6
décembre 2003 :
Les anciens fêtent les 80
ans du Père Courtois.
Déjeuner au restaurant « le Rivage »
à Maisy avec tous les anciens et à 17 heure,
avec le Conseil général de l’Aisne, présentation du livre Vallis
Clara avec les poèmes du Père et les photos de Suko
Lam.
(voir
rubrique souvenirs pour les photos)
6 décembre 2003
80 printemps du Père Courtois
" les
ruines incohérentes avant que tu n'arrives,
homme
comblé,
vont
de leurs parcelles à ton amour".
René,
CHAR
"Fureur
et Mystère".
Bien chers amis, fouilleurs
et fouineuses,
c’est en notre nom à tous, les « jeunes » que nous étions et
qui sont devenus pudiquement des « anciens » (des mamies et des papys,
retraités, pré-retraités… et en voie de
l’être !), que je voudrais lancer en ce jour solennel un vibrant hommage à
celui qui nous a formés (déformés, réformés) à la fouille !
Je me suis permis de
« creuser » un peu dans l’histoire de notre cher père à tous…
C’est donc le 5 décembre 1923 que naquit René (le passé simple fait un
peu pompeux, mais je ne pouvais pas dire « c’est le 5 décembre qu’est né
René » !) . Et c’est en
Belgique, dans cette région de l’Est où tous les noms de lieux finissent par
« ange » (Martelange, Botrange, … ) que
notre petit René a vu le jour.
Je passerai sur les évangiles de l’enfance, car les témoins ont hélas
tous disparu et les traces archéologiques laissées par ce petit bout d’homme
sont trop ténues pour qu’on puisse en
tirer des conclusions dignes d’ intérêt…
De ses études primaires et secondaires, nous ne dirons donc rien, car
tout ce que nous pouvons connaître, nous ne l’avons appris que du témoin
lui-même, et comme vous le savez, en matière historique, un témoin qui parle de
lui-même est peu digne de foi… non pas qu’il soit menteur, non, bien sûr, mais
il aura tendance à déformer les faits pour les « arranger » à sa
façon, pour leur donner une coloration particulière, conforme au désir
subconscient (et tout à fait inconscient, rassurez-vous) d’enjoliver ou de
dramatiser les situations vécues il y a déjà un certain temps !
(N’oublions pas que notre sujet est doué d’un talent exceptionnel de
conteur !)
Viennent ensuite les « années séminaires » où le jeune et
fervent René se prépare consciencieusement à entrer dans la
« Compagnie » : de ces années-là, non plus, je ne pourrai pas
dire grand chose, ses petits compagnons de la rue Washington ont tous déjà
perdu la mémoire…
En creusant toujours plus profond avec ma petite pioche (aujourd’hui,
on dit « souris » ), je suis arrivée à retrouver René à 20
ans : c’était en 1943, c'était la guerre et c’est à ce moment là qu’il a rejoint les
Jésuites... Pourquoi les Jésuites ?
Il répond lui-même, avec toute la modestie qui le caractérise : « J’hésitais
entre les jésuites ou l’armée… J’ai choisi les jésuites parce que c'est quand
même ce qui se faisait de mieux ! »
Que se passe-t-il entre 43 et 63 ?
En plus des exercices spirituels de Saint Ignace et de la rédaction de
la revue « Parents et Instituts », il a vraisemblablement étudié
l’époque médiévale, et c’est précisément dans cette couche sédimentaire que
l’on trouvera des traces de sa première rencontre avec un ancien soldat du
« Chemin des Dames ». Ce soldat qui fut le témoin ému et impuissant
de l’écroulement des murs de l’abbaye de Vauclair sous les obus. C’était en
1917, du haut du plateau de Californie, il s’appelait Anselme Dimier ! Devenu moine cistercien, c’est lui qui attire
le jeune René à Vauclair !
Ce dernier participait déjà à des fouilles à Orval,
à peine âgé de 40 ans en 63, René est
déjà gravement atteint par le virus de l’archéologie …
D’emblée, l’endroit séduit notre jeune jésuite, il veut entreprendre
des recherches, mieux connaître ce lieu , cette petite clairière habitée depuis
le néolithique.
Il commence en 64, avec la troupe des scouts de Saint Boniface, puis
créera le « Groupe Sources » en 1965 avec pour mission spéciale de
mettre à jour les vestiges de l’ancien Courmamblain
qui est devenu Vauclair.
A partir de là, on connaît la
suite : il finira par s’installer définitivement sur le site, en
76 :… dans le musée, faisant de lui-même un monument historique bien
vivant !
Entre-temps, il est devenu un
grand spécialiste de l’histoire du Chemin des Dames, à la rédemption duquel il
a largement contribué.
Il s’est également attelé à
l’étude et à la culture des plantes médicinales, voici d’ailleurs ce que j’ai
trouvé à ce sujet sur Internet (textuellement) :
En
infusion, en baume ou en inhalation, rien de mieux, foi de père Courtois, que la pharmacie
du bon Dieu…
DEUX
SIMPLES CONSEILS INDISPENSABLES POUR
L'USAGE DES PLANTES MÉDICINALES.
