mixage : Elvire Lerner
Son : Mario Risi, André Defossez
Montage : Dominique Gazzieni, Hélène Ducret
Production : Antenne 2, Polytel, RAI RTBF

LE FILM

La caméra de Jean Antoine sait rendre l'architecture parlante. A travers cet épisode issu d'une série intitulée "L'Epoque baroque", le réalisateur fait le tour de l'Europe et un retour sur un style flamboyant qui va se développer entre le début du XVIIème siècle et le milieu du XVIIIème siècle.

L'art baroque est une forme d'art qui cherche à étonner, à impressionner et à émouvoir, mais son évolution correspond à des événements religieux et politiques marquants. En effet, le baroque n'est pas qu'une esthétique. Le baroque, c'est aussi l'expression de l'homme face à la nature, un homme qui se sent décentré, solitaire et mortel.

Le baroque institue la richesse face à la pauvreté, la joie face à la tristesse, la naïveté face à l'angoisse, la lumière face à l'obscurité, le mouvement face à l'immobilité, la vie face à la mort.

Quelques mots du film :

" Il fallait se rendre à l'évidence : les mathématiques prenaient le pas sur les légendes."

"L'homme baroque est très profondément un homme de foi".

"Une révolution des idées, ça se prépare toujours dans le cadre feutré d'une bibliothèque."

"L'Europe baroque dont les arts font notre admiration souffre de faim et de froid."

LE BAROQUE

Le baroque se caractérise, en opposition à la Renaissance, par une nouvelle relation entre l'être et le monde. Alors que la Renaissance affirmait un rapport harmonieux et mathématique du microcosme vers le macrocosme, le baroque va, lui, opposer un lien complexe, expression hyperbolique de l'unité et de revendications identitaires, d'immanence totale et immédiate et de transcendance grandiose et univoque. La pensée baroque va privilégier un univers fantasmé, imaginaire, qui sera l'extrapolation de ce conflit des contraires, mais qui portera en lui ce principe de convergence. L'art baroque va alors développer la brisure, la courbe, la tension et le noeud comme expressions figuratives les mieux appropriées pour représenter ce type de conflit.

La cosmologie de Copernic apportera au baroque une assise scientifique. Car l'univers copernicien est un univers tordu, étiré, exagéré, portant la Terre aux confins d'un monde héliocentrique, et faisant de l'Homme une représentation brisée de l'Adam biblique. Galilée reprendra ces vues. La découverte des Indiens du Nouveau Monde se fera l'écho, pour une large part, d'une anthropologie baroque.

L'explosion du baroque a également coïncidé avec toutes les expressions de la Réforme, comme avec l'émergence des grandes puissances européennes, que ce soit la France de Louis XIV, ou l'Espagne de Philippe II. La notion d'état et celle de religion vont, tour à tour, se combattre et se confondre. Chaque état européen sera perçu comme une religion à part entière, en même temps que l'église catholique s'affirmera comme une institution européenne. Le rapport entre l'individu et l'état reproduira alors le rapport entre l'individu et Dieu.

Dans sa volonté de toucher le sentiment des foules, le baroque possède le goût du faste et du spectaculaire. Des artistes vont jouer de contrastes d'éclairage, de truquages et de machineries complexes pour susciter des effets de masse. Dans l'art sacré, les scènes édifiantes (martyres, extases et miracles) sont particulièrement appréciées.

Les peintres privilégient les compositions géométriques et jouent sur les diagonales, les jeux de perspective, les raccourcis et les effets de contre-plongée. La technique du trompe-l'oeil connaît un important développement, car elle sert grandement la volonté d'employer l'illusion comme l'expression figurative la plus adéquate pour susciter la force de l'imagination, seule force susceptible d'accéder à cet univers fantasmé et merveilleux. Le lyrisme et le pathétique, dans la peinture baroque, sont autant d'effets recherchés pour évoquer cette force imaginative fondamentale. Ainsi, la peinture baroque partage avec la sculpture un goût prononcé pour tout ce qui peut susciter le pathos : descriptions psychologiques des personnages, théories des passions humaines, mouvements de la pensée, mises en abyme, etc.

