Les Fondateurs |
Certaines des dates marquantes de la vie d'André TALVAS
28 avril 1907 |
Naissance d'André-Marie Talvas à Chauvigné
(Ille-et-Vilaine). Ses parents, artisans fabricants de chaises et
coiffeurs tiennent également un café. |
1927 |
il entre au séminaire des vocations tardives de
Saint-Hillan. Il est déjà impliqué dans des mouvements comme la
Jeunesse ouvrière chrétienne et la Jeunesse agricole chrétienne. |
1936 |
il est nommé vicaire de Paramé, près de
Saint-Malo. |
1937 |
il rencontre en avril Germaine Campion alors malade
alcoolique. C'est le début d'une longue amitié et le moteur de
l'engagement du Père Talvas face l'alcoolisme et à la prostitution, deux
faits de société qui, à ses yeux, bafouent la dignité humaine. |
1940 |
André Talvas est déporté en Allemagne. Pendant
neuf mois, il réfléchit et discute avec ses compagnons de captivité sur
le couple, la famille, l'homosexualité et la prostitution. |
1946 |
il crée I'Association Le Nidpour les prostituées. |
1947-1948 |
il découvre les cures de désintoxication pour les
alcooliques auprès du Dr Lecocq (Saint-Germain-en-Laye). Des réunions
mensuelles rassemblent déjà à cette époque d'anciens buveurs et des
abstinents volontaires. L'Entraide est née. |
1952 |
lors du Congrès anti-alcoolique international en
septembre, formation d'un nouvel organisme (qui ne s'appellera Vie Libre
que l'année suivante) résultant de la fusion de l'Entraide et de l'
Amicale du 147 (amicale des malades du Dr Aitoff au 147 bd St-Germain à
Paris où siégeait le Comité national de défense contre l'alcoolisme). |
1953 |
Création officielle
de Vie Libre. Germaine Campion est aux côtés d'André Talvas
qui en devient le secrétaire général et le restera jusqu'en 1965. Ce
mouvement a pour but la promotion et la guérison des malades alcooliques
et la lutte contre les causes de l'alcoolisation. |
1954 |
André Talvas présente la charte du Mouvement au
premier congrès de Vie Libre qui l'adopte. |
1965 |
Il participe à la création de Vie Libre en
Belgique. |
Germaine
Campion nous a quittée le 28 janvier 1998
Voici
un texte paru dans "Libres" n°199 de mai / juin 1993.
Germaine Campion y parlait de sa vie.
«J'ai
aujourd'hui quatre vingt-sept ans , voici brièvement ma vie. J'ai été élevé
dans un café. Ma mère était trop bonne, ce n'était pas une éducatrice. Il y
avait cinq enfants. Trois sont morts en bas âge. Mon père était charpentier
de marine. C'était un ouvrier spécialisé, les meilleurs du monde. Quand il a
été atteint d'un cancer il m'a dit : «Oh Germaine ! si je n'avais pas tant
bu, comme je t'aurais dressée. »
C'était
un Campion lui !... J'ai fait les plus grosses bêtises. Tous savaient que je
pouvais les faire rire, alors on m'invitait. Je buvais par entraînement. Je
n'ai pas eu le certificat d'études primaires. Je n'aimais pas l'école. Voyant
cela, ma mère m'a mise en pension. Je l'avais fait appeler pour qu'elle vienne
me chercher, car il y avait un jour de congé. On a refusé de me laisser partir
chez moi !...
Je
me suis mariée à vingt trois ans, mais ce n'était pas celui que j'aimais.
Parce que lui, il m'aurait empêcher de boire. J'ai eu un petit garçon qui est
mort né. Vraiment j'étais pas valable. J'avais aussi un frère très gentil
qui était sculpteur sur bois. Il est mort aussi, il avait vingt deux ans. Et
j'en avais à l'époque vingt-quatre. C'était en 1929. J'étais plus ou moins
interdite de séjour dans ma ville de Paramé près de Saint-Malo en
Ille-et-Vilaine. Une dame, la femme d'un docteur, m'avait emmenée à Versailles
pour être cuisinière. Un jour elle m'a trouvée ivre morte alors qu'il y avait
une fête de famille. J'avais bu tous les fonds de bouteilles. Je dis à cette
dame : «Je m'ennuie chez vous. Je vais aller à Paris, certainement j'y
trouvais un travail». Elle m'a répondu : «Si vous avez besoin de quoi que ce
soit, je suis toujours là, je serai toujours là». Les Halles à l'époque, c'était
très vivant. J'ai même connu le petit train qui venait d'Arpajon pour apporter
les asperges. J'y ai vécu dans la crasse, la misère, mais il y avait toujours
un morceau de fromage pas trop abîmé pour manger, quand on rendait service. J'étais
une clocharde. Un jour j'ai failli être étranglée par un type qui voulait que
je me prostitue.
