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Les fouilles archéologiques

de Cerny-en-Laonnois

 

Premier bilan provisoire

 

 

Ces ligues se proposent simplement de présenter un premier bilan provisoire des fouilles du Groupe «Sources» à Cerny-en-Laonnois, après cinq années de recherches [i].

 

L’IMPORTANCE HISTORIQUE DE CERNY-EN-LAONNOIS

 

Situation géographique

 

La commune actuelle de Cerny-en-Laonnois se trouve dans le département de l'Aisne, canton de Craonne. Elle a été bâtie en 1920 sur Lui emplacement vieille du Chemin des Dames, c'est-à-dire sur la route de crête qui court de Craonne à Laffaux, entre les vallées de l'Aisne et de l'Ailette. Mais cette reconstruction récente n'a aucun rapport avec l'antique localité de Cerny-en-Laonnois, telle qu’elle subsista jusqu’en 1918 [ii].

 

De même que l'ancien Craonne ou d'autres localités du Chemin des Dames, particulièrement détruites au cours de la guerre 1914-1918, le village de Cerny-en-Laonnois fut abandonné en 1918 et reconstruit - de manière beaucoup) plus modeste - sur la hauteur du plateau du Chemin des Dames. La localité historique de Cerny fut donc laissée à l'abandon depuis 1918. Un seul élément assure encore un trait d'union entre les deux habitats : le cimetière qui sert toujours aujourd'hui, au même emplacement.

Deux éléments géographiques expliquent la remarquable situation de l'ancien Cerny :

 

- à mi-côté du versant nord du Chemin des Dames, une plate-forme assez circulaire se détache de la pente pour dominer la vallée de l'Ailette d'une hauteur de 60 à 70 mètres. Le vieux Cerny fut implanté sur ce remarquable promontoire qui lui conférait à la fois un abri contre les grands vents balayant la crête et tous les avantages défensifs d'un éperon barré.

- deux voies fort antiques se croisaient près de cet emplacement.

 

D'une part, le chemin dit «des Dames», ancienne voie gauloise de sommet, qui court d'est en ouest sur la crète. D'autre part, la voie dite «de Barbarie» orientée nord-sud, qui remonte de Bourg-et-Comin, longe le vieux Cerny pour redescendre vers Chamouille.

 

Faut-il ajouter que Cerny se trouve quasi au centre du célèbre triangle historique Reims-Soissons-Laon, c'est-à-dire d'un territoire lourdement chargé d’histoire ?

 

Les traditions et les sources écrites

 

Une tradition constante, exprimée de manière diverse (affirmations d’historiens, récits oraux, gestes folkloriques, procession « mérovingiennes », etc ... ) a toujours attribué à Cerny le lieu de naissance de saint Remi. Existe-t-il des sources écrites qui puissent accréditer cette affirmation ?

 

Aucun document authentique du Ve siècle n’affirme explicitement que saint Remi soit né à Cerny [iii]. La vita Remigii d'Hinemar se borne à dire que Remi est lié «in pago Laudunensi alto parentum sanguine» [iv].

 

Mais la ferme tradition populaire se trouve confortée par une série de données historiques solides :

 

- La « Vita Remigii» du VIe siècle reprise par Hinemar, et surtout l’authentique « Petit Testament de saint Remi », permettent de suivre l'existence de cette famille d'aristocratie gallo-romaine et son implantation dans le Laonnois pendant presque un siècle, de la naissance de Remi en 438 jusqu'à sa mort en 530 [v]. D'une manière très précise, dans son «petit Testament », Remi possessionne ses neveux dans certains lieux du Laonnois et principalement à Cerny. A Cerny même, où son frère Principus - devenu évêque de Soissons - possède également des biens, Remi lègue une partie de son héritage à son neveu Actius : «Etio nepoti meo partem de Cesurnico quae mihi sorte divisionis obvenit, cum omne jure quod tenui possedi».[vi] Dans le même testament, Remi cède à son neveu Lupus (qui deviendra également évêque de Soissons) un esclave de son domaine de Cerny : «Servum meum de Cesurnico tuum esse praecipio» [vii].

 

En clair, pour un archéologue, il ne fait aucun doute que la famille de saint Remi est implantée à Cerny, aux Ve et VIe siècles.