Enfin, en architecture, le baroque se caractérise par un penchant très net pour la dissolution dans l'espace. Exprimant un univers scindé, l'architecture baroque veut se répandre, occuper le plus d'espace possible tout en recherchant la décentration, la brisure, c'est-à-dire le seuil de la perte d'équilibre. La dissolution et la brisure seront perçues comme des expériences architecturales les mieux élaborées pour rendre compte du conflit permanent entre l'ordre et le désordre, l'Un et le multiple. L'architecte baroque voit se développer la colonne torse, les décrochements, les courbes et les lignes brisées.

Italie

Les premières manifestations du baroque apparaissent à Rome vers la fin du XVIe siècle, au terme de la période dite maniériste. Cette évolution est, en grande partie, liée au concile de Trente, qui prône une grande discipline dans la recherche d'un art sachant toucher les foules par la passion.

En peinture, on distingue deux écoles fondamentales : « l'école de Bologne » et « l'école napolitaine ». Les peintures du Caravage, avec leur opposition de lumière et d'ombre très marquée, font partie de cette dernière. Les frères Carrache, refusant tout maniérisme au profit de principes de clarté, de monumentalité et d'équilibre, font partie, en revanche, de l'école de Bologne.

C'est vers la fin des années 1620 que se développe un « plein-baroque », marqué par une théâtralité et une exubérance toutes nouvelles. Les artistes cherchent à fonder une peinture pouvant susciter une totale énergie imaginative.

Il est généralement admis que la Sainte Cécile de Stefano Maderno (1576-1636) constitue la première sculpture baroque. C'est pourtant le Bernin qui domine la sculpture baroque en Italie. L'Extase de sainte Thérèse (1646-1653) est exemplaire dans sa volonté de toucher le spectateur par une émotion bouleversante, mais contenue et intellectualisée puisqu'elle s'adresse à l'imagination.

Parmi les commandes publiques de l'époque du "plein-baroque", les fontaines romaines sont souvent les plus spectaculaires. La fontaine des Quatre-Fleuves (1648-1651), édifiée par le Bernin sur la place Navone à Rome, est l'une des plus célèbres.

Trois grands architectes dominent la période architecturale baroque : le Bernin, Borromini, et Pierre de Cortone.

Espagne

Le baroque espagnol du XVIIe siècle n'aura guère été influencé par le maniérisme du Greco. Il s'inspirera plus de l'art italien et opérera une subtile synthèse entre le mysticisme du Greco et la technicité d'un Caravage. Après une période de forte influence italienne sous le "plein-baroque" (1590-1620), des artistes espagnols vont progressivement s'attacher à un art figuratif exprimant l'identité espagnole par un certain goût pour la mise en scène monumentale, les scènes populaires, les effets de masse et l'extraversion comme sentiment noble et unique. On appellera ce mouvement "l'école sévillienne".

L'art italien influence peu la sculpture baroque espagnole, qui demeure, pour l'essentiel, une poursuite de la tradition médiévale de la sculpture sur bois. Le réalisme et l'extrême souci du détail la caractérisent.

L'architecture espagnole du "plein-baroque" reprend les motifs austères du palais et du monastère de l'Escurial (1563-1582), près de Madrid, lors de la construction du palais du Buen Retiro (commencé en 1631, aujourd'hui détruit) à Madrid. La façade réalisée par Alonso Cano pour la cathédrale de Grenade (conçue en 1667) réutilise des éléments traditionnels, mais sa décoration extérieure laisse entrevoir un fort style baroque. Les édifices baroques les plus décorés se trouvent en Andalousie.

Europe du Nord

Dès le "plein-baroque", des artistes d'Europe du Nord, partis étudier en Italie, répandent à leur retour les caractères baroques de l'Europe du Sud. Mais, chaque pays du Nord interprète et utilise cet apport d'une manière différente, selon sa situation politique, économique, géographique et religieuse, afin que le baroque serve l'expression d'une revendication identitaire, nationale ou régionale. Ainsi, le baroque de l'Europe du Nord se distingue de celui d'Europe du Sud en ce qu'il insiste sur la concentration de l'espace, la miniaturisation, la gravure, et un vif penchant pour l'intimité et les scènes familiales.

