A Vauclair (Aisne)
la pharmacie du bon Dieu…(1)
Ses vieilles
pierres sont mutilées mais ses belles plantes redonnent la santé. A l'abbaye de
Vauclair, le père
Courtois vante les bienfaits de sa pharmacie du bon Dieu.
Le visiteur approche le nez. Il ne sent rien. Les grappes de clochettes violettes qui frémissent en haut de la tige, n'exhalent pas de parfum particulier. Alors il se met à les toucher.
« Avec quatre
grammes, vous êtes mort!». La voix forte l'a fait sursauter. Le
visiteur s'écarte aussitôt du massif, vaguement effrayé. «Mais quatre
grammes de racines fraîches ». Le ton se fait plus rond. La
précision est censée rassurer. La dose à respecter est enfin glissée avec un
regard malicieux : « Une petite pincée et c'est un excellent
sédatif». Les propriétés calmantes prêtées à la plante hautement vénéneuse que le visiteur vient de humer ont
comme un parfum d'humour noir...
La plante en question pousse en grosses touffes dans un petit damier. A
ses pieds dans la terre est fiché un écriteau avec un nom : « Aconit napel ».
Un nom qui fait savant alors que c'est son nom courant. Moins courant pourtant
-et moins évocateur- que « casque de Jupiter », son appellation la plus
employée parce que, dit l'homme à la forte voix, « ses fleurs en clochettes
ont la forme d'un casque romain ». Son
nom latin se perd dans le vent qui balaye la plaine.
L'homme à la forte voix a un reste d'accent lorrain. Il est solidement planté
dans de lourdes bottes de caoutchouc.
Le mentor des visiteurs au jardin botanique de Vauclair est un
septuagénaire gaillard. Le père René Courtois, jésuite de son état et grand
avaleur de décoctions devant l'Eternel, adore faire découvrir son jardin de
plantes médicinales, un hectare où poussent plus de quatre cents espèces. Il
les cultive en damiers comme au temps des premiers jardins créés par les moines
auxquels il fait penser.
Près de trente ans qu'il vit comme un ermite dans sa clairière à la lisère de la forêt. Sa tanière est un baraquement de ciment, longtemps sans eau ni électricité, toujours sans téléphone, avec des tréteaux couverts de livres et de journaux. C'est là qu'il reçoit ses visiteurs et aussi les amis. Le solitaire de Vauclair, hôte chaleureux, aime la compagnie.
Trente ans qu'il s'est entiché d'un austère alignement de vieilles
pierres, voûtes béantes, piliers fauchés, derniers vestiges d'une vaste abbaye
cistercienne définitivement mutilée par la Grande Guerre. Trente ans qu'il fait
l'infirmier à leur chevet.
Un jour l'archéologue a décidé de faire aussi le jardinier. C'était il
y a une quinzaine d'années. alors il s'est mis à planter sur les restes d'une
ancienne infirmerie. Un symbole sans doute, et une manière de cultiver le
souvenir de l'apothicairerie disparue des moines de l'abbaye. Il a même planté
au fond des trous d'obus, un pratiquement à chaque pas. La saignée du Chemin
des Dames n'est pas loin.
A l'ombre des frênes et des érables qui ont fini par repousser au bord
des cratères, il a disposé des tapis de fougères -« excellent pour le enfants anémiques et
contre le ver solitaire»-, des massifs d'hellébores. Les fleurs ressemblent
à des petits boutons de roses et sentent fort. Pour les cœurs fatigués, à
avaler d'un trait, bien macéré. Coup de fouet assuré. Le botaniste passionné
sait aussi se montrer un convaincant herboriste.
Le trou d'à
côté est recouvert d'une pleine brassée de plantes aux larges feuilles rondes,
aux délicats pétales mauves. Des
benoîtes des ruisseaux pour faire digérer et dissiper le mal au foie. En
infusion, en baume ou en inhalation, rien de mieux, foi de père Courtois, que la pharmacie du bon Dieu…
L'abbaye
de Vauclair se trouve à 25 km environ de Reims et Laon. Prendre la RN 44 puis tourner à gauche à
Corbeny, direction Bouconville-Vauclair. Le jardin de plantes médicinales est
ouvert de Pâques à la Toussaint. Une exposition "Vauclair et la
révolution", est présentée cet été à l'intérieur du pavillon qui jouxte le
jardin.
Les ruines de l'abbaye de Vauclair se dressent aujourd'hui à deux kilomètres
de la caverne du Dragon et de la ferme d'Hurtebise, deux des positions qui firent
couler tant de sang sur le Chemin des Dames.
Célèbre abbaye cistercienne, elle fut fondée par saint Bernard en 1134.
Pratiquement intacte, en 1914, elle devint une grande base allemande
jusqu'en 1917, où l'artillerie de l'offensive Nivelle la détruisit
complètement.
Arrachée à l'oubli et remise en valeur, l'abbaye ou du moins ce qu'il
en reste – est devenue un centre touristique au milieu d'un parc qui reçoit
plus de cent mille visiteurs par an.
Des équipements d'accueil -parkings, aires de pique-nique, étangs
notamment- ont été implantés à l'initiative du comité départemental du tourisme
de l'Aisne et de l'Office national des forêts. Les ruines restaurées sont
aujourd'hui agrémentées d'un important jardin de plantes médicinales. La vie,
ici a succédé à la mort.
A lire,"Le Chemin des Dames" par René Courtois (Guides Historia-Tallandier).
127 pages. 48F.
(1) Article de Journal de Francis
Dujardin, publié vraisemblablement fin juillet ou août 1992 dans l'UNION.