«
Un jour, vous guérirez »
Alors
j'ai demandé de l'argent à la dame de Versailles pour retourner à Paramé. Je
suis arrivée vers cinq heures à saint-Malo. J'avais fait une crise de delirium
dans le train. Quand je suis arrivée, les habitants, s'ils avaient pu,
m'auraient jeté des pierres. Ils m'ont insultée. J'ai répondu : «Je reviens
mourir chez nous.» Une amie de ma mère m'a prise chez elle et m'a conseillé
d'aller voir un jeune vicaire qui venait d'arriver : l'abbé Talvas. J'ai dit à
cette amie : «Je veux bien aller pour te faire plaisir. » .
J'ai
dis au vicaire que j'étais en vacances parce que j'étais du pays. Que j'étais
contente d'être là. Mais lui sentait bien le parfum de l'alcool. «Vous
n'oubliez rien ?» - «Non, monsieur l'abbé.» - «Si, madame, vous buvez» -
«Oui, je suis perdue. Je vais bientôt mourir, la mer est là-bas» - «Ecoutez,
madame, vous êtes malade, un jour vous guérirez. Je vous promets de ne jamais
vous abandonner. »
C'était
une vocation tardive. Il n'a jamais rien eu à lui. Il voulait être
missionnaire. Il l'a été, des malades alcooliques surtout et des prostituées
après. Il est arrivé pour être vicaire à Paramé en 1937.
Le
lendemain, il fallait que je parte à Rennes, par le car, dans une maison où j'étais
attendue. Elle s'appelait : « La maison de Saint-Cyr» et il y avait des
grillages. Je n'y suis rentrée que contre un verre de vin de blanc que la fille
de cette amie m'a payé. Quand je suis arrivée, toutes les sœurs étaient là
mais toujours à travers des grillages comme les carmélites. J'ai mangé, couché
dans un dortoir où il y avait vingt-cinq filles d'un côté, vingt-cinq de
l'autre. On m'a donné d'autres vêtements un autre nom : Régine. On n'avait
pas le droit de dire son nom car les jeunes femmes qui étaient là n'avaient
pas vingt et un ans, elles étaient mineures. Elles n'avaient pas l'âge pour
rentrer en centrale mais avaient commis de gros délits : tué leur père ou
leur gosse etc. J'y suis restée en faisant des fugues...Un avoué m'a écrit en
me disant que ma mère m'avait laissé un bon du Trésor qui avait été tiré
au sort. A l'époque, je crois que c'était 100 francs. Je suis retournée à
Paramé. Tout le monde a su que j'avais un peu d'argent. Je n'ai eu que des
amis. J'ai trouvé une petite chambre et tout de suite une place dans un bureau
de tabac. j'ai travaillé jusqu'à la déclaration de la guerre.
Le
temps des premières cures
Le
passage à Saint-Cyr m'avait fait beaucoup de bien. Je buvais moins. Tout de même,
un jour, je suis passée au-dessus du guidon de ma bicyclette. Une dame et un
valet de chambre sont venus me relever et me coucher dans un lit à Baldaquin.
Vous vous rendez compte dans un lit à Baldaquin ! J'étais bien !
Pendant
la guerre, j'aidais les femmes de prisonniers.