-
Point de départ élémentaire : ne pas vous tromper de plante !
- Il faut cueillir les plantes au bon
moment !
Enfin, c’est en juin de l’an
2000 que le père Courtois a reçu la Légion d’honneur !
En la lui remettant, le
secrétaire général du Gouvernement français rappelait comment, sous son impulsion,
Vauclair a été un lieu d'éveil spirituel. Je reviendrai sur cet aspect
« spirituel » lorsque j’évoquerai les rites sacrés du Père Courtois.
Voilà tout, pour la partie
historique de mon exposé.
Je voudrais entrer à présent dans
une seconde partie, celle d’une analyse plus fouillée du phénomène
« Groupe Sources ».
Pour éviter la
monotonie, je poursuivrai mon exposé à la manière d’une interview.
Qu’est-ce qui pouvait bien attirer
tant de jeunes ici, à Vauclair, dans ces baraquements sans eau et sans
électricité ? Etait-ce l’archéologie ?
Oui, bien entendu, mais pas
uniquement… Nous étions aussi et surtout attirés par une personnalité : un
homme jovial, compétent, accueillant, un conteur intarissable à la
personnalité attachante … Un homme spirituel
aussi, un prêtre pas comme les autres qui vivait l’Evangile sans prêchi-prêcha,
qui n’avait pas la langue de bois et qui avait élevé le rite du « Tio Canon » au rang du sacré !
Ah ! Vous avez évoqué le mot
« rite »… Il s’agissait donc bien d’une sorte de secte dont il était
le gourou … Pourriez-vous nous expliquer ce rite…Y en avait-il
d’autres ?
Le rite du « Tio
Canon » consistait à aller boire un petit coup de rouge chez un copain
du coin : à l’époque, c’est toujours lui qui allait chercher la viande à Festieux… et il en revenait toujours très joyeux !
Mais il ne voulait pas corrompre notre belle jeunesse : il ne nous
entraînait jamais dans ses débordements… D’autres rites ? Il y avait aussi
le rite du Maroilles : comme il se doit, chaque repas se clôturait par un
morceau de fromage, et le Maroilles avait les préférences du Père : il se
le faisait apporter en grande pompe, comme un objet sacré, le tâtait, palpait,
humait… puis le déballait avec amour (comme on déshabille une jeune mariée)…
enfin, il en tranchait un bon bout avec force exclamations « Celui-là,
mon vieux, tu vas voir, c’est du tonnerre ! » et le plaçait
d’autorité dans l’assiette de son vis-à-vis en prononçant immuablement les
paroles sacrées : « Goûte-moi ça, c’est la meilleure chose qui
soit ! » Bizarrement, il ne s’est jamais demandé pourquoi
certains ne s’asseyaient jamais devant lui… ceux qui n’aimaient pas le
Maroilles !
A propos de ses rites et de sa
spiritualité, il dit lui-même : « C'est en déjeunant ou en buvant qu'on
a le meilleur contact avec son prochain », ! A ce propos, on retrouve la même chose
dans l’Evangile de St Marc, chapitre 2, verset 16 : « …il mange et
boit avec des publicains »
Les recrues n’ont jamais
manqué… Que recherchiez-vous exactement à Vauclair ?
Bien sûr, on fouillait… Mais
ce n’était pas l’essentiel, je dirai ici toute la vérité au risque de déplaire
à quelques-uns…
Certains ont cru qu’ils
venaient faire des fouilles : ils y ont vraiment cru, mais en vérité ils
étaient poussés par d’autres motivations.
Prenons quelques
exemples :
Jean Bareel : Il venait
par sport, parfois même à vélo ! Fouillait-il ? Que nenni ! Il
faisait de la musculation en maniant la pioche. Je ne parlerai pas des courses
de brouettes et autres « jeux » archéologiques !
Albert : Sa motivation
principale était d’observer minutieusement le genre humain (je crois que nous
l’en avons dégouté définitivement avant de le décider
de passer à la Trappe pour de bon !)
Dominique : Elle venait à
Vauclair pour pouvoir aérer son chat (Pilule) et faire nos portraits au
fusain…
Chaineux : Champion
de puzzle depuis l’école gardienne, il a mené à bien l’assemblage de milliers
de tessons de poteries. A ce propos, c’est fou ce que nos ancêtres pouvaient
être maladroits : on n’a
pratiquement retrouvé aucune poterie intacte ! !
Christian : Son plus grand
plaisir était de faire la lecture de l’évangile au cours de la messe que le
Père disait en fin de journée… Il n’a jamais compris pourquoi, après
l’évangile, il n’y avait plus dans le chalet que le Père, hoquetant et
s’essuyant les yeux… Tous les autres, morts de rire avaient du se réfugier
dehors !
Le lieutenant : Il me l’a
avoué lui-même, celui-ci venait faire du théâtre ! Déguisé en chauffeur de
maître, il promenait le Père dans sa limousine, faisait mille courbettes et
jouait à épater les gens du coin…
Et je ne parlerai pas de tous ceux
qui venaient chercher l’âme sœur !
