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René Courtois, le gardien du Chemin des Dames

 

«Je suis un homme libre» (1)

 

A 77 ans, René Courtois est indissociable du Chemin des Dames et des terribles évènements de 1917.  Pourtant ce spécialiste de l'histoire locale ne se résume pas à ce seul rôle de gardien de la mémoire, il est avant tout un jésuite actif et fier de l'être. Originaire de Martelange en Belgique, 1e Père Courtois veille tout particulièrement sur l'Abbaye, de Vauclair, de­puis maintenant 35 ans.

 

 

A.N.: On vous appelle Père Courtois, mais quelle est votre fonction officielle au sein de l'église ? 

R.C. : « Je suis jésuite, je ne dé­pends donc pas de l'Evêque ou du clergé diocésain. Les Jésuites s'appellent père, révérend père... Les gosses du coin disent Monsieur le Curé. Mais enfin, comme avait dit Vatican 2, après 75 ans les prêtres devraient arrêter. Si jamais, on devait appliquer cela dans le Diocèse de Soissons, on n'aurait plus de prêtre».

Comment vivez vous d'un., point de vue financier ?

« J'avais mon salaire au comité du tourisme. Cela faisait le Smic. Maintenant, je touche une petite retraite et une complémentaire ».

Vous êtes un spécialiste du Chemin des Dames.  Un choix étonnant pour un homme d'église ?

« Je suis le nez dessus ici.  Ce serait la guerre de 1870, ce serait pareil. Je suis jésuite, donc quand je m'intéresse à quelque chose, il faut que ce soit précis. Je suis venu ici à Vauclair, il y a 35 ans, à l'origine pour faire du médiéval, il ne faut pas l'oublier. Mais je ne pouvais pas ignorer ce Chemin des Dames qui est un massif géologique. Et puis, cet intérêt est venu aussi en écoutant /es survivants de la Grande Guerre. N'oublions pas que les européens de l'An 2000 sont nés dans le bourbier du Chemin des Dames »

Cette étiquette de spécialiste du Chemin des Dames vous gêne-t-elle ?

« Non, pas du tout.  Au contraire, c'est un honneur ! ».

Les fouilles archéologiques, les recherches historiques, le jardin médicinal... Autant d'actions qui auraient pu être menées sans être un religieux.

« J'ai rejoint les Jésuites en 1943. J'avais 20 ans et c'était une période où l'on vivait dans un climat de générosité et de don de soi.  C'était la guerre ... Pourquoi les Jésuites ? C'est parce que c'est quand même ce qui se faisait de mieux.  Si j'avais choisi d'être militaire, cela n'aurait pas été pour être dans les troupes de l'arrière, cela aurait été pour servir sur le front. Ma mère m'a demandé ce qui avait motivé mon choix en insistant sur le fait que les Jésuites étaient ceux que l'on chasse de partout. Je lui ai répondu : " c'est peut-être pour cela ". Quoi qu'il en soit, je ne regrette pas ma décision, car c'est un grand ordre »..

On vous a qualifié de rédempteur du Chemin des Dames.  Un titre qui vous plaît ?

« Non ! il faut être honnête, c'est la conseillère générale, Mme Venet qui a su convaincre Paul Girod de mettre en valeur le Chemin des Dames ».

Vous êtes à l'origine du jardin médicinal. Vous vous considérez comme un écologiste ?

« Les écologistes sont sympathiques, mais ils m'énervent aussi par d'autres aspects. Il faut dire que dans l'Aisne, nous ne sommes pas toujours gâtés. C'est parce que les grands partis ont été négligeants et insouciants sur le plan de l'écologie qu'il a fallu que cette tendance se développe. Le jour où les grands partis auront compris qu'il faut intégrer l'écologie dans leurs programmes, les formations purement écolo n'auront plus de raison d'être ».

Vous n'avez pas votre langue dans votre poche, vous n'avez pas peur de prendre position... Vous êtes un curé plutôt atypique.

« Je suis peut être plutôt un homme libre. Je n'ai jamais baissé la tête sur ce qui peut être dit quant à la vérité. Mais ma liberté, c'est surtout de ne pas avoir d'étiquette ».

Vous refusez d'être classé, mais quelle est cependant votre réelle identité: chercheur, historien, religieux ?

« Je suis homme d'église car je suis Jésuite. Nous sommes des gens de frontière, nous nous préoccupons avant tout de ceux qui sont en dehors de l'église, mais pas pour faire du prosélytisme. La grande tradition des jésuites, c'est le respect des grandes cultures, comme les rites indiens. A la cour de Chine, les Jésuites étaient astronomes. Nous cherchons à montrer ce qu'est un chrétien ».

Que représente pour vous le 11 novembre ?

« C'est une date qui m'a toujours marqué. Pour moi le Chemin des Dames est super habité. Des coins comme le Plateau de Californie ont vu des milliers de soldats tomber sous les balles. J'aime traîner dans les cimetières. Un cimetière, c'est un nom, un prénom, une famille, un coin de France. Dans la plaquette sur le Chemin des Dames, j'ai expliqué que les généraux manient leurs troupes comme des ensembles. La mitraille, elle n'atteint que des vies singulières ».

 

Propos recueillis par
Philippe DUFRESNE

(1) Article du 11 novembre 2000 dans l'Union

 

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