 

- Mais il y a plus. Flodoard, le rigoureux chroniqueur rémois, évoque plusieurs fois Cerny dans son «Historia Remensis ecclesiae».

 

Ces scènes sont remarquablement sculptées au portail nord de la cathédrale de Reims. Il y a notamment la rencontre entre l'hermite saint Montain, de la forêt de Saint-Gobain, et Célinie, la future mère de Remi, à qui l'hermite vient annoncer la naissance de Remi malgré le grand âge de Célinie.

 

Une autre scène, narrée par Flodoard, est celle du miracle du vin que saint Remi accomplit à Cerny, alors qu’il venait visiter sa cousine Celse [viii]. Le caractère légendaire de ces scènes est typique d'un genre littéraire d'époque. Mais, pour l'archéologue, l'important c'est la désignation explicite du lieu : Cerny.

 

- Il y a aussi un argument supplémentaire qui a constamment échappé aux Historiens :

 

A quelques centaines de mètres de l'ancien village, sur le terroir de la commune de Cerny se trouve toujours le lieu-dit «Saint-Émile» (le père de Remi). Une source de même nom y coule également.

 

Si l'on peut attacher foi à cette série de données solides, il y a donc lieu de porter présomption pour que le site du «vieux Cerny» ait connu une occupation ininterrompue depuis le IVe siècle au moins.

 

A condition que la recherche archéologique en apporte la preuve

 

 

Pourquoi implanter les fouilles dans l'ancienne église ?

 

L'église de Cerny-en-Laonnois, telle qu’elle se dressait au milieu de l'ancien village, avant 1914, avait retenu l'attention de plusieurs érudits locaux et nationaux. Lefèvre-Pontalis lui avait consacré une étude, de même que Fleury [ix]. Cette édifice semblait remonter au XNe siècle ou à la fin du XIe siècle. Il n'en subsiste rien en élévation et le site, abandonné depuis 1918, s'était recouvert d'une épaisse végétation sauvage qui le rendait inaccessible.

 

Pourquoi avoir choisi cet emplacement pour y implanter notre sondage ?

 

De la fouille des églises telle qu'elle est menée en Europe, depuis une trentaine d'années, il semble bien qu'une certitude s'impose : celle de la -permanence du lieu de culte [x].

 

A travers les temps et les aléas de l'histoire, les bâtiments se succèdent avec une sorte d'attachement quasi magique pour le lieu primitivement choisi. En d'autres termes, peu de lieux ruraux - autant que l'église - peuvent donner une réponse aussi adéquate à la question de l'antiquité d'un site on d'une localité. Cette conviction allait trouver rapidement une confirmation éclatante à Cerny. Pour nous faire une idée suffisamment précise, nous avions décidé d'ouvrir une tranchée de trois mètres de large, orientée dans l'axe de l'église, à la limite du choeur et de la nef. Pour des raisons d'évacuation des terres nous avons placé cette tranchée dans la moitié sud du sanctuaire, entre les piles du côté sud et l'axe central de la nef. A peine le décapage de surface achevé, après débroussaillage du site, le pavement de l'église tel qu'il existait avant 1914 est apparu en fait état de conservation. Il devenait donc évident que les combats de 1914-1918 n'avaient aucunement perturbé le sous-sol de l'édifice et que les recherches pouvaient s'engager dans les meilleures conditions [xi].

 

LES BATIMENTS GALLO-ROMAINS (IVe et Ve siècles)

 

Dans l'état actuel de nos recherches, les vestiges les plus anciens que nous avons mis au jour à l'emplacement fouillé de Cerny, sont des constructions romaines du Bas-Empire (IVe et Ve siècles). Il s'agit essentiellement d'un bâtiment rectangulaire avec hypocauste et bassin, construit sur une élévation rocheuse, orientée selon un axe E-0, sur la plate-forme de l'ancien village de Cerny. Cette construction - assez modeste - mesure dans oeuvre 10 m de long et 5,30 m de large. Deux murs de refend - orientés N-S - séparaient les trois pièces intérieures que possédait cet édifice.

