Ensemble, gagnons !

 

Mme Eléonore Erlanger, domestique, dénerve du foie gras. Chantonne « J’ai deux amours, mon pays et Paris… »

M. Senchaz, le père de famille, arrive dans la cuisine.

- Mme Erlanger ?
- Oui, monsieur ! 
- Gardez-moi les nerfs, voulez-vous ? Vous me les resservirez ce soir, avec votre vinaigrette…
- Pas de persil, cette fois-ci ?
- Non, nature, comme vous Mme Erlanger !
- Oh, Monsieur, allons !

Il se rapproche, concupiscent.

- Ah, ce foie gras… Vous aimez le foie gras, Eléonore ?
- Je ne sais pas, monsieur, je n’en ai jamais mangé.
- Vraiment ? Vous devriez, c’est très bon pour la santé.
- Si vous le dites.
- Moi je suis fou de foie. Franchement, vous ne sentez pas cette odeur douceâtre qui vous affole les narines ? Cette texture à la fois flasque et gluante, qui suinte sur les mains le parfum de sa graisse… Rhaaaa…
- C’est un peu froid.
- C’est la tiédeur attendant d’être réchauffée… Tenez, sentez-moi ça !

Il serre les mains de Mme Erlanger pleines de foie gras et les écrase dans les siennes. Le foie écrasé suinte par les jointures des mains.

- Sentez, c’est huileux…
- Oui, oui. Bon, vous pouvez me lâcher maintenant ?
- Vous n’aimez pas ?
- Si, mais ça me gêne.
- Oooh. Je n’en ai pourtant qu’à votre plaisir, Eléonore.

Elle se dégage, attrape son sac et sort des papiers administratifs ainsi qu’un dépliant aux couleurs vives.

- Que faites-vous ?
- Et bien, vous semblez réclamer de ma part une prestation qui ne figure pas sur mon contrat d’embauche, il faut faire un avenant…
- Ah bon ? D’habitude on s’arrange plutôt après, non ?
- Non, les assurances ne veulent plus…

Elle lit le dépliant, très professionnelle.


- Monsieur Senchaz, en tant que golden client, vous avez droit, suite à l’avenant que vous allez signer, à l’une des prestations VIP suivantes :


- « Easy Daddy » : « calme et relaxé par les huiles essentielles dont vous vous serez fait enduire le corps, vous vous laissez bercer par vos sensations. L’ultime décontraction ne saurait tarder, vous vous endormez paisiblement après que notre collaboratrice, séduite par votre charme et la sûreté de vos gestes, vous ait fait jouir. » Là c’est l’option consentement mutuel, double plaisir, donc du coup simplement double salaire de la journée pour moi.

- (frétillant) Ca me paraît pas mal du tout, ça…

- Oui, c’est le mieux, si ce n’est que je ne consens pas.

- Fallait s’y attendre. Quelles sont les autres prestations ?

- «  Romantic pressure » : « Eléonore vous obsède ; vous n’en pouvez plus de la voir passer tous les jours sous votre regard avec son regard prometteur et la houle de son tablier. Vous n’y tenez plus : vous la coincez sauvagement contre la porte de la cuisine, vous l’embrassez, vous lui jurez un amour éternel, vous la pressez contre vous mais la beauté de votre passion est plus forte que la tentation ; vous l’abandonnez en l’implorant de vous pardonner pour votre brusquerie, elle vous sourit faiblement ». Là, c’est… Oui, voilà, violation mineure de mon intégrité physique et morale, un an de salaire, et atteinte aux Droits de la Femme, un mois. Un an et un mois de salaire. C’est pas mal, ça, non ?

- (Soupire) Mmmm. Bof. C’est quoi la troisième ?

- Ah, celle-là… Ca s’appelle « Toro Bravo », c’est la page rouge : « « Trop c’est trop ! Déjà trois semaines que cette salope est là à me montrer son cul, elle va comprendre où j’ai fait mon service celle-là ! » Vous êtes pris à la gorge par vos pulsions, un désir torride vous submerge et vous voyez rouge ; vous attrapez Eléonore et vous la violez séance tenante sur le carrelage de la cuisine. » Mmm… Donc : sévices physiques, un an et demi. Dix ans de souffrance psychique : dix ans de salaire. Et c’est votre assurance qui prend en charge le traitement psycho-relationnel ultérieur.

- Un psy ? Pour qui ?

- Ben, pour moi !

- Ah oui… Pardon ! Dites, euh…

- Oui ?

- Si vous jouissez pendant le viol, il y a une ristourne ?

- Je ne sais pas, peut-être, ceci dit ça ne m’est jamais arrivé vous savez.

- Bah, tant pis, peu importe. Je crois que je vais prendre la…

- « Toro Bravo » ?

- Oui, c’est ça. Vous me dites que l’assurance couvre tout, au-delà des onze ans et demi de salaire ?

- Oui. Mais, vous avez de quoi payer ? Je veux dire… C’est beaucoup d’argent…

- Hé Hé, Toro Bravo, Eléonore, Toro Bravo ! MMMMMUUUUHH !

Il l’attrape.

FIN