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Une expérience culturelle belge en France [i]

 

L' ETONNANTE HISTOIRE DE "SOURCES"

ET DES FOUILLES DE L' ABBAYE DE VAUCLAIR

 

Où des jeunes démontrent pendant leurs vacances que la vocation d'un travail aussi dur que modeste demeure toujours vivante

 

Il est des endroits privilégiés : ceux que, 1'on découvre avec ravissement parce que tout concourt à en parfaire l'harmonie. C'est la courbe élégante du terrain , l'abondance des arbres, des buissons et des herbes fleuries, c'est aussicar rien ne nous touche plus que ce qui est humain - les témoignages d'une présence, les vestiges d'une histoire plusieurs fois séculaire. Quand, patinés par les ans, ravinés par les guerres et les éléments, ils nous apparaissent au détour d'un chemin ombré, sous une lumière automnale particulièrement généreuse, c'est l'enchantement. Celui-ci s'accroît lorsque ces lieux, jadis consacrés au recueillement, sont le théâtre d'une activité culturelle intense, confiée à des jeunes aussi conscients qu'enthousiastes.

 

Les ruines de l'abbaye cistercienne de Vauclair se trouvent sur le territoire de la commune de Bouconville, à une quinzaine de kilomètres de Laon, département de l'Aisne, sur la route de Reims. Comment des Belges en sont-ils venus à porter leur attention sur elle, au point d'y avoir installé un chantier de fouilles, dont nous avons vu achever la cinquième campagne ? Voilà qui vaut d'être brièvement conté.

 

Un jésuite belge "mordu" d'archéologie

 

La tarentule de l'archéologie avait mordu un jeune et dynamique jésuite, le Père R. Courtois, voici plusieurs Années déjà.  Proche des milieux universitaires de Louvain, il avait -formé un groupe d'étudiants et s'était placé à la disposition d'un expert archéologue de la province de Luxembourg, François Bourgeois.  Ce  dernier particulièrement érudit en matière d'archéologie médiévale, fut commissionné jusqu'à sa mort par le Service national des fouilles, pour mener à bien l' "autopsie" des vieilles églises ardennaises. En sa compagnie, le Père Courtois et ses amis apprirent énormément, de choses : comment tirer le maximum d'informations du terrain exploré et comment le publier.

 

François Bourgeois savait aussi fouiller des vestiges romains et, en 1964, nous rendîmes visite au chantier de la villa de Sainte-Marie-Chevigny, dont il dirigeait l'équipe. Ensuite, nous le retrouvâmes dans les ruines de l'abbaye d'Orval où quelques découvertes retentissantes, comme celles des tombes de plusieurs abbés, témoignèrent de l'efficacité des recherches entreprises.

 

Dès l'époque de Sainte-Marie-Chevigny, le Père Courtois avait mis au point, pour son association qu'il avait appelée « Caviniacum », nom du village, un règlement de structure, d'esprit et de travail qui était un modèle du genre : recherche scientifique pure, sans aucune perspective d'exploitation personnelle des découvertes éventuelles, large esprit de tolérance entre membres accueillis indépendamment de toute idéologie philosophique.

 

Toute une abbaye à fouiller !

 

Le ciel de l'archéologie belge n'est toutefois pas très, serein : personnalités et groupements s'affrontent souvent en des rivalités peu compatibles avec le désintéressement que l'on devrait logiquement attendre de gens adonnés à la recherche.  C'est ce qui détermina le Père Courtois à franchir la frontière.

 

 Est-ce dire que les choses vont mieux en France que chez nous ? Certes non, mais le choix du site de Vauclair a été fixé grâce à une série de circonstances favorables. Ami d'un savant cistercien, le Père Anselme Dimier [ii], le Père Courtois fut mis au courant des avantages du site.  De plus, le Conseil général de l'Aisne et l'Office touristique départemental entreprenaient une vaste campagne de promotion. La suggestion du Père Courtois fut accueillie avec empressement et toutes les facilités furent accordées à son groupe qui prit désormais le nom de « Sources ».

