Cahier didactique

Balthus, De l'autre côté du miroir

Le plus discret, le plus secret, le plus misanthrope aussi se confie à la caméra. Une heure passée avec un peintre aussi énigmatique que ses tableaux, le solitaire Balthus.



FICHE TECHNIQUE
Balthus-De l'autre côté du miroir-
FRANCE - 52' - 1996
Réalisation : Damian Pettigrew
Image : Paco Wiser
Son : Marc-André Relave
Montage : Florence Ricard
Musique : Faton Cahen
Mixage : Jacques-Thomas Gérard
Producteur : Olivier Gal
Production : Planète Cable, Baal Films

LE FILM

Qui est Balthus ? A quoi ressemble t-il ? Balthus, de son vrai nom Balthazar Klossowski de Rola, reste une énigme dans l'art contemporain, non seulement parce qu'il a toujours été hostile à tous les mouvements picturaux de son époque, mais aussi par sa personnalité. Sa nature solitaire et secrète l'a ainsi tenu à l'écart des médias, et il n'existe presque aucune image, aucun entretien de cet homme. En effet, cet artiste en marge, réputé difficile par la critique et le public, a toujours refusé de s'exprimer sur son travail.

Pour la première fois, à 88 ans, Balthus donne son accord à Damian Pettigrew pour le suivre semaine après semaine dans ses lieux de vie et de travail, la Suisse, l'Italie, la France et l'Angleterre. Pendant quatre saisons, le réalisateur se faisant aussi discret que possible - mais comment faire autrement ?- tente de percer l'énigme Balthus. Il parvient même à entrer dans son atelier. Assisté par sa femme japonaise vêtue de son costume traditionnel, l'artiste donne ses ordres, allume une cigarette, une autre, une autre encore, et silencieusement, regarde le tableau en train de se faire, puis l'observe dans un miroir qui lui sert de guide. Il s'exprime quelquefois, évoque le passé, rarement le présent, en anglais ou en français selon l'humeur, et apparaît ainsi comme un homme impossible à contraindre, impossible à convaincre, malgré l'opinion des critiques, que de ses œuvres émane une forte charge érotique. Si érotisme il y a dans les tableaux de l'homme-chat, c'est bien plus la confession d'un désir contrarié que l'illustration d'une jouissance physique. Balthus n'annonce jamais des lieux communs et ordinaires. Il semble à tout moment se battre avec sa toile pour exprimer l'éphémère, l'indicible, le silence et c'est dire à quel point ses tableaux lui ressemblent.

Les entretiens avec sa famille, (plus particulièrement avec ses trois enfants) et avec ses amis, accentuent encore le caractère charismatique de l'artiste et tous semblent vouloir s'effacer devant une telle personnalité.

Des photos d'Henri Cartier-Bresson et d'Irving Penn et de nombreux documents inédits révèlent la richesse et la complexité du travail de l'un des derniers grands peintres du XXe siècle...

Décédé dans son chalet de La Rossinière en pays de Vaud en Suisse le 18 février 2001, il laisse derrière lui une œuvre totalement singulière de plus de trois cent-cinquante peintures connues à ce jour, un millier de dessins et une cinquantaine de carnets de croquis.

Analyse critique par Jacqueline Aubenas

Balthus très âgé, est filmé ici quelques années avant sa disparition. Présent et impressionnant, le visage émacié - mais il a toujours ressemblé à Antonin Artaud- assis dans son fauteuil, sa sempiternelle cigarette allumée, il évoque les moments marquants de sa vie. Il vit dans son immense chalet suisse, entouré de sa femme japonaise attentive comme une geisha, de la reconnaissance internationale, d'une célébrité aussi admirative que respectueuse et il peint toujours. Ce film n'est ni une analyse fouillée de son Ïuvre, bien que soient convoqués des historiens et des critiques comme Jean Clair, Pierre Rosenberg, Jean Leymarie, ni une biographie précise. Son grand mérite est de faire un portrait impressionniste où le "un peu de tout" forme un tout fait des gestes de la vie quotidienne, de souvenirs, d'évocation de rencontres, d'éléments de vie, de témoignages et surtout de peinture.

