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Simples et vertueuses plantes de Vauclair [i]

 

[ii] Il y a quinze ans, le site n'était qu'un tas de ronces complètement oublié.

Aujourd'hui, grâce à un groupe de jeunes bénévoles, les belles ruines de l'abbaye de Vauclair, dans l'Aisne, veillent sur un jardin médicinal unique en France.

 

Un damier géant déploie ses carrés blancs et noirs à l'emplacement exact où s'élevait l'ancienne apothicairerie du monastère.  En contrebas du plateau de Craonne, dans l'Aisne, une trouée dans la forêt : dans le silence d'une nature miraculeusement préservée, à l'ombre des ruines majestueuses de l'abbaye de Vauclair, le père Courtois et ses aides cultivent les "simples" comme au Moyen Age.

"La disposition en échiquier se conforme rigoureusement aux plans des premiers jardins monastiques, confirme le père Courtois, jovial cinquantenaire botté de caoutchouc.  Nous avons reconstitué ce jardin médicinal d'après des documents anciens, tel celui de l'abbaye de St-Gall, en Suisse, Daté du IXe siècle, il décrit un « herbularius » ainsi constitué de cases.  Un carré de terre pour chaque plante, une dalle de pierre entre pour assurer la chaleur et retenir l'humidité : cette méthode de culture obtient des résultats étonnants.  L'équilibre chaleur-humidité ainsi maintenu fait tout pousser prodigieusement".

Ainsi le père Courtois conseille-t-il la technique pour les jardins potagers.  Comme le damier, aux cases d'un mètre de côté, les plantes ici sont géantes.  Elles atteignent une taille un tiers supérieure à leur dimension habituelle.  Un seul désavantage : il ne faut pas hésiter à tuteurer si l'on ne veut pas que le premier orage les couche lamentablement.  Par contre, tout se développe à Vauclair, même les plantes du Midi. « Les seules que je n'arrive pas à avoir, avoue le père Courtois avec regret, ce sont les plantes de haute montagne.  L'arnica ne s'adapte qu'au-dessus de 600 mètres, la gentiane à partir de 1 000 mètres.  Nous ne sommes qu'à 80 mètres au-dessus du niveau de la mer, je ne peux pas créer la pression atmosphérique ».

Le jardin médicinal de Vauclair n'en rassemble pas moins aujourd'hui plus de 350 espèces.  Une légère infidélité à la tradition historique, puisque le monastère de St-Gall ne comptait que seize Plantes différentes, faible nombre qui semble avoir été la règle dans les couvents médiévaux.  Pour comprendre cette trahison vénielle, il faut en revenir aux buts du jardin, et pour ce faire, accepter un petit détour dans le passé, si cher au père Courtois.

 

La résurrection

de l'abbaye

 

Lorsque celui-ci débarque à Vauclair en effet, à Pâques 1966, c'est en tant qu'archéologue.  A cette époque, les vestiges de l'admirable monastère du XIIIe siècle achèvent de mourir dans l'indifférence générale, au milieu d'une véritable jungle.  Les terribles combats du Chemin des Dames -malheureusement situé à une portée de fusil - ont détruit en 1917 ce que sept siècles de batailles avaient épargné.  Quasiment intacte encore à la veille de la guerre de 1914, comme en témoignent de nombreuses photos du début du siècle, l'abbaye, depuis laissée à l'abandon, aurait bientôt été engloutie par la forêt... Si un moine cistercien, le père Anselme Dimier, n'avait alerté M. Bruaux, directeur du Comité départemental du Tourisme de l'Aisne.  Tous deux décident de sauver Vauclair.

En août 1965, de passage à l'abbaye d'Orval en Belgique, Anselme Dimier rencontre le père Courtois, qui termine une campagne de fouilles avec une équipe de jeunes bénévoles, c'est ainsi que le groupe « Sources » est invité à venir sonder le site de Vauclair.  L'abbaye a trouvé les artisans de sa résurrection.

Le chantier démarre par du débroussaillage et du déblaiement, travaux d'approche auxquels de nombreux agriculteurs et entrepreneurs de la région prêtent la main.  Puis, de congés en vacances scolaires, le groupe « Sources » scrute peu à peu le terrain. Les fouilles révèlent que, depuis 3 000 ans au moins, des hommes ont vécu en cet endroit.  Depuis l'age de fer, dont on retrouve des traces.  Elles mettent également à jour un village gallo-romain avec ses ateliers métallurgiques, ses fours de potier et son puits du 1er siècle.  En 1973, elles exhument un trésor monétaire de 4 200 pièces des XVIe et XVIIe siècles. Surtout, les fouilles dégagent progressivement les admirables vestiges cisterciens, qui reposaient dans la beauté naturelle du cadre forestier.