 

Les murs extérieurs de cet habitat, de même que les murs de refend mesurent de 50 à 55 cm d'épaisseur. Ils subsistent sur des hauteurs qui varient de 1,40m à 60 cm. Tous ces vestiges possèdent un même appareil de belle qualité : il s'agit d'un assemblage de moellons en calcaire lutécien fort résistant (module moyen : 45/20 x 30/20 x 20/15 cm), liés avec des lits abondants d'un excellent mortier de chaux mêlée de fine grève jaune. Cette grève est typique de celle que l'on trouve dans la vallée de l'Aisne. L'assise de base de ces murs repose régulièrement sur le niveau supérieur de la roche calcaire qui constitue le sol en place dans le vieux Cerny.

 

 

Le parement extérieur du mur nord de la ville gallo-romaine, avec son appareil régulier bien caractéristique. L’assise supérieure, fort irrégulière, appartient à l’oratoire mérovingien implanté sur les fondations gallo-romaines.

 

Le bassin

 

A l'extrémité ouest du mur  sud de cette construction, les recherches ont mis au jour une sorte d'annexe qui mesure 2,58 m de Ion, et 2,06 m de large. il s'agit manifestement d’un bassin, jointif au bâtiment gallo-romain et de même époque. Un mur de 0,50 m de large l'entoure, avec un appareil rigoureusement identique à celui des murs de la villa. La base de ce bassin est assurée par un niveau de dalles très planes, polies avec soin (module moyen : 60 x 60 cm), et de formes irrégulières. Ces dalles sont rejointoyées entre elles avec un mortier fort compact. La jonction entre le niveau des dalles et la base des murs qui bordent le bassin est assurée par un fort bourrelet de béton gallo-romain, de couleur rose sombre. Les parements intérieurs des murs de ce bassin sont recouverts d'un enduit de mortier rose de 2 à 4 cm d'épaisseur. Il s'agit d'un enduit soigné, fort lisse et qui forme une jointure parfaite avec le bourrelet de base.

 

 

Le bassin gallo-romain : b) fond du bassin et paroi, avec enduit, subsistante ; c) parement extérieur du mur sud de l’oratoire mérovingien ; e) fondation d’une pile de l'église du XIIe.siècle.

 

L'hypocauste

 

Les recherches, à l'emplacement du mur est du bâtiment gallo-romain, ont permis de mettre à jour un foyer d'hypocauste. Il s'agit d'un praefurmiumi (foyer), dont le canal de chauffe est orienté perpendiculairement à la paroi extérieure du mur de lai villa, qu'il traverse en s'arrêtant à la hauteur du parement intérieur de ce mur. Les deux parois de ce canal de chauffe reposent sur une couche d’argile compacte, agencée avec soin sur le niveau de la roche et sous les moellons de base des parois du foyer.

 

Les deux parois du foyer mesurent 1,40 m de longueur. Elles subsistent sur 62 à 63 cm de hauteur et mesurent 60 cm de large. Ces parois ne sont pas parallèles mais légèrement obliques. La largeur du canal se rétrécit au fur et à mesure qu’il se rapproche de son entrée dans le bâtiment. Ces parois sont faites de briques allongées qui mesurent 28 à 26 cm de long et 5 à 6 cm d’épaisseur.

 

Le niveau de base de ce foyer (la sole) est assuré par une couche d’argile entièrement durcie par le feu. Ce foyer d’hypocauste semble manifestement postérieur à la construction primitive du mur de la villa gallo-romaine. Un examen attentif montre qu’une ouverture a été pratiquée dans le mur déjà construit.

 

La base de ce canal-foyer communique avec le niveau horizontal de béton romain d’une épaisseur de 10 à 12 cm. Il s’agit du niveau de base de la chambre de chaleur située sous le niveau de circulation du bâtiment gallo-romain. Ce niveau ne subsiste que sur de rares espaces laissés intacts par le creusement des silos, dont nous allons reparler plus loin. Il n’a donc pas été possible de localiser les pilettes de la chambre de chaleur. En revanche, les remblais ont fourni de nombreux fragments de « tubuli » noircis à l’intérieur [xii].