L'enfance, les maisons habitées et ressuscitées par sa présence, le témoignage de ses trois enfants, les photographies, les jugements et les confidences pudiques montés en séquences brèves n'anecdotisent pas une Ïuvre mais, au contraire, permettent de la comprendre. Parce que les tableaux sont là, énigmatiques et troublants, qu'ils soient paysages ou jeunes filles en bouton : "je suis un peintre religieux" dira Balthus. Témoignages après témoignages, se dessine un univers où les mise en scène à forte résonance sexuelle rejoignent une transcendance certaine car, dira encore Balthus, "la peinture est l'esprit incarné".

Catalogue du Centre du Film sur l'Art

Intervenants : Ses enfants (Thadée, Stanislas et Harumi Klossowski de Rola), Jean-Pierre Leymarie, Jean Clair, Pierre Rosenberg, François Rouan, Philippe Noiret, James Lord, André Barelier.

Quelques mots du film :

François Rouan

Jean-Pierre Leymarie

Jean Clair

Balthus

LE RÉALISATEUR

Damian Pettigrew 

Il a fait des études littéraires à Oxford et entame par la suite une carrière dans le journalisme. Il publie des articles pour les suppléments littéraires du New York Times et La Repubblica. Grand ami de Samuel Beckett, il va axer son travail de réalisateur sur les rencontres et les portraits d'écrivains, de peintres et de cinéastes.

L'ARTISTE

Balthazar Klossowski de Rola est né à Paris le 29 février 1908, dans une famille d'origine polonaise liée aux milieux artistiques et littéraires. Il s'intéresse très tôt au dessin et à la peinture. Totalement autodidacte, il réalise dès l'âge de 12 ans une série de dessins, et en publie un livre, encouragé par Rainer Maria Rilke, un ami de sa mère, préfacé par le poète, et édité en 1921, sous le titre "Mitsou le Chat".

C'est en 1924, qu'avec sa mère Baladine Klossowska, et sa famille liée à André Gide, André Derain et Pierre Bonnard qu'il vient alors s'établir à Paris où il restera jusqu'en 1954.

Au Louvre, il s'exerce à copier Nicolas Poussin à une époque où copier les grands maîtres est jugé dépassé. Il est un nostalgique de l'art et admire les personnages de Piero della Francesca ou de Masaccio.

Dès le début des années trente, il peint des portraits de jeunes filles, des groupes de figures et des paysages de la ville et quelquefois de la campagne, qui forment de grandes compositions. En 1934, il expose "La Rue" à la Galerie Pierre. Le tableau fait scandale, le révèle, et le fait connaître d'André Breton et de Jean Paul Sartre.

Résolument figuratifs, ses tableaux au fil des années représentent plus volontiers des scènes à la fois intimistes, insolites et érotiques.

A partir des années 1950, la gamme de ses couleurs semble s'éclaircir. Il quitte Paris pour s'établir dans le Morvan, à Chassy, en 1954, et y retrouver peut-être le contact avec la nature qu'il avait connu durant sa jeunesse lors de ses voyages en Suisse.

En 1956, le Musée d'Art Moderne de New York organise une rétrospective de son œuvre qui lui permet d'être dès lors totalement reconnu en maître d'un retour attendu à l'expression figurative, en opposition avec le développement de la peinture abstraite. Considéré à cette époque comme l'un des plus grands peintres réalistes de son temps, il prend la direction de la Villa Médicis à Rome en 1961 à la demande de son ami, le ministre André Malraux, et ce jusqu'en 1977 .

Marié en premières noces à Antoinette Von Wattenwyl, qui lui avait donné deux enfants, Stanislas et Thadée, Balthus épouse en octobre 1967 Setsuko Ideta. De ce mariage naîtra une fille, Harumi.

C'est en 1977 qu'il se retire en Suisse dans son chalet vaudois de La Rossinière pour continuer à peindre de nombreux paysages ainsi que des scènes intimistes.

A partir de 1983, sont organisées deux grandes rétrospectives à Paris et New York, ainsi que d'importantes expositions à travers le monde. Il est l'un des rares artistes à avoir été exposé au Louvre de son vivant.