Les ruines de l'abbaye disparue deviennent bientôt un agréable but de promenade.  Animateur autant qu'archéologue, le père Courtois songe alors à les faire vivre.  Un « son et lumière » est installé et, à la belle saison, des pièces de théâtre antique sont jouées entre les chapiteaux meurtris, des concerts de musique de chambre résonnent sous les voûtes tronquées, des jeux d'eau colorés font courir sur les vieilles pierres des reflets envoûtants.  Pour parfaire la mise en valeur de ce site de tourisme culturel, l'idée germe alors d'implanter un jardin de plantes médicinales.

 

Un conservatoire des espèces en péril

 

Les jardins de « simples » ont toujours existé aux abords des anciennes infirmeries monastiques.  Ils les approvisionnaient pour les soins à donner aux religieux, ainsi que pour l'importante action caritative exercée par les moines auprès des populations avoisinantes.  La tradition a même gardé le souvenir de l'ancien jardin de plantes médicinales de Vauclair, car certains botanistes français affirment que les moines ont introduit des plantes nouvelles dans la région.

 

         

 

1. La lunaire pétasite hybride a des vertus astringentes et sudorifiques, de plus,

elle fait merveille contre les poux !

2. Ce n'est pas la plante aux coccinelles mais l'agripaume cardiaque.

Comme son nom l'indique, elle possède des vertus cardio-toniques

et atteint trois mètres de hauteur.

3. Petite clochette blanche très rare, la nivéole de printemps

s'épanouit dans les sous-bois.

4. Trempées dans l'huile le feuilles de lys calment brûlures

et blessures.

 

Juste retour des choses, à la re-création du jardin de nombreux botanistes amateurs du département ont partagé leurs connaissances.  Ainsi, deux précieuses préparatrices en pharmacie, les demoiselles Ballot, qui avaient herborisé pendant trente ans dans le Laonnois.

« Neuf plantes sur dix proviennent du département, se réjouit le père Courtois. A part certaines espèces du jura et du Midi - telle l'absinthe, qui s'est merveilleusement adaptée -, la majorité des végétaux présentés ici poussent dans le Laonnois, qui constitue, il faut le souligner, un véritable paradis des botanistes. Le soir, après les fouilles, nous partions en forêt avec des brouettes et nous prospections.  Nous ramenions les plantes avec le maximum de terre autour, car les transplanter avec leur motte facilite leur acclimatation.

Il y a certainement des plantes de la région que l'on a ainsi sauvées. Comme la « Sagesse des chirurgiens », très connue au Moyen Age pour cicatriser les plaies. Ou la belladone, naturelle à Vauclair à cause des vieilles pierres, mais qui, ailleurs, se fait de plus en plus rare.  En cinq, six ans malheureusement, nous avons assisté à une rapide régression de plusieurs espèces.  Le bleuet, par exemple, est devenu rarissime à cause du pesticide du blé.  Pour situer le problème : j'ai reconnu la majorité des plantes que je cherchais dans le catalogue d'une firme de pesticides ».

Le jardin a ainsi trouvé l'une de ses fonctions: celle de conservatoire des espèces rares du Laonnois.

Il faut dire que la plupart des herbes utilisées en médecine sont des plantes très communes, celles-là mêmes que d'aucuns considèrent comme « mauvaises herbes».  C'est pourquoi, sans doute, on les appelle les «simples». Ainsi, les racines et le suc du chiendent sont diurétiques, adoucissants, dépuratifs et apaisants. Le chardon-Marie stimule la vésicule biliaire, et la digestion; c'est en outre un hypertenseur.  Les pétales du gentil coquelicot possèdent des vertus adoucissantes, antitussives et antispasmodiques.  L'énumération pourrait être très longue.

 

Des violettes dans les trous d'obus

 

Sur les listes habituelles de plantes dites médicinales on relève quelque deux cents espèces.  Dans ce lot, une centaine ont un usage médical unanimement reconnu et apprécié, Une cinquantaine d'autres offrent des propriétés thérapeutiques incontestables, mais à un degré d'efficacité plus atténué.  Reste enfin une série de végétaux dont l'usage médicinal fut extrêmement répandu jadis et qui formaient les « classiques » des jardins monastiques, mais la science médicale contemporaine s'interroge sur leur valeur. Vauclair cependant les présente toutes, dans un but didactique.

Les visiteurs peuvent ainsi admirer des plantes dont le nom leur était familier ou, au contraire, s'étonner: « Ça, une espèce rare?  Mais il y en a une colonie chez moi! » (L'un n'empêche pas l'autre!), Le jardin a acquis une solide renommée alentour.  Lorsque les paysans découvrent une plante qu'ils ne connaissent pas, ils ont le réflexe de rapporter à l'abbaye.  C'est ainsi qu'on en est passé au stade supérieur, « celui des espèces encore plus rares qui nous manquent », évoque le père Courtois, avec une lueur dans l'œil. Car l'archéologue s'est pris au jeu de la botanique.  Et le jardin est sorti des limites de son échiquier

Des plantes grimpantes sont venues le compléter, tandis que la végétation spécifique des sous-bois s'épanouit dans le terrain hier défoncé par les trous d'obus.  Tapis de violettes et familières jonquilles font la nique à la guerre. Elles voisinent avec les peu fréquentables hellébores.  Il est rare d'en voir réunies les quatre variantes : l'hellébore noire, communément appelée rose de Noël, l'hellébore verte, la fétide et la mauve, à la très belle nuance, chargée de mystère.  C'est curieux comme les plantes toxiques ont souvent un air étrange, fascinant et impénétrable, Les quatre hellébores sont extrêmement dangereuses, même en usage externe.

