Retour à « Etudes et publications »

Retour à « Artistes »

 

Le jésuite lumière de Vauclair dans l'objectif (1)

 

Dernier religieux de l'abbaye de Vauclair dans l'Aisne, le père Courtois a préservé l'âme de ces ruines cisterciennes. Un film est actuellement tourné sur ce jésuite.

 

MAIS qu'est-ce qui pousse l'intelligentsia parisienne à se ruer sur l'abbaye de Vauclair dans l'Aisne ? Tandis que des universitaires, des chercheurs, des archéologues et même Philippe Meyer, le chroniqueur matutinal de France Inter, s'y retrouvent, Amalia Escriva achève ce mois-ci un documentaire sur le site drapé dans un mystère que chacun, ci­néaste ou homme de plume, cherche à percer.

 

Emergeant comme une apparition au cœur d'une forêt, resplendissant de clarté au milieu d'une vaste clairière, les ruines cisterciennes avec leurs bases de colonnes fantômes et leurs croisées d'ogives brisées dans leur élan exercent un irrésistible attrait. « Ici, à l'image de notre jardin de plantes médicinales, on est entre le rationnel et le mystique. On remue des zones sensibles ».

 

Impressionnant à la fois par sa haute stature et l'aura qui s'en exhale, l'individu qui s'exprime ainsi d'une voix de stentor marquée par l'accent lorrain a. surgi d'une cabane de bûcheron.

 

 

L'historien de la forêt

 

Un quart de siècle plus tôt sa passion pour l'archéologie, l'avait amené sur place en compagnie du moine cistercien Anselme Dimier qui avait découvert l'abbatiale sous les bombes en 1917. Après des séjours éphémères pour des fouilles, le père René Courtois s'est définitivement installé en 1978, seul, dans cet endroit reculé qui l'a presque envoûté.

 

Au sortir de ses seize années d'études théologiques à Louvain et Namur, le jeune ecclésiastique n'était pas spécialement emballé par la perspective de partir en mission, encore moins par l'idée d'enseigner dans un collège. Il rend grâce à l'ordre des Jésuites de l'avoir autorisé à poursuivre ses recherches et écrire ses ouvrages à mi-chemin entre l'histoire et l'étude des traditions sur le Chemin des Dames, l'Aisne à la Belle-Epoque ou les plus beaux chapiteaux de ce département.

 

Passionné par le XIIe siècle, sa période de prédilection, ce grand historien devant l'Eternel a même exhumé l'église mérovingienne de Cerny-en-Laonnois et prouvé que saint Remi était bien né dans la localité axonaise. « J'ai eu du flair », constate-t-il, reconnaissant implicitement qu'un soupçon d'empirisme profite à l'érudition.

 

Le rituel du « canon »

 

Sans télévision ni téléphone, recevant les messages urgents grâce au fox-terrier télégraphiste de son ami Bernard à Chermizy, ce forestier dans l'âme ne vit pourtant pas en ermite, en trappiste éloigné du monde voire en mystique perdu dans ses béatitudes. Dans sa tanière, ses visiteurs se succèdent à une cadence si infernale qu'il se plaint de ne pas avancer dans ses travaux. Chaque matin, il ne manque pourtant pas de sacrifier au rituel du «canon», pas celui des prières, qu'il partage avec le facteur.

 

  Appelé occasionnellement, à célébrer des messes dans les villages environnants, ce prêtre de 70 ans aime aussi rejoindre chaque jour ses paroissiens au café de Festieux pour « son conseil municipal » de la dive bouteille : « C'est en déjeunant ou en buvant qu'on a le meilleur contact avec son prochain », prédit ce fin cuisinier qui faisait mijoter ce matin-là son pot-au-feu pour ses convives du midi.