(n’est-ce
pas Christian et Martine, Mouchette et Daniel, Anne et Luc, Marguerite et
Jean, Pierre et Marie Claire, Chaîneux et d’autres
encore…) ?
Mais alors, me direz-vous,
qui faisait des fouilles ?
Eh bien, des gens sérieux,
comme le Père Dimier, Miss Litt
ou Jenny Wahl, qui s’intéressaient vraiment à l’archéologie. Quelques jeunes
consciencieux comme Petit Pierre, Albert ou Chaîneux…
et quelques jeunes bleus qui n’avaient pas encore compris qu’il y avait aussi
mieux à faire… !
A présent, pour conclure, qu’aimeriez-vous dire au père
Courtois pour ses 80 ans ?
J’aimerais lui dire qu’il est grand temps
que j’arrête, car il n’a que 80 ans, et qu’il faut garder encore des choses à
dire pour les années qui viennent…
Il connaît le secret des plantes et les vertus du bon vin…
Je pense au « tio
Canon » et à la chanson de Ferrat :
Le vin ne sera
plus tiré,
c’était une
horrible piquette,
mais qui faisait
des centenaires
à ne plus que
savoir en faire
s’ils ne vous
tournaient pas la tête !
Je voudrais lui souhaiter encore beaucoup de bon temps dans ce beau
pays qu’il a fait sien, et je voudrais encore lui dire très souvent, au cours
d’un repas comme celui-ci, merci Père ! Pour tout ce que vous nous avez
appris… et qui n’était pas seulement que de l’archéologie !
Christiane J
Et le Père Courtois, il
fouillait bien, lui ?
Ah non ! Honnêtement, je
ne l’ai jamais vu fouiller vraiment : il faisait fouiller, mais il
ne fouillait pas !
On le voyait rarement
descendre au fond d’un trou (au risque de tout casser, avec ses grosses
bottes !) Il aimait voir les choses d’en haut, donnait quelques
directives bien précises, puis allait voir plus loin.
Le seul Père que j’aie jamais
vu fouiller, c’était le père Dimier… Lui, n’avait pas
peur de mouiller sa chemise, d’ailleurs, il l’enlevait souvent et fouillait
torse nu. Il travaillait comme un jeune ! et le soir venu, il était le
premier à piquer une tête dans l’étang… Je tairai pudiquement le jour où il
était si pressé de plonger qu’il en a laissé son caleçon sur la berge ! (à
ma connaissance, seul Petit Pierre en a été témoin : l’honneur est sauf !)
Mais…, s’il ne fouillait pas,
que faisait le Père Courtois ?
Pour vous éclairer, je vais
essayer de vous détailler une journée type.
·
Il se levait le matin avant tout le monde et partait
en 2cv acheter le pain. (le bruit de sa voiture était le signal du réveil
des troupes : 20 minutes plus tard, il serait de retour avec le pain
frais… J’en ai encore l’eau à la bouche)
·
Après le petit déjeuner, il attribuait les taches de
chacun : épluchage des patates, préparation du chantier, collage des
poteries…
·
Ensuite, avec quelques garçons, il allait chercher de
l’eau à la fontaine de Bouconville (on remplissait
le coffre de sa voiture avec quelques lourds bidons d’eau pour la journée. )
·
Après avoir déchargé l’eau, il faisait son premier
tour de chantier et donnait les directives nécessaires pour le travail du
matin.
·
Ensuite, il repartait en 2cv pour aller chercher la
viande à Festieux (il aimait y aller seul, et je
crois que c’est parce qu’il y retrouvait de vieux copains avec qui il
partageait un petit « canon »
avant de revenir)
·
Il revenait avec la viande qu’il tenait à préparer
lui-même, la plupart du temps : il préparait l’ail, les échalotes, le
persil avec un art consommé de grand connaisseur ! Il quittait rarement la
cuisine avant que le repas ne soit prêt… puis, il sonnait la cloche.
·
Les gens du chantier rappliquaient, et on partageait
le repas dans la bonne humeur générale ! Le père avait toujours de bonnes
histoires à nous raconter...
·
Je n’en suis pas très sûre, mais je crois bien qu’il
se payait une petite sieste, puis ça repartait : les directives au
chantier, puis le départ avec l’un ou l’autre chez Christine (celle-là, je
n’ai compris qui elle était qu’en allant à mon tour à Laon, avec le
Père !)
·
Il rentrait des courses pour le goûter (il ne
ratait jamais aucun repas !), retournait faire un tour au chantier
puis sonnait la cloche de la fin des travaux.
·
Ensuite, il proposait la messe à ceux qui voulaient (les
lodens verts, ceux qu’il avait recrutés en retraite !) puis venait
l’heure du souper.
·
La soirée s’achevait en feu de camp dans le colombier
ou dans « la cave » On chantait autour de l’un ou l’autre armé d’une
guitare… Les soirées se prolongeaient parfois assez tard, mais le père allait
dormir à heure fixe pour se réveiller le lendemain matin, toujours à la même
heure, immuablement.