VAUCLAIR / Agonie

 

Nénétte la ponette n’est plus un problème…

 

www.lunion.presse.fr Vendredi 20 novembre 2009

 

Bernard Dupuis a accompagné Nénette pendant 21 ans.

La veilleuse de Vauclair, selon lui, n’a pas eu la fin de vie qu'elle méritait.

EH bien pour sûr, voilà un souci de moins ! Il les entend déjà, Bernard, tous ceux du conseil général qui renâclent à s'occuper d'un équidé paumé dans un coin de clairière. Ah que ceux-là doivent jubiler. Nénette, la ponette recueillie par le père Courtois en 1988 et hébergée depuis ce temps sur le site de Vauclair a été poussée vers le néant lundi. « C'est un peu comme si le René Courtois était mort une seconde fois »,.témoigne abattu Bernard Dupuis, celui qui fut pendant de longues années, l'ami de l'archéologue et le soigneur de l'animal. « Un peu de l'âme de Vauclair s'en est allée ».

 

« On s'est fichu de cet animal! »

 

Bernard, mais d'autres également, que l'on retrouve parmi les membres de l'association des Amis de l'abbaye de Vauclair en ont lourd sur la patate. « Cet animal depuis la disparition de René Courtois, ceux qui s'en occupaient le faisaient à contrecoeur. Nénette a dépéri.  Elle n'a pas eu la mort qu'elle méritait.  Vraiment pas. »

Dans la pénombre de son antre, à Chermizy-Ailles, l’ancien antiquaire Bernard Dupuis collectionne autant de souvenirs que de photos laissées en vrac dans leurs cartons. « Ce poney, quand il est arrivé en 1988, il avait 11 ans.  Depuis ce temps, il a fait la joie de centaines de milliers de visiteurs » (*).  Un personnage, à sa façon, un peu dépositaire de l'âme de son hôte. « Elle avait son caractère » affirme Jean-Jacques Perdreaux, celui qui veille depuis 1993 aux espaces verts de cette clairière unique dans l'Aisne. C'est un ancien ouvrier agricole. Au chômage lorsque René Courtois l'a présenté au comité départemental du tourisme. « C'est grâce au père s'il a ce travail », indique Bernard Dupuis. À 65 ans, l'ancien antiquaire Dupuis coupe court lorsqu'il s'agit de recadrer le rôle de chacun.

Jean-Jacques Perdreaux, lui, s’en limite aux faits. Il met plein pot la cuisinière à bois dans la bicoque du père Courtois, il désherbe les allées, il fait ce qu'il peut dans le carré des plantes médicinales et, quand elle était en vie, il donnait du granulé au poney laissé en héritage. « Oui, seulement le week-end, il n'y avait personne pour s’en occuper ! Et même chose pendant les vacances.   Quand j'étais prévenu, je venais » explique Bernard Dupuis. « Mais ce n'était pas toujours le cas.  Vraiment, c'est lamentable comme on s'estfichu de cet animal »

Bernard, 16 opérations chirurgicales dans la peau, a oeuvré pendant 8 ans à Vauclair aux côtés de son mentor. «J'ai dû arrêter pour invalidité mais j'ai continué en tant que bénévole. ». Les bénévoles sur cette planète lourde de 324 membres actifs, il y en a une paire. Chacun joue des coudes pour conserver un peu de sa place et de son rôle sous la présidence du maire de Bouconville-Vauclair, Henri de Benoist.  Le même qui depuis 2006 côtoie dans l'association Jacques Philippot, celui qui est principalement secrétaire des Amis de Vauclair et accessoirement beau-frère de Jean-Jacques Perdreaux, l'inamovible gardien des lieux. Est-ce que ça aide à pacifier les relations ? Pas sûr.

 

Un cadenas sur le portail

 

Exemple lorsque le gardien a cadenassé la clôture de la ponette. « Elle se sauvait tout le temps ! », justifie-t-il. « Elle se sauvait parce qu'elle avait faim ! Il n'y avait rien à manger là où elle était », rectifie Bernard Dupuis, Il complète - « C'est grâce au maire de Bouconville,si j'ai pu avoir un double de clé du cadenas.  Pour nourrir Nénette, c'était indispensable ».

À l'heure qu'il est, Nénette, la veilleuse de Vauclair, s'en fout pas mal. Comme de ces 110 euros que a aura coûtés le gardien qui a nous a donné ce chiffre. « Ce n'est pas donné quand même », il a ajouté.

 

Yves KLEIN

 

* On estime à 80 000 le nombre de visiteurs qui gravitent chaque année autour de l'abbaye de Vauclair.

 

 

Quelques ares clos, d'orties et de boutons d'or

 

L'histoire retiendra qu'elle était née le il, juin 1977, que plus jeune elle était grise, qu'elle a viré presque blanc comme tous les chevaux, même les petits chevaux, quand ils naissent gris.