 

Dans tout l’espace situé à l’extérieur du mur de la villa, où se trouve l’entrée du praefurnium, on découvre une couche fort étendue de 50 à 70 cm d’épaisseur, entièrement noirâtre, qui se compose d’un mélange de cendres et de charbon de bois. Cette couche fournit un nombre important de tessons gallo-romains et certaines monnaies dont l’étude attentive fournira des datations permettant de fixer la période et la durée d’utilisation de cet hypocauste.

 

Cette première construction parfaitement homogène connaîtra un premier abandon après incendie. Un remaniement postérieur viendra lui adjoindre une petite annexe, le long de la face sud.

 

 

LES SILOS

 

A l'emplacement du bâtiment gallo-romain découvert à Cerny et aussi dans ses environs immédiats, les fouilles ont mis à jour toute une série de cavités plus ou moins circulaires creusées dans le nieau supérieur de la roche calcaire que l’on trouve uniformément vers une profondeur de 2,20 m. Ces cavités mesurent de 1,50 à 1,20 m de profondeur. Elles s'évasent progressivement à la base, pour offrir un profil de cloches. Certaines d’entre elles, aux formes plus irrégulières, n’ont jamais été achevées et mesurent à peine 50 cm de profondeur. De quand datent ces cavités et quel pouvait être leur usage ?

 

Sans nul doute, ces excavations sont postérieures à l’abandon de la villa mais antérieures à sa réutilisation comme  premier oratoire chrétien. La fouille méthodique, avec tamisage fin du remblai qui était amassé dans ces silos, a livré un matriel céramique qui nous permettra de dater leur abandon. Mais l’important, c’est la mise au jour de grains de céréales carbonisés, au fond des cavités. Leur analyse a été confiée au laboratoire spécialisé de l’Université de Leyde (Pays-bas). Il semble bien qu’il s’agisse de grains d’orge et aussi de petits pois. Ces éléments nous  inclinent à voir dans ces cavités des silos destinés à la conservation des récoltes et des produits alimentaires. tout usage hydraulique de ces excavations est à exclure. La roche fort poreuse ne retient pas l’eau. Il ne peut s’agir ni de puits ni de citernes.

 

Exemple de silo creusé dans la roche. A l’arrière-plan, les fondations de la paroi nord du clocher de l’oratoire mérovingien, implantées dans le silo.

 

 

L'ORATOIRE MÉROVINGIEN (VIeou VIIe siècle)

 

Le premier sanctuaire, chrétien, découvert au cours des fouilles de Cerny, y a été implanté en réutilisant simplement la base des murs gallo-romains de la villa primitive, et en y ajoutant une abside contre le mur est de cette construction. Cette reprise des murs gallo-romains demeure bien visible à certains emplacements où le mur mérovingien superposé subsiste sur 3 à 5 assises.

 

L’appareil de ce sanctuaire diffère de celui de la villa gallo-romaine non pas tant par les moellons utilisés, qui sont des réemplois de pierres provenant de la villa primitive mais par un agencement moins régulier et surtout par l'utilisation d'un mortier gris-jaune différent du mortier gallo-romain. On y relève aussi des « rattrapages »qui utilisent des tuiles gallo-romaines.

 

Mise à jour de l’abside de l’oratoire mérovingien et de son autel (sous le seau).

 

L’abside de l’oratoire mérovingien et la base de l’autel (implantée sur le canal de l’hypocauste gallo-romain).

 

L'abside - entièrement ajoutée à la villa gallo-romaine - permet d'observer avec plus d'attention la technique de construction de cet édifice. Cette abside est jointive à l'extrémité est des murs sud et nord de la villa. Elle mesure environ 50 cm d’épaisseur. A la base des parements intérieurs et extérieurs de cette abside, on observe un ressaut de fondation de5 à 10 cm d’épaisseur. Les moellons utilisés pour la construction de cette abside proviennent manifestement des murs de la villa gallo-romaine et portent des traces bien visibles d’un incendie.

 

Au centre de cette abside, les recherches ont permis de découvrir un massif de maçonnerie qui devait être la base de l’autel. Il mesure 92 cm de long et 70 cm de large. Il subsistait sur une hauteur de 55 cm. La partie supérieure avait été manifestement arrachée. Ce massif était composé d’un blocage de petits moellons divers liés par un mortier grisâtre abondant. les qutre parois de ce bloc étaient recouvertes d’un même enduit gris clair de 2 à3 cm d’épaisseur. La base de ce massif de maçonnerie reposait sur une couche d’argile fortement rubéfiée.