LA PEINTURE DE BALTHUS

Son œuvre très contemporaine a souvent été incomprise parce qu'elle a continué à célébrer l'art de peindre, résistant aux poncifs d'un certain modernisme. Antonin Artaud ne s'y était pas trompé. Là où certains ne voyaient, dans les années quarante, qu'une peinture traditionnelle dominée par la gamme des ocres et des terres, l'écrivain voyait une "peinture de tremblement de terre". Le calme qui semble régner est factice. Cette peinture tellurique "sent la peste, la tempête et les épidémies", souligne encore Artaud. La Rue (1933), si lisse en apparence, dérange autant, avec son garçon automate, son enfant hydrocéphale, qu'Alice dans le miroir (1933), jeune fille aux yeux aveugles, ignorant le regard de l'autre posé sur sa nudité aussi crue qu'innocente.

Dans les années cinquante, la gamme des couleurs s'éclaircit et prend, dans le maniement des glacis, la transparence qu'on retrouve dans un des chefs-d'œuvre de Balthus, Passage du Commerce Saint-André, sorte de théâtre du monde où le dehors est éprouvé comme le dedans. On y trouve les oppositions de couleurs bleu-jaune et le fameux vert-rouge, déjà découvertes dans Jeune fille en vert et rouge (1944-1945). L'œuvre du peintre, comme l'explique Jean Clair, "c'est refuser la boue", comme le lui avait enseigné le poète Rainer Maria Rilke. "C'est tourner le dos à ce qui, dans l'art de notre époque, en croyant exprimer sa singularité, tire en fait l'être en arrière, le ramène au magma". Balthus, lui, surmonte le magma, rejetant les objets fugaces et dérisoires, ces pseudo-choses ou "attrapes de vie", qui dénaturent progressivement la terre.

Principales expositions consacrées à Balthus :

1977, Documenta VI

Allemagne, Cassel

1983, Exposition BALTHUS

France, Paris, Centre Georges Pompidou / Mnam - Grande Galerie

1995, Biennale de Venise

Italie, Venise

1997, Exposition Made in France 1947-1997, 50 ans de création en France.

France, Paris, Centre Georges Pompidou / Mnam

1998, Exposition Envisioning the Contemporary : Selections from the Permanent Collection

USA, Chicago, Museum of Contemporary Art

POUR EN SAVOIR PLUS

A lire

BALTHUS L'âge de la parole / Ed.M. Archimbaud

Ce livret de 26 pages, non illustré, mais riche en considérations fondamentales sur l'Homme et son destin, nous est proposé à partir d'une collection de films-documentaires sur et avec Balthus. Rencontre informelle entre le scientifique Théodore Monod, qui croit profondément en l'ultime réconciliation des temps messianiques, et le peintre Balthus, profondément pessimiste.

RILKE BALTHUS / Ed. M. Archimbaud

La rencontre décisive avec Baladine Klossowski, la mère de Balthus, va conduire le poète Rainer Maria Rilke à se prendre de passion pour l'œuvre naissante du peintre quand il n'avait encore que douze ans.

BALTHUS Catalogue Raisonné par V. Clair et J. Monnier de Albornoz / Ed. Gallimard

En 1983, le Musée National d'Art Moderne (Centre Georges-Pompidou) présente la première grande rétrospective de l'œuvre de Balthus. Cet événement fut l'occasion pour le public de découvrir le peintre. Ce catalogue raisonné donne une vision entièrement nouvelle d'un artiste dont on disait la production peu abondante. Jean Clair fut le commissaire de la rétrospective de 1983, et il est l'un des spécialistes de la peinture de l'entre-deux-guerres et de l'œuvre de Balthus.

BALTHUS  par S. Klossowski de Rola / Ed. De La Martinière

Stanislas Klossowski de Rola, le fils de Balthus, essaie d'éclairer la personnalité de cet homme énigmatique.

BALTHUS  par C. Carrillo de Albornoz / Ed. Assouline

Ce livre dévoile l'univers personnel du peintre sous forme d'un abécédaire, et retrace sa vie. Au fil des lettres, Balthus nous raconte son amour d'un Paris mythique, Rome et la dolce vita, l'admiration qu'il porte à Louis XIV et à Bonaparte, et son goût pour la calligraphie chinoise.

Conversations

Balthus, à contre-courant : Conversations avec Constanzo Constantini de Constanzo Constantini et Nathalie Castagné.

Balthus : Les Méditations d'un promeneur solitaire de la peinture : Entretiens avec Françoise Jaunin.

Balthus ou la Quête de l'essentiel : Entretiens avec Sémir Zeki.

 

 

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Cahier didactique réalisé par Sarah Pialeprat

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