Baroque flamand

Le baroque flamand reste dominé par Rubens. L'influence du Caravage, des frères Carrache et de Michel-Ange est déjà manifeste dans ses oeuvres de jeunesse comme que l'Enlèvement des filles de Leucippe (v. 1618, Alte Pinakothek, Munich). Mais c'est à la période de maturité de son oeuvre, composée de couleurs flamboyantes, de structures dynamiques et de formes féminines et sensuelles, que la peinture baroque flamande atteindra véritablement son apogée. Antoon Van Dyck, élève de Rubens, s'inscrit à sa suite comme rénovateur de l'art du portrait. Jacob Jordaens et Adriaen Brouwer sont plus connus pour leurs scènes paysannes, qui influencent également David Teniers et Adriaen van Ostade.

Les sculpteurs baroques flamands puisent leur inspiration dans l'art italien. François Duquesnoy (1594-1643) travaille avec le Bernin à Rome. On lui doit la gigantesque statue de Saint André à Saint-Pierre de Rome en 1633. Le style « à l'italienne » est tout autant visible en architecture, comme dans l'ancienne église de Saint-Charles-Borromée (1615-1621, aujourd'hui transformée en musée), à Anvers.

Au tournant du XVIIe siècle, de nombreux artistes hollandais tels que Hendrick Goltzius, restent attachés au maniérisme. Le caravagisme est introduit aux Pays-Bas lorsque plusieurs artistes, dont Gerrit Van Honthorst et Hendrick Ter Brugghen (1588-1629), rentrent d'Italie. C'est dans les années 1620 précisément qu'il se développe à Utrecht. Toutefois, il est plus juste d'évoquer des caractères baroques que de parler d'un véritable baroque hollandais. La peinture de Frans Hals réunit ainsi, entre les années 1620 et 1640, certaines spécificités baroques comme le goût de l'émotion et de la vitalité, l'art de saisir la spontanéité du modèle, les axes en diagonales (le Joyeux Buveur, v. 1628-1630, Rijksmuseum, Amsterdam). Chez Rembrandt, la parenté avec le baroque se manifeste entre 1632 et 1639.

Parmi les peintres de genre ou de paysage, maîtres des perspectives travaillées à travers une porte ou une fenêtre, il faut citer Pieter De Hooch et Jan Steen, qui utilisent parfois certains procédés baroques. Quant à Vermeer, la tradition le classe plutôt dans les artistes "classiques". Il n'appartient déjà plus au "plein-baroque" au sens strict. Son habileté méticuleuse et sa maîtrise délicate de la couleur font également de lui un artiste hors normes.

Jusqu'en 1650, la sculpture hollandaise, dominée par Hendrick De Keyser (1595-1657), reste très marquée par l'influence italienne. Une exubérance fortement baroque apparaît dans les sculptures flamandes lorsque des artistes des Pays-Bas espagnols sont chargés de décorer l'Hôtel de Ville d'Amsterdam. Le plus remarquable d'entre eux est Artus. L'édifice (aujourd'hui Palais royal), commencé en 1648 suivant les plans de Jacob van Campen (1595-1647), incarne le goût prononcé de l'époque pour un classicisme qui s'est rapidement répandu grâce, notamment, aux publications de Palladio.

Angleterre

La peinture baroque anglaise reste dominée par la présence de Rubens et de Van Dyck, qui ont influencé une génération entière de portraitistes.

La sculpture est marquée à la fois par les styles italien et flamand. La Banqueting House (1619-1622, Londres) de l'architecte anglais Inigo Jones, maison londonienne dont le plafond est décoré de l'Allégorie de la Paix et de la Guerre (1629) de Rubens, relève davantage de l'influence renaissante de Palladio que de celle d'architectes baroques. Christopher Wren, en revanche, fait cohabiter l'enseignement de Borromini et l'influence de Bramante dans les plans de la cathédrale Saint-Paul (commencée en 1675, Londres). Wren, chargé de la reconstruction de Londres après le grand incendie de 1666, aura laissé à la Grande-Bretagne un style baroque propre.

France

La France reste un cas particulier dans ses rapports avec l'influence baroque. Au début du XVIIe siècle, la tradition de "l'école de Fontainebleau" était encore très suivie. Ainsi, en 1619, la chapelle de la Trinité à Fontainebleau, était décorée des tableaux de Martin Fréminet (1567-1619) et les gravures de Jacques Callot et de Jacques de Bellange (v. 1575-1616) continuaient de s'inscrire dans la tradition maniériste. Cependant, la majorité des peintres français du début du XVIIe siècle ont suivi leur formation à Rome, au contact des différentes écoles italiennes. Certains ont ainsi introduit en France le caravagisme, dont on trouve l'écho dans les clairs-obscurs de Georges de La Tour. D'autres, comme les frères Le Nain ou Philippe de Champaigne, ont eu davantage de liens avec les peintres flamands. Les influences sont donc diverses, les interprétations variées, et les frontières floues. Ainsi, bien qu'il ait passé la plus grande partie de sa carrière à Rome sous le "plein-baroque", Poussin est devenu un artiste "classique" en France.