 

La tour carrée

 

Dans la moitié sud de cet oratoire, les fouilles ont permis de mettre au jour les fondations assez massives d’une construction angulaire implantée le long du mur sud de la villa. Il s’agit d’une construction dont les quatre parois forment un carré assez régulier et dont la paroi sud a été implantée de manière étroitement jointive au parement extérieur du mur sud de la villa. Ces parois ont des épaisseurs diverses qui varient de 1 m à 80 cm de large. Du côté sud, un seuil et une marche d’entrée donnaient accès à l’espace intérieur recouvert d’un niveau horizontal de mortier gris. Cet espace carré mesure 1,60 m de côté.

 

L'appareil de ces fondations diffère entièrement de l'appareil des murs gallo-romains ou mérovingiens. Il se présente comme un assemblage soigné de moellons assez gros (50/30 x 50/25 x 30 x 20 cm). Certains de ces moellons sont des réemplois recouverts d’un léger enduit jaune clair.  Il ne fait aucun doute que ces fondations constituent les bases d’une construction en élévation : tour ou clocher. Fait-elle partie de l'oratoire mérovingien ?Rien ne s’oppose à cette attribution qui en fait un petit clocher fort acceptable.

 

Il ne fait pas de doute que cette réutilisation des murs gallo-romains de la villa primitive pour y implanter un édifice avec abside et autel est bien celle d’un premier oratoire chrétien à Cerny-en-Laonnois. La parfaite orientation E-O. du bâtiment primitif facilitait cette transformation du lieu de Culte qui mesure dans œuvre 13 m de longueur et 5,50 m de large. La modestie même de cet espace en devait limiter l’usage à un groupe réduit de chrétiens, sans doute à la famille qui possédait ces lieux. Nous reviendrons plus loin sur la signification de ce lieu de culte.

 

L’ABSIDE CAROLINGIENNE

 

Au cours de la campagne 1991, un élément capital est venu s'ajouter aux découvertes faites à Cerny, durant les trois premières années de fouilles : il s’agit d’une abside circulaire, dans l’espace situé au sud du clocher de l'église du XVIIe siècle, c’est-à-dire en dehors de l’espace intérieur de cette église. Ces fondations subsistent sur 1 à 1,20 m de hauteur. elles mesurent de 55 à 60 cm de large. Leur appareil ressemble à celui des constructions du IVe et Ve siècle, à Cerny. Mais on observe deux différences : le module moyen des moellons utilisés est un peu plus grand que celui des murs gallo-romains et mérovingiens ; le mortier diffère également de celui des constructions du Bas-Empire et de l’époque mérovingienne.

 

Il s’agit d’une construction soignée et de grande qualité. L’état de conservation en paraît excellent. Un premier examen des tessons découverts dans les niveaux stratigraphiques qui entourent les fondations de cette abside montre qu’ils proviennent en majorité de poteries d’époque carolingienne. il nous semble plus que probable que cette abside appartienne à une église carolingienne implantée à Cerny, à l’ouest du premier oratoire mérovingien.

 

Nous ignorons, à l’heure actuelle, le plan précis de ce sanctuaire et ses caractéristiques. C’est dire assez l’intérêt scientifique considérable d’une fouille exhaustive de cette église rurale carolingienne. Deux éléments nous semblent déjà significatifs. Tout d’abord, le tracé de l’abside découverte révèle clairement qu’elle se trouve à l’extrémité d’un édifice dont la largeur atteint environ 8 m, alors que l’abside mérovingienne est celle d’un sanctuaire de 4 m de large. Par ailleurs, les recherches de 1992 ont permis de mettre au jour un massif de maçonnerie, jointif au parement intérieur du centre de cette abside, et qui nous semble bien la base d’un autel [xiii] .