Les sous-bois nous révèlent également qu'on peut s'adonner à la médecine sans le savoir.  En consommant des fraises des bois par exemple (astringentes. calmantes, dépuratives, diurétiques et toniques).  Ainsi que des framboises sauvages, des myrtilles ou des mûres.  Plaisir et santé font parfois bon ménage, comme nous le rappellent aussi toutes les « fines herbes ».

 

Les vieux remèdes

retrouvés

 

Mais ici, normalement, elles ne sont pas cueillies.  Le jardin se borne à un rôle pédagogique et incitatif, Pourtant, « une fois qu'on les a, on ne peut pas s'empêcher de les essayer, avoue le père Courtois. Et les résultats sont sensationnels.  Rien de mieux que le baume du millepertuis pour soigner les mains de Roger et de Michel, qui entretiennent le domaine.  Il guérit à merveille les engelures et les brûlures ». Un petit livre dévoile le secret de ces recettes retrouvées.  Intitulé « Nos vieux remèdes de Vauclair », il est diffusé à l'abbaye ou par le Comité départemental du Tourisme de l'Aisne ([iii]).

 

          

 

5. D'Orval à Vauclair, un même enthousiasme : le père Courtois.

6. L'hellébore verte: une plante dont il faut se méfier..

7. Le tussilage  :il fait miracle contre la toux.

8. La scylle-à-deux-feuilles : expectorante, diurétique, tonicardiaque,

mais aussi très irritante pour la peau.

9. L'hellébore mauve : un redoutable anesthésique.

10.  Et saviez-vous que la mignonne primevère a des pouvoirs expectorants et calmants ?

 

Nul doute qu'il intéresse le nombreux étudiants en pharmacie qui défilent à l'abbaye pour renouer avec les origines de leur art.  Des écoliers de toutes sortes viennent d'ailleurs bénéficier de ses leçons vivantes d'histoire, de botanique et de géographie.  Tandis que les membres du troisième âge profitent amplement des possibilités de visite guidée ou d'animation adaptées à la demande.  Le jardin est ouvert tous les jours, gratuitement.  Mais si Vauclair constitue l'un des deux centres permanents d'initiation à l'environnement mis en place par le très actif Comité départemental du Tourisme, ce n'est pas simplement une structure éducative. « Tout Vauclair est une sorte d'aventure, proclame le père Courtois.  Le site est en perpétuelle mutation. Un musée permanent des découvertes archéologiques est en cours de constitution, Parallèlement, nous repoussons toujours plus la forêt pour poursuivre les fouilles.  Pour la première fois, nous voulons voir entièrement ce qu'une enceinte monastique a dans le ventre ».

 

Les jeunes du groupe « Sources » creusent encore quatre mois par an, à raison de quinze jours de travail par personne, effectué au sein d'équipes limitées à une vingtaine de membres, afin de préserver la cohésion du groupe.

 

Quant au jardin médicinal, il semble sur le point de marcotter, Sil n'a pas une vocation économique, des paysans de la région par contre ont été pressentis pour reprendre certaines cultures médicinales. 70 pc. des plantes médicinales utilisées en France proviennent en effet des pays de l'Est et nous avons dû importer 160 tonnes de chiendent l'an dernier. Il paraît donc intéressant d'en relancer la culture, en profitant de l'expérience et des conseils de l'abbaye.

 

Au début du XIIe siècle, un intellectuel anglais vivait envoûté par ses livres.  Saint Bernard, le fondateur de Clairvaux, lui écrivit une lettre célèbre: « Tu trouveras plus de choses dans les bois que dans les livres... », lui disait-il.  L'homme s'arracha à ses manuscrits et devint le premier abbé de Vauclair, Aujourd'hui plus que jamais, dans le val de l'Ailette, les bois enrobent Vauclair d'un charme grave.  En se faisant, pour un instant, complice du calme de ce jardin et de ces pierres, l'homme du vingtième siècle y retrouvera peut-être ses racines et une certaine sagesse.

 

M.C. COLINON.

 

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[i] Article de M. C. COLINON, Femmes d'Aujourd'hui, hebdomadaire N°24 du 15/6/82.

[ii] Cliquer sur les images pour les agrandir.

[iii] Le Comité départemental du Tourisme de l'Aisne, 1, rue Saint-Martin, 02000 Laon