Je
rendais des services en gardant les enfants pendant qu'elles allaient faire les
courses etc. Pour les enfants c'étaient la joie. Comme disait un petit gars: «Maman
tu sais la petite dame qui a un filet» J'allais de droite et de gauche et l'air
était très frais. Je tenais donc mes cheveux avec un filet. J'ai gardé cette
habitude en mettant toujours un chapeau. Aujourd'hui, ce sont les sœurs qui me
le font. Avant la fin de la guerre, j'ai fait des Allemands prisonniers que je
gardais dans une cave de la défense passive. Si les Allemands l'avaient appris
il y aurait eu des fusillés. J'ai aussi fait un peu de. résistance en faisant
évader des gens. J'ai aussi tenu les mains d'un jeune allemand et d'un jeune Américain
qui s'étaient entre-tués. Ils sont morts l'un après l'autre en appelant leur
mère. Ils avaient tous les deux moins de vingt ans. Quelqu'un m'a dit : «Tu
vas être décorée demain. Surtout ne bois pas. Je te garde avec moi. » Avec
d'autres j'ai reçu la croix de la Libération.
Le
père Talvas après la guerre est revenu me chercher de Paris. Il m'a emmené à
Rennes. J'ai eu honte. C'était jour de marché à Paramé. J'ai entendu des
gens dire : « Regarde. Il vient la rechercher parce qu'elle est saoule.» A
saint-Cyr, la Supérieure générale m'envoya à Chevilly La-Rue. L'Action
catholique ouvrière nationale s'aperçut alors qu'elle avait besoin d'une
cuisinière qui ferait en même temps un peu de nettoyage. C'est ce que j'ai
fait. J'ai été mise à la porte parce que j'étais ivre. On m'a dit : «Vous
ne partez pas le père Talvas arrive demain.» Il m'a dit : «Vous avez rebu ?»
- «Oui, vous savez que je ne vous mentirai jamais» - «Germaine, lisez ce
papier. Les premières cures de désintoxication se font à l'hôpital de
Saint-Germain-en-Laye. » J'ai répondu : « Pourquoi irais-je me faire soigner
? Je n'ai personne à qui faire honte.» - «Vous dites tout le temps : Si un
jour je guéris j'irais le dire à tout le monde. Allez-y pour cela.» Je suis
partie. Jusqu'à la gare Saint-Lazare tout allait bien. De la gare Saint-Lazare
à Saint-Germain-en-Laye, c'est loin. Je suis arrivée à midi complètement
ivre. Le docteur Lecoq m'a dit : « Madame je ne peux pas vous soigner dans cet
état là.» Je lui ai dit :«Ce n'est pas pour moi que je viens. Quand je serai
guérie, j'irais le dire à tout le monde.» - «Alors donnez-lui un lit,» a
dit le docteur, elle ne s'est pas noyée parce qu'elle aimait trop la vie. »
Dix jours après, je suis partie et il m'a dit : «Madame Campion vous n'avez
plus d'alcool dans le sang. N'en remettez plus, vous
êtes guérie.
Retournez à votre place on vous y attend.» C'était en 1948.
«
Vers
la constitution d'un mouvement»
On
a commencé à aider d'autres malades bien avant 1953. On commençait à faire
des cures dans les hôpitaux. J'habitais alors avenue d'ltalie et j'allais à
l'hôpital du Kremlin-Bicêtre. Mes premiers «clients» étaient des femmes. Je
demandais à l'infirmière leurs vêtements pour les faire nettoyer. Trois médecins
nous ont particulièrement aidés, les docteurs Lecoq, Fouquet et Paris qui était
médecin du travail.
Nos
premières réunions ont eu lieu au Nid au 80, boulevard du général Leclerc à
Clichy. Nous avons aussi tenu des réunions dans une cave. Notre structure a
commencé par l'entraide. Emile Le Corre a été le premier responsable de cette
entraide. J'en faisais partie. C'était très dur. Il fallait que je travaille
comme une femme de ménage. Une dame chez qui j'étais employée dans le XVle
arrondissement à Paris qui faisait partie de l'ACI., me demanda de faire une
causerie sur l'alcoolisme devant ses amies. Ce fut la première fois que je présentais
la maladie. Il y a eu un congrès international à Paris auquel le père Talvas
a participé : le docteur Aitoff, nous a dit :«Pourquoi ne pas faire un vrai
groupe ?» On a pris des malades un peu partout entre autre au CNDCA. On a démarré
comme ça. Nous étions un petit nombre. On a organisé une journée d'étude
avec des amis des Vosges. J'ai commencé a être propagandiste en 1950, après
le grand congrès international. Nous avions déjà le nom de Vie libre mais
sans que se soit encore tenu le congrès de constitution qui a eu lieu en 1953.