 

LES SEPULTURES

 

Tout au long de ces siècles de chrétienté, les lieux de culte et les lieux de sépulture sont étroitement associés. Cerny en fournit un remarquable exemple. Pour faire bref, signalons que nos recherches à Cerny - dans l’état actuel des secteurs fouillés – ont permis de mettre au jour trois ensembles de sépultures :

 

- la nécropole primitive,

- les sépultures à l’intérieur de l’église du XIIe siècle,

- les inhumations à l’extérieur de l’église du XIIe siècle.

 

Le clocher de l’oratoire mérovingien, avec un seuil d’entrée, à droite. On peut voir comment la paroi sud de clocher, à droite, a été construite de manière étroitement jointive au parement extérieur du mur sud de la villa gallo-romaine.

 

L’abside de l’église carolingienne. A droite, on voit la pile sud du clocher de l’église du XIIe siècle, dont la construction a détruit une partie de l’abside.

 

La nécropole primitive

 

Les fouilles montrent clairement que de nombreuses sépultures se sont implantées tout autour du premier lieu de culte, de manière quasi jointive aux parements extérieurs des murs. mais on observe que les inhumations situées à l’est, au chevet de l’oratoire primitif, utilisent des cercueils de pierre [xiv]. En revanche, les sépultures qui se trouvent à l’ouest, devant la façade du premier sanctuaire, sont des tombes creusées dans la surface du niveau rocheux et recouvertes d’une épaisse dalle de pierre. Toutes ces sépultures sont parfaitement orientées et sans aucun mobilier.

 

Les sépultures de l’église du XIIe siècle

 

Il s’agit de sépultures avec cercueils de bois. Plusieurs rites funéraires successifs sont discernables dans ces inhumations. Ainsi dans les sépultures des XVIIe et XVIIIe siècles, on trouve une coupelle en terre cuite émaillée, disposée de manière horizontale, entre les fémurs ou les tibias. Il s’agit d’ustensiles qui devaient contenir de l’eau bénite. Certaines sépultures du VIVe et surtout XVe siècles ont livré des poteries, avec des perforations intentionnelles, qui contenaient du charbon de bois. Il s’agit d’un rite médiéval où ce genre de poteries remplies de charbons de bois incandescents, servaient d’encensoir. Deux tombes de prêtres ont révélé un rite particulier. Le défunt y est enterré, avec les deux mains qui serrent un calice de plomb.

 

BILAN PROVISOIRE DES RECHERCHES [xv]

 

Rappelons brièvement qu’après quatre années de recherches à l’intérieur des vestiges de l’église du XIIe siècle, qui s’élevait à Cerny jusqu’à la guerre 1914-1918, nous avons mis à jour un bâtiment du IVe siècle, dont une partie avait été réutilisée comme fondations d’un premier lieu de culte avec abside et autel. Les dimensions de ce premier sanctuaire, qui sont fort réduites : 13 m x 6 m, en font plutôt un oratoire qu’une église paroissiale.

 

L’église paroissiale du XIIe siècle sera implantée au-dessus de ce premier sanctuaire mérovingien sur un plan beaucoup plus étendu, de manière à desservir une paroisse qui comptait 400 habitants, avant 1914. Il nous apparaissait clairement que l’exiguïté du premier oratoire n’aurait pu satisfaire la population d’une paroisse à l’époque carolingienne. Il y avait un hiatus manifeste entre la vaste église paroissiale du XIIe siècle et le petit oratoire primitif.

 

Ainsi l’abside nouvelle, que nous avons mise au jour en 1991, nous semble clairement celle d’une autre église implantée à l’ouest du sanctuaire mérovingien. Une élémentaire prudence nous oblige à réserver tout jugement définitif, à cause de la surface fort réduite de nos fouilles, à cet emplacement. Mais nous inclinons à penser que ce nouveau sanctuaire découvert en 1991 est celui de la première église vraiment paroissiale de Cerny. Pourquoi se trouve-t-elle décalée de l’emplacement du sanctuaire primitif ? Dans l’état des connaissances historiques actuelles, que nous possédons sur l’origine de nos premiers lieux de culte chrétiens, dans la Gaule du Nord, nous pensons que le premier sanctuaire mérovingien de Cerny - avec ses dimensions réduites – était une église familiale [xvi], implantée dans le domaine de l’habitat d’une grande famille gallo-romaine chrétienne, vers le VIe siècle.