 

  Les règles de la compagnie, de Jésus, qui  ne considère pas les offices comme une obligation, lui ont permis de pratiquer sa foi dans la vie sociale « Comme un prêtre ouvrier. Le Christ lui-même un homme sur terre », poursuit-il. Le gigantesque réseau d'amitié qu'il a créé autour de lui prouve qu'il se trouve dans le vrai, alors qu'il n'hésite pas à fustiger un Vatican trop conservateur, « réfugié dans sa forteresse et attendant des assiégeants qui ne viendront jamais comme dans Le Désert des Tartares ».

 

Cet homme d'Eglise qui a fêté l'an passé le cinquantenaire de son sacerdoce prône donc une foi de terrain. Mais ce bon vivant doit aussi sa popularité à ses talents de conteur subjuguant son auditoire par son verbe fleuri ou son immense culture, tant historique que littéraire. Natif des Ardennes belges, il s'enflamme par exemple pour « Un Balcon en forêt » de Julien Gracq.

 

Au plus profond de sa personnalité multiple, vibre aussi le poète admirant René Char ou laissant, durant son absence, fonctionner France Musique pour les oiseaux. Mais il avoue aussi son faible pour les romans policiers qui voisinent avec la Bible dans sa cuisine où deux longues tables de bois massif supportent livres et documents qui s'entassent et forment ses couches archéologiques personnelles.

 

Cette lumière qui émane de Vauclair et attire aussi bien Philippe Meyer, Amalia Escriva que votre humble serviteur provient en grande partie de son gardien fascinant qui entretient l'esprit du monastère fondé par Bernard de Clairvaux. Et si, dans cette correspondance indicible entre la matière et un être, il incarnait lui-même ce phare de sagesse, d'amour et de bonté ?

 

Fabrice Littamé

 

 

Les quatre saisons d'un film

 

« J'ai d'abord hésité. Puis j'ai pensé que ce film ferait parler de Vauclair qui est le fond de mon métier », confesse le Père Courtois. Le charme, la gentillesse mais surtout la qualité d'écoute d'Amalia Escriva l'ont définitivement convaincu.

 

Formée à la F.E.M.I.S (Fondation européenne des métiers de l'image et du son), cette cinéaste parisienne a réalisé son film de fin d'études à Marival près de Villers-Cotterêts, dans la maison de campagne de sa grand-mère où elle se rendait régulièrement durant ses vacances. Passionnée par la nature et les fleurs, elle avait imaginé une fiction autour d'un herboriste. La jeune femme apprenait alors l'existence du jardin de plantes médicinales de Vauclair et rencontra à plusieurs reprises à partir de 1989 le père Courtois avec lequel elle sympathisa. Trois années plus tard, elle décidait de lui consacrer un film qu'elle a intitulé du nom latin du site : « Vallis-Clara ».

 

Un appui local

 

Le premier tour de manivelle a été donné au printemps 93, le dernier cet hiver. Cette évocation poétique « des mondes du père Courtois » et des multiples facettes de sa personnalité a été en effet tournée selon le rythme des saisons : « Cela me permettait d'aborder quatre thèmes: le botaniste au printemps, l'archéologue pendant l'été, le Chemin des Dames à l'automne et, en hiver, le recueillement, l'aspect mystique et spirituel avec ses choix de vie, sa façon de vivre sa foi et son attachement à Vauclair. »

 

Ce documentaire d'une heure est réalisé pour la télévision belge qui intervient pour plus d'un tiers dans le financement d'1,3 MF. Mais sans l'appui d'Equations, une société de production audiovisuelle laonnoise, Amalia Escriva n'aurait jamais pu mener son projet à bien et traduire en images la fascination qu'elle éprouve pour « ce grand intellectuel qui va boire son coup de rouge au café du coin et qui porte l'héritage de l'abbaye. Il vit même dans un quotidien complètement poétique où il voit le monastère reconstruit et entend les chants des moines. »

 

F.L.

 

(1) Article de Fabrice Littamé, vraisemblablement publié dans l'Union fin 1993 ou en 1994.

 

Retour à « Etudes et publications »

Retour à « Artistes »