Parler,
parler toujours, parler c'est fatiguant. Alors je présentais un film. Il y
avait Jean Marais qui buvait, sa femme qui ne voulait pas qu'il guérisse, et
Robert Banzi, enfant, qui l'a guéri. A travers ce film je pouvais parler de la
maladie alcoolique. Mon premier déplacement, je l'ai fait à Rennes. Une
assistante sociale, que j'avais bien connue à Saint-Cyr, m'a demandé de venir
parler à des élèves. C'est elle qui a payé ma chambre et mon voyage. Suite
aux bombardements, j'ai couché dans un grand dortoir dans un baraquement.
J'avais un pull-over qui avait 28 laines. Après, dans les grandes villes,
j'allais dormir chez les petites sœurs de l'Assomption.
«Le
malade vers le malade»
Le
père Talvas avait organisé une journée, à Paris, sur la prostitution. «Que
faire» disaient les petites soeurs de l'Assomption ?
Alors le père Talvas leur a dit : «Un mouvement de buveurs vient d'être créé,
vous pouvez l'aider.» Toutes les soeurs connaissaient un malade alcoolique. «Germaine
Campion en est propagandiste. Pouvez-vous l'aider ?».Je suis allée dans toutes
les maisons qu'elles avaient en France mais aussi en ltalie et en Espagne. Elles
ont aidé au développement du mouvement Vie libre. Mon dernier voyage comme
propagandiste, je l'ai fait il y a dix ans. J'ai été vice-présidente un
moment parce qu'il n'y avait personne. Rapidement on m'a dit : «Tu n'es plus
vice-présidente». J'ai compris !...
Après le congrès de Rennes les habitants de Paramé ont su que j'étais
intervenue. Donc que je ne buvais plus. J'y suis retournée et j'ai été
accueillie à bras ouverts !
La première fois que je suis allée chercher une subvention, c'était au ministère
des Finances. Il se trouvait à l'époque dans l'une des avenues de l'Etoile.
J'avais un papier pour venir chercher une somme qui nous avait été promise. J'étais
bien habillée, sobrement, avec un chapeau. J'ai été reçue par un ministre
quelconque qui m'a dit de m'asseoir. J'ai refusé en disant : «Je ne veux pas
de ce fauteuil mes pieds ne vont pas toucher terre». Alors il m'a dit de
m'asseoir où je voulais.
Le départ de l'indépendance du mouvement, ce sont les conseils du père Guérin
à André Talvas : «Prenez exemple sur la Joc : «le malade vers le malade».
L'indépendance, c'est cette démarche. En agissant auprès des malades de
toutes opinions.»
Propos recueillis par Pierre Matis
En 1965, suite à des contacts entre certains membres des AA de la Province de Luxembourg en Belgique et de membres de Vie Libre des Ardennes françaises, l'asbl Vie Libre Belgique fut fondée. C'est Monsieur Prospère Hamer qui fut tout de suite préssenti comme le plus capable d'assumer la responsabilité d'organiser le mouvement belge. Monsieur Hamer était abstinent depuis quelques années déjà quand il prit contact avec le docteur Klutz à la clinique de Bastogne. Il suggéra à ce dernier d'organiser des cures de sevrage alcoolique pour des malades dont l'état le justifiait. Le médecin accepta très vite mais à la condition que ces malades soient suivis par un groupement de buveurs guéris avant, pendant et après la cure. Cette façon de procéder donnerait selon le docteur Klutz, plus de chances aux malades de guérir durablement. |
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Vu le succès de cette approche le docteur Dejaiffe, responsable du centre de neurologie de Bertrix organisa lui aussi des cures avec le concours de Vie Libre. Le docteur Denys du centre neurologique de Lierneux adopta à son tour la même thérapeutique. C'est là au centre d'hygiène mentale de Bastogne que naquit la première section de Vie Libre Belgique; Elle était supervisée par Prospère Hamer conseillé par son ami André-Marie Talvas, fondateur du mouvement français. Deux ans plus tard, deux nouvelles sections virent le jour à Arlon et à Athus dans le sud de la province de Luxembourg. Aujourd'hui, Vie Libre Belgique compte quatre sections et plus de vingt équipes de base réparties dans presque toute la partie francophone du pays. |