A la fin du "plein-baroque", la création française semble donc osciller entre un art exubérant et un art ordonné et univoque : le classicisme . En sculpture, François Girardon et Antoine Coysevox peuvent être jugés selon les critères du "plein-baroque" comme selon les critères "classiques". L'Enlèvement de Proserpine (1694-1699) de Girardon appartient à la fois au classicisme par son sujet édifiant et sa force mesurée et maîtrisée, et au "plein-baroque" par son dynamisme et son emphase. Pierre Puget, élève de Pierre de Cortone, s'inscrit, quant à lui, dans une esthétique classique.

En architecture, le début du XVIIe siècle est marqué par le mariage de la brique et de la pierre dépourvue de saillies, bien éloigné des courbes et contre-courbes italiennes. Au milieu du siècle, François Mansart tente même de fonder un classicisme à la française en alliant les ordres antiques aux toits élevés. Toutefois, cela ne l'empêche pas de s'approcher du baroque romain avec son projet pour la chapelle du Val-de-Grâce (commencée en 1645).

Le baroque germanique

La guerre de Trente Ans (1618-1648) en Allemagne, la présence des Turcs en Autriche, et les guerres contre les Tchèques empêchent les influences baroques de se répandre dans ces pays &emdash; du moins, au cours du XVIIe siècle. Néanmoins, elles se font sentir chez certains artistes du début du XVIIe siècle, comme Adam Elsheimer ou Johann Lys (v. 1595-1629), qui se tiennent tous deux en contact avec l'Italie et contribuent à l'élaboration du « plein-baroque » allemand. Dès la seconde moitié du XVIIe siècle, la Bavière catholique devient le lieu du développement d'un style baroque particulier qui s'explique par l'adhésion de ses différents souverains à l'art italien, et par le développement du mouvement jésuite qui se répand dès le début du XVIIe siècle dans les régions européennes bordant le Danube. Mais c'est encore davantage au XVIIIe que le baroque, puis le rococo, marquent un essor extraordinaire, notamment en architecture, en sculpture et dans les arts décoratifs. L'architecture religieuse des pays germaniques et, dans une moindre mesure, l'architecture civile connaissent un développement sans précédent dans lequel l'influence de l'art classique français est manifeste.

Le baroque s'est terminé avec le préromantisme. En l'espace de deux siècles, il a parcouru l'Europe. Il préfigure, à sa manière, ce que deviendra l'Europe moderne, à la fois portée vers l'unification, à la fois soucieuse de conserver ses antagonismes.

D'après l'encyclopédie encarta

ILS ONT ECRIT

"Culture migrante, le Baroque est cependant, pour moi, un art d'accueil qui s'adapte localement parce qu'il adopte sans discrimination des modalités locales : partout intégré car intégrant les tissus divers du métissage culturel."

Benito Pelegrin

" Le baroque s'est développé à partir de la nouvelle vision du cosmos introduit par la Révolution copernicienne".

Umberto Eco

"La pensée moderne s'est peut-être inventé le baroque comme on s'offre un miroir".

Gérard Genette

"Circé et le Paon, la métamorphose et l'ostentation : voilà le commencement et la fin du parcours accompli à travers le siècle baroque. Ces termes extrêmes sont conjoints ; de l'un à l'autre, la relation est intime et nécessaire : l'homme en mutation, l'homme multiforme est fatalement amené à se concevoir comme l'homme du paraître".

Jean Rousset

POUR EN SAVOIR PLUS

A lire

Tapié Victor Louis, Baroque et classicisme, Plon, 1957, réed. Librairie générale française, « Livre de poche », 1980.

Jean Rousset, La littérature de l'âge baroque, Circé et le Paon, 1953, Corti
Gérard Genette, Figures 1, Points Seuil

Cahier didactique réalisé par Sarah Pialeprat

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