L’histoire retiendra, et encore (en est-on vraiment sûr ?), qu'elle a eu la vie sauve, une première fois en 1988 grâce au père Courtois.  René Jacquet, l'ancien propriétaire, avait fait promettre au jésuite qu'à sa mort, il prendrait sa Shetland à Vauclair, et c'est arrivé. René Jacquet, le copain de bistrot, à Chamouille, a cassé sa pipe et Nénette qui tirait des carrioles, qui amusait bien les humains, a débarqué à Vauclair, sa presque maison de retraite.  Elle avait 11 ans -un nouveau papa bien- veiliant, la pleine force de l'âge et des dizaines de milliers d'admirateurs devant elle.

Et parce que ce genre de voyage, c'est chacun son tour. René Courtois a reçu son ticket pour partir en février 2005. Nénette toute seule dans les hectares et la pierre froide de Vauclair, c'est devenu après le chien facteur Bubuche disparu en 1994, la seule présence familière pour les visiteurs de Vauclair. Un poney entre les mains du Comité départemental du tourisme et de ses employés, jusqu'à Jean-Jacques Perdreaux, le dernier. Celui-là s'en méfiait. Vrai qu'elle avait ses têtes.

Nénette qui avait goûté tous les brins d'herbe du site a rétréci en même temps que son terrain de jeu. Une petite cabane, quelques ares clos d'orties et de boutons d'or, l'ennui depuis quatre ans... Samedi, elle s'est couchée devant sa cahute. Dimanche son ange gardien, Bernard est venu la veiller et la couvrir de foin.  Lundi, l'agent d'entretien a appelé le vétérinaire. Mardi matin l'équarrisseur a pris livraison du cadavre.  Le camion avec nénette toute froide dedans est passé devant le choeur de l'ancienne église abbatiale et la sépulture du père Courtois. Rien ne l'a arrêté.

 

 

 

Et quand le gardien partait en vacances ?

 

« Ça faisait toujours sourire notre commissaire aux comptes, chaque année, lorsqu'il tombait sur des factures de maréchalerie ou de granulés pour chevaux.  Ce n'est pas pour ce qu'elle nous coûtait, mais cette ponette, on s'en est occupé ». On téléphone à Stéphane Rouziou, le directeur du Comité départemental du tourisme et il est à peine surpris. La mort de Nénette (il l'appelle Pomponnette et maintient qu'elle avait 40 ans, « en tout cas au moins 35 ») lui est tombée dessus comme à tous, lundi.. « Le vétérinaire était passé il y a un mois et demi à deux mois.  On avait constaté que Pomponnette rejetait comme de la mousse.  Déjà là, il nous a dit qu'on était proche de la fin ». Dominique Hoorelbeke, vétérinaire à Sissonne, s'est effectivement rendu auprès de l’animal, le 8 septembre dernier. Il a relevé un amaigrissement conséquent, un appétit diminué, des difficultés locomotrices. «Pronostic réservé, traitement éventuel difficilement réalisable », indiquait-il alors sur le compte rendu de consultation que nous nous sommes, procuré.

 

« Laon ne s'en occupait guère »

 

Au Comité départemental du tourisme, Stéphane Rouziou ne doute pas un instant que l'ancienne ponette du Père Courtois et mascotte de l'abbaye depuis des années est morte de vieillesse.  Et qu'elle a été continuellement bien traitée.

Continuellement ? C'est bien là le problème. Car Jean-Jacques Perdreaux, l'agent d'entretien employé à plein-temps par le Comité départemental s'absentait, logiquement, le week-end. Et même chose pendant ses périodes de vacances, généralement cinq semaines entre Noël et la fin janvier. «Je ne peux pas dire comment cela se passait pendant ces moments-là, esquisse ;Stéphane Rouziou, mais il y a beaucoup de gens qui gravitent autour de l'abbaye.  Beaucoup de bénévoles et d'ailleurs, parfois certains nourrissaient trop la ponette. »

Le directeur du comité départemental joue la transparence mais se limite logiquement à ce qu'il connaît. D'autant, on l'imagine, que l'association qu'il dirige est tout de même assez chapeautée par le conseil général, lui-même pas très enclin à plaisanter dès qu'il s'agît d'aborder sa gestion. « La ponette du Père Courtois, globalement, à Laon on ne s'en préoccupait guère ) » témoignent des membres éminents des Amis de l'abbaye de Vauclair. « Avant, j'allais souvent à l'abbaye.  Ca va être moins le cas maintenant, c'est sûr », ajoute cet autre personnage, conseiller général, et vétérinaire. Fawaz Karimet, prudent comme un sioux, mais qui parfois en douce, soignait le petit équidé qu'il adorait.