 

La seconde église, dont nous avons mis au jour l’abside, nous semble la première église vraiment paroissiale du village de Cerny, édifiée à l’époque carolingienne, où s’opère la première organisation des paroisses rurales, dans nos régions. Mes deux sanctuaires - à finalités différentes - ont fort bien pu coexister à une certaine époque. Il est manifeste que le tracé de l’église paroissiale du XIIe siècle tient compte de l’emplacement du sanctuaire carolingien. Mais il est vrai qu’on ne peut sous-estimer la signification historique de l’édification de cette église du XIIe siècle sur l’emplacement du premier oratoire familial mérovingien, lui-même implanté sur la villa gallo-romaine primitive. Une publication définitive, à la fin des recherches, s’attachera à mettre en valeur l’importance considérable des découvertes archéologiques de Cerny-en-Laonnois.

 

René COURTOIS S.J.

et le groupe Sources

 

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[i] Ces fouilles ont été effectuées par les jeunes du «Groupe Sources », à partir de leur base de l'abbaye de Vauclair. Le « Groupe Sources» tient à redire toute sa gratitude au Comité Départemental du Tourisme de l'Aisne, sans lequel ces recherches n'auraient jamais eu lieu. Mais il importe autant d'exprimer une vive gratitude à la commune de Cerny-en-Laonnois à son maire, M. Maurice Quinquet, et à tous ses habitants qui ont toujours apporté à ces recherches, non seulement une vive attention niais un cordial soutien.

[ii] On n'en finirait pas de relever dans des travaux de niveau universitaire les confusions entre le Cerny-en-Laonnois historique et la localité actuelle. Ainsi peut-on s'étonner vivement q’une publication récente : « Laon et le Laonnois du Ve au Xe siècle», de Jackie Lusse, fasse preuve d'une pareille méprise. Comment un jury universitaire peut-il avaliser une telle méconnaissance des lieux : «Le village de Cerny. situé au sommet d’un plateau étroit... (p. 62) ? Avec en surplus, une carte qui prétend restituer des centuriations romaines autour du Cerny actuel, qui ne date que de 1920 ?

Un autre exemple : l'excellente plaquette que le professeur Georges Gaillard a consacrée aux régions Ile-de-France, Champagne, Nord-Est, dans la collection «l'Art Roman en France» (Flammarion. 1961).

L’importance de l'église du XNe, siècle à Cerny y est parfaitement mise en valeur mais l'auteur la présente comme un édifice encore en place. Ainsi, régulièrement, en s'appuyant sur cette brochure, des chercheurs se présentent à Cerny pour voir cet édifice entièrement disparu.

[iii] Ce n'est pas le lieu de reprendre ici le problème critique des sources écrites. Un important congrès historique se prépare a Reims, à l'occasion du 16e centenaire du baptême de Clovis par saint Remi. Sans doute offrira-t-il l'occasion de passer au crible d'une saine critique historique la lourde accumulation d'éléments purement hagiographiques ou politiques dont l'importance de cet événement a recouvert les faits historiques originels.

[iv] SS rer. Merov. M 261. Faut-il faire remarquer que la Vita parle du « pagus » de Laon et non de la « Civitas », écartant de la sorte toute assertion concernant une prétendue naissance de saint Remi à Laon même ?

[v] Véritable chef-d’oeuvre d'analyse critique pluridisciplinaire, l'étude consacrée au « Petit testament » de saint Remi par trois historiens anglais en a définitivement établi l’authenticité. Il s'agit d'un travail publié dans la Revue Belge de Philologie et d’Histoire, tome 35. 1957, .sous le titre « The authenticity of the Testamentum S. Remign », par A.H.M. Jones, P. Grierson et J.A. Crook. Il s'agit bien entendu de la version courte du Testament provenant de la première Vita de saint Remi et non du Grand Testament, dont nos trois spécialistes anglais estiment qu’il est « beyond salvation », c'est-à-dire en dehors de toute tentative de le rendre authentique.

[vi] SS rer. Merov NI, 339. 9 et 10. «Je donne à mon neveu Actius la part qui est mienne du domaine de Cerny-en-Laonnois. avec les droits y attachés ».

