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Article de Charles DELHEZ, extrait des deux premières pages de l'hebdomadaire DIMANCHE du 10 juin 2001.

 

 

Excursion

Renaissance de Vauclair

 

La bonne saison est retour. Occasion de franchir la frontière pour quelques heures. Près de Laon, à 60 km de Charleroi, Vauclair et le Chemin des Dames : les ruines d'une abbaye cistercienne du XIIe siècle et un lieu historique de la première guerre mondiale. Promenez- vous dans cet espace d'un rare silence.  Peut-être y rencontrerez-vous le"gardien" de ces lieux, sa mémoire vivante.

 

Les ruines de l'abbaye cistercienne de Vauclair - abbaye soeur de Villers-la-Ville – étaient oubliées.

Le site avait été complètement détruit  lors de la première guerre mondiale.  Non loin de là en effet est le tristement célèbre Chemin des Dames qui connut l'échec tragique de l'offensive française en 1917 et une victoire des Allemands en 1918.

En 1965, on commence à dégager le site et, en 1966, arrive le groupe "Sources" du Père René Courtois. Durant 24 ans, record français, ils ont fouillé le sol pour faire renaître son passé. Ces jeune archéologues, issus de différentes universités européennes, avaient déjà travaillé avec le jésuite belge dans les ruines d'Orval. Ils seront des centaines à venir dans cette clairière, bénévolement, durant les vacances de Pâques, de Pentecôte et d'été. Vacances de travail et d'amitié dans un lieu d'éveil spirituel.

Aujourd'hui, les fouilles-sont terminées. Le site, où poussent de terre les vieilles ruines, invite à la pro­menade. Il vaut la peine d'entrer dans le pavillon où sont exposées de nombreuses pièces découvertes dans le sol. "Quelle longue chaîne d'humanité ne symbolisent-elles pas? Mains des premiers potiers qui les façonnèrent, mains d'hommes et de femmes qui les utilisèrent, mains de jeunes d'aujourd'hui qui les mirent au jour et les restituèrent à leur beauté perdue."

 

Un peu plus loin, vous trouverez un jardin de plantes médicinales riche de ses 420 espèces et implanté à l'emplacement primitif. C'était en effet une spécialité des abbayes cisterciennes et le P. Courtois renoue avec cette tradition. L'abbaye d'Orval fournissait certains remèdes aux cours princières et les moines de Vauclair ont introduit des plantes nouvelles dans la région de l'Aisne.

Vauclair est-donc un merveilleux lieu de promenade, mais aussi une école vivante d'histoire, de botanique, de géographie…

 

Rencontre avec le Père Courtois

Portrait

Dans les ruines et les paroisses

 

"Celui qui n'a plus de racine, avec quoi lui fera-t-on un lendemain"? Interrogeait Péguy. C'est à la sauvegarde de ces racines que le Père René Courtois a œuvré durant une bonne partie de sa vie. En 1976, il s'est installé définitivement à Vauclair, dans ce lieu où "l'histoire de France est entassée (E. Michelet).

 

Le Père Courtois a, depuis sa jeunesse, la passion du chercheur. Educateur, archéologue, historien, il se passionne pour la botanique. Il est né dans le Sud de la Belgique, dans la région dArlon, là où les Romains ont laissé beaucoup de traces. "La seule chose qui intéresse le chercheur c'est ce qu'il n'a pas encore trouvé, explique-t-il. Il lui faut donc toujours des gens derrière lui, car est un mauvais collectionneur. Il se lève tous les jours pour chercher, mais n'a pas le temps de. mettre de l'ordre dans ce qu'il trouve.

A Vauclair, un trésor de 4.200 pièces de monnaie a été découvert. Tout ce travail de recherche, le Père Courtois l'a vécu avec les jeunes, dans un grand esprit de famille. Beaucoup de couples sont nés ici, constate-t-il. Ces jeunes venaient de Louvain, de Gand, de Liège, au début. C'était pour eux un hobby. Puis toute la France s'est donné rendez-vous à Vauclair, souvent pour des stages universitaires.

Au départ, tous ces jeunes étaient catholiques. Avec eux le Père célébrait la messe le dimanche et à d'autres occasions. Mais très vite, ils sont venus de tous bords. "Plus j'avance, plus je suis tolérant. Ce qui compte, c'est le climat de vie commune. Dans notre groupe "Sources", il n'y a pas de hiérarchie. C'est l'accueil qui compte. Aujourd'hui, ce qui manque le plus à l'humanité, ce sont des lieux de convivialité, de calme et de beauté, ainsi que l'a dit Olivier Clément.  Vauclair n'est que cela."'

René Courtois est aussi présent dans les campagnes environnantes et les structures officielles d'archéologie. "Tous ces gens, dit-il, ne voient jamais un curé. Mais quand on est lié de confiance, on parle de tout. Etre jésuite, c'est être aux frontières. On n'appartient à l'Église que pour ceux qui n'en sont pas". "Le travail doit être désintéressé. Je dois rester très accueillant. Ma porte est toujours ouverte".

"La Compagnie de Jésus - l'ordre des Jésuites - est aux avant-postes, explique encore notre archéologue. Ainsi Teilhard de Chardin (qui a parcouru durant la guerre ces régions où nous sommes) n'a jamais accepté le poste d'aumônier de l'armée. C'eût été être du clan. Il voulait être avec l'humanité telle quelle est, être présent avec tous. Telle était son obsession. C'est aussi la mienne", confie le Père Courtois. Et d'évoquer l'enterrement civil:de son ami Gibeau, un grand écrivain. "C'était un beau jour d'automne, dans un cimetière abandonné, là où il avait voulu être enterré. Nous avons vécu une communion humaine entre croyants et incroyants. Je n'aurais pas pu faire une autre homélie que celle-là. Il voulait que ce soit moi, mais à travers mes paroles, ceux qui assistaient à l'enterrement ont vu autre chose que l'homme. Le sacerdoce, c'est l'incarnation dans un être humain."

"Je suis un archéologue-prêtre. J'ai été attaché culturel dans le département. Je suis prêtre à travers le travail. Mais je tiens aussi beaucoup au contact dans les paroisses. Avoir un auditoire paroissial devant soi, cela vous transforme complètement" Et effectivement, volontiers, le Père Courtois rend service dans 35 paroisses côté Aisne et 42 côté Ailette. Et pour les gens, c'est le même homme, l'archéologue et le prêtre. "il n'y a pas de tension entre les deux. Le travail est un lieu de contacts et, là, il faut apporter toute sa compétence. Mais plus on est lié humainement à travers ces contacts, plus il faut qu'ils sachent que je suis prêtre, parce que tôt ou tard, ils parleront d'autre chose.'

En lui remettant la Légion d'honneur, en 2000, le secrétaire général du Gouvernement français rappelait comment, sous l'impulsion du P. Courtois, Vauclair a été un lieu d'éveil spirituel,. "Je ne peux taire votre foi, et votre mission apostolique qui se sont exprimées dans des conditions adaptées à la sensibilité de notre époque, c'est-à-dire sans ostentation, dans la clarté et le respect de la liberté de tous et avec une grande ouverture sur la culture et les problématiques contemporaines".

 

Vauclair vaut vraiment le détour. Et si vous y rencontrez un homme avec sa canne, arrêtez-vous...

 

C.D.

 

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