 

Une austérité acceptée

 

Une première campagne eut lieu en 1966 et depuis, chaque année, les trois mois que durent les vacances universitaires ainsi que le congé de Pâques voient se succéder des équipes de vingt à vingt-cinq jeunes gens et jeunes filles, tous aux études universitaires ou assimilées, mais où ne dominent nullement les futurs archéologues professionnels. Cette année, la cinquième campagne n'a pas vu défi­ler moins de cent soixante partici­pants, dont quatre-vingts Belges, soixante Français, plus quelques Luxembourgeois, Allemands, An­glais et Hollandais.  Nos quatre universités y ont été représentées.

Depuis que "Caviniacum" est devenu "Sources", le règlement s'est encore accru dans sa sévérité. Il n'est point question ici d'activi­tés de délassement après les tra­vaux, ni de confort : les dortoirs sont équipés d'austères lits de camp et il n'y a pas d'eau potable à proximité. Dans la "tournan­te" des présents (qui paient leur écot - modeste - pur avoir le droit de travailler), le Père Cour­tois établit un équilibre entre « anciens » expérimentés et nou­veaux venus.

 

Malgré les conditions..., mona­cales de l'existence sur le chantier de Vauclair, malgré la discipline - très souriante, mais ferme - qui y règne, il n'y a nulle carence de vocations, bien au contraire et le directeur des fouilles peut en toute sérénité refuser les candidatures qui ne lui sembleraient pas répondre aux. conditions édictées.

 

Déplacer des tonnes de terre, mesurer les murailles, dresser et dessiner des plans, restaurer les céramiques, rédiger les carnets de fouilles, classer les trouvailles, aménager un chalet en musée, dé­-gager patiemment un four de po­tier ou à bronze, brosser des osse­ments dans une tombe exhumée : telles sont les tâches réparties entre chacun des participants. Bien en­tendu, les capacités des uns et des autres sont utilisées au mieux.

Nous avons passé uni, après-midi à Vauclair et, plus encore que les résultats scientifiques remarquables acquis à ce jour, c'est cette réussite sur le plan humain que nous avons admirée. « Sour­ces » a une valeur d'exemple.  Il faut souhaiter qu'elle le demeure longtemps.

 

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Qu'a-t-on découvert à Vauclair ?

 

Bien que la graphie adminis­trative du lieu soit Vauclerc, c'est l'orthographe Vauclair qui est orthodoxe et conforme à l'étymologie. L'abbaye, fondée sur ordre de saint Bernard par des moines venus de Clairvaux en 1134, fut entièrement reconstruite au XIIIe siècle.

 

Sécularisée sous la révolution française, elle tomba pro­gressivement en des ruines qui se muèrent en hameau. Durant la guerre de 1914-1918, Vau­clerc, situé immédiatement au nord du fameux « Chemin des Dames », fut occupé  par les Allemands et intensément bombardé par les Français. Les habitants l'abandonnèrent.

 

Le groupe « Sources », au cours des cinq campagnes accomplies à ce jour, a notamment retrouvé le plan de l'église primitive du XIIe siècle, dé­couvert deux tombes gauloises à incinération, des fours de potier Gallo-belges du 1er siè­cle, des vestiges datant du pre­mier âge du Fer, des silex pa­léo- et néolithiques. En 1969, l'ancienne église paroissiale datant du XVe siècle fut localisée à côté de l'aile monastique du chapitre.

 

Cette année, les travaux ont surtout dégagé la porterie, à l'entrée de l'abbaye. En  suivant le tracé de l'église primitive, on en est venu à la découverte d'un four à bronze, sous la muraille d'un   pigeonnier.

 

Le site est classé sur plusieurs kilomètres carrés. L'aide de M. Piétry, directeur de la Circonscription archéologique du Nord, et les conseils de M. Bernard Ancien de la Société archéologique de Soissons, ont été précieux aux fouilleurs, de même que de généreuses contributions en nature de mécènes locaux.

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[i] Article d'Albert Burnet, envoyé spécial, dans le journal "Le Soir" du mardi 27 octobre 1970.

[ii] Auteur, notamment, du livre "Les moines batisseurs", dans la belle collection "Résurrection du passé" de la librairie Fayard.