[vii] SS rer. Merov NI. 337. « l’esclave que je possède à Cerny-en-Laonnois t'appartiendra. Le lopin de terre qu'y a possédé mon frère, l'évèque Principius, avec les bois, les prés et les pâturages deviendra ta propriété ».

[viii]  Flodoard, Historia Remensis Ecclesiae. LI, ch. 10

[ix] A la lecture des méritoires travaux consacrés à Cerny par un Lefèvre-Pontalis ou un E.Fleury, on mesure les limites d'une recherche historique architecturale qui se bornait alors aux seuls éléments visibles en élévation. La connaissance des sources historiques écrites leur avait donné une conviction affirmée de l'antiquité de Cerny-en-Laonnois. Mais plutôt que de s'ouvrir aux perspectives d'une recherche archéologique par l'investigation du sous-sol, les deux érudits se livrent à d'infinies interrogations pour découvrir des parties plus antiques dans un édifice du XNe siècle, parfaitement homogène.

[x] Nous serions impardonnables de ne pas rappeler ici les nombreuses recherches archéologiques dans les églises, effectuées en Belgique par le professeur J. Mertens et notre vieux maître en archéologie François Bourgeois, dans le cadre des fouilles dit Service National des Fouilles. Citons simplement l'une des conclusions de F. Bourgeois, à la suite d'une étude de synthèse sur la fouille d'une vingtaine d'églises : «l'attachements l'endroit de culte primitivement choisi est manifeste dans les églises que nous présentons. Les substructions des différents édifices qui s'y sont succédé illustrent, d'une façon remarquable, le désir du permanent ». (Secrets d'Eglises, Musée Ducal, Bouillon, 1964).

[xi] L’expérience acquise par le Groupe Sources, dans les fouilles implantées dans plusieurs sites particulièrement meurtris par les combats de la Grande Guerre 1914-1918, tels que Vauclair, Craonne et Cerny-en-Laonnois, nous a confirmé dans la conviction que des bombardements même intensifs entament fort peu le sous-sol archéologique, à l'intérieur d’un bâtiment. Les pierres éboulées sur le lieu font écran et protègent le sous-sol. Ce qui n'est évidemment pas le cas lorsqu'il s'agit de bombardements en terre nue.

[xii] On nomme « tubuli » des briques creuses dont la superposition forme une sorte de conduit dans lequel passait la chaleur du foyer, le long des parois de la pièce chauffée.

[xiii] L’exemple d’un autel placé au fond de l’abside, dans une église carolingienne du Laonnois comme celle de Cerny nous semble une judicieuse illustration des thèses de Jean Chélini, dans un ouvrage récent vraiment magistral : « L’aube du Moyen Age » (Picard, 1991). On y lit notamment : « La réforme carolingienne qui s’efforça d’améliorer la qualité intellectuelle du clergé et d’accroître son caractère séparé et spécialisé, augmenta la distance sociale entre l’ordre des clercs et celui des laïcs. Ceci se traduisit par une séparation accrue dans l’espace de l’église entre les laïcs et les clercs : l’autel majeur recula vers le fond de l’abside » (p. 272).

[xiv] Nous préférons l’expression « cercueil de pierre » à celle de « sarcophage ». Cette dernière fait toujours penser à l’époque gallo-romaine ou mérovingienne, alors que dans le Laonnois, on inhume encore dans des cercueils de pierre jusqu’au XIIe siècle. Nous en avons une preuve à Cerny.

[xv] Intentionnellement, nous ne présenterons que les découvertes antérieures à l’église du XIIe siècle. Une étude particulière sera consacrée aux fouilles de cette dernière, avec sa tribune de tradition carolingienne et les moules à cloches découverts au cours de nos recherches.

[xvi] Il s’agit de petits oratoires familiaux que les historiens allemands nomment des « Eigenkirche » (littéralement : des églises personnelles). déjà vers la fin du IVe siècle, des lieux de culte commencent à s’élever dans les domaines des grandes familles chrétiennes. Une loi d’Honorius (398) apprend que certains grands propriétaires ont déjà une chapelle dans leur villa. Un canon du Concile d’Orléans (541) parle même des paroisses établies dans les domaines des grands.