Extrait du livre
Abécédaire ou rudiment
d'archéologie, architectures civiles et militaires
de M. A. DE CAUMONT
chez LBH, MDCCCLXX
pp. 123-133
Le texte qui suit décrit en
fait le bâtiment des convers.
Logement des hôtes et
magasins.
Une des
plus belles constructions monastiques qui nous restent du XIII, siècle est,
sans contredit, le grand bâtiment connu à Vauclair, aux environs de Laon, sous
la dénomination erronée de grange de
Vauclair. M. le comte de Mérode
l'avait signalé depuis longtemps; M. Piette l'avait décrit dans son Histoire de l'abbaye de Foigny, dont
Vauclair dépendait ; plus tard, nous avons pu le visiter avec plusieurs membres
de la Société française d'archéologie, et M. Victor Petit l'a examiné et
dessiné avec tout le soin possible.
C'est à lui que nous devons les dessins qui suivent, et une partie des
notes explicatives que nous allons produire pour l'intelligence de ces dessins.
Avant tout , disons-le , si
la magnifique construction que je vais décrire a servi de grenier à blé, on
peut affirmer hardiment que ce n'était pas une grange dans l'acception
véritable du mot, et que les gerbes n'y ont point été entassées, sauf peut-être
dans les derniers temps, lorsque les établissements monastiques étaient en
décadence et que la confusion et le désordre s'étaient introduits dans la
destination des édifices, aussi bien que dans l'administration morale et
matérielle des congrégations.
Le bâtiment de Vauclair n'a
pu être construit pour resserrer des récoltes en gerbes , car les granges étaient toujours en dehors de l'enceinte
centrale des maisons conventuelles, tandis que le monument de Vauclair fermait
le côté occidental de cette enceinte et bordait le cloître. Je suppose que c'était là que les hôtes
étaient reçus au XIII, siècle , ou qu'au moins une partie était destinée à cet
usage; les voûtes , si belles , encore peintes, les pavés émaillés, dont il
reste encore des traces, nous paraissent mieux convenir à cette destination
qu'à un grenier ; toutefois , diverses abbayes ont eu, dans le XIIIe- siècle,
leurs magasins à blé placés dans le même corps de bâtiment, et il se pourrait
qu'il en eût été ainsi à Vauclair au lieu que les granges, je le répète,
étaient toujours en dehors de l'enceinte claustrale. Nous en aurons encore des preuves , en examinant bientôt des
granges du XIIIe siècle.
La façade occidentale de
l'édifice de Vauclair étant celle que l'on aperçoit la première, nous allons
d'abord la décrire.
Le dessin ci-joint
représente cette façade dans tout son développement, abstraction faite d'un
corps-de-logis moderne qui est adossé vers le centre de la façade, en retour
d'équerre, entre les huitième et neuvième contreforts.
Le mur de cette façade est
consolidé par quinze contre-forts, ayant près de 1 m d'épaisseur et de saillie,
sur plus de 13 m de hauteur.
On remarque , entre les
quatrième et cinquième contreforts , une large porte voûtée en arc de cercle et
surmontée d'une autre porte plus étroite. À droite et à gauche de ces deux
portes, on aperçoit deux corbeaux , ou consoles, destinés à supporter un
charpente qui a complètement disparu.
Une autre porte, placée
entre les huitième et neuvième contreforts, s'ouvre sur un passage voûté qui
traverse tout le bâtiment. Un oculus
éclaire le passage formé par deux gros murs, et qui aboutit à la façade opposée. Nous avons marqué ce passage de la lettre P.
Nous ne parlons pas des autres portes du rez-de-chaussée, qui sont évidemment
modernes ou postérieures à la date de l'édifice, d'un certain nombre
d'années. Mais au premier étage,
indépendamment de la porte dont il a été question,
on peut en remarquer deux
autres: 1'une entre les cinquième et sixième contreforts, l'autre à l'extrémité
de l'édifice. Elles communiquaient à
des bâtiments, qui n'existent plus.
La façade orientale est
d'une conservation remarquable, et la pierre a gardé sa nuance claire et
jaunâtre.
C'est par suite de la
démolition assez récente de plusieurs corps-de-logis, qui venaient s'appuyer et
se réunir à celui que nous décrivons, qu'il est possible maintenant d'embrasser
un seul coup d'œil un edifice qui a plus de 70 mètres de long.
Quinze contreforts, tous
semblables entre eux, et que nous avons déjà vus à la façade de l'ouest,
soutiennent celle de l'est , divisée par cela même en quatorze travées qui
correspondent aux distributions intérieures.
Chacune de ces travées
présente, en apparence, une similitude qui disparaît après un examen
attentif.
L'écartement qui sépare les
contreforts est de 3m ,85c en moyenne ; l'élévation atteint la hauteur de
13m,50c en moyenne également , car le nivellement du terrain présente quelques
inégalités ; enfin le mur est formé de quarante-neuf ou cinquante assises de
pierres de taille soigneusement équarries et jointoyées. L'épaisseur de ce mur est d'environ 1m :
c'est aussi la saillie des contreforts.
Les voûtes intérieures ont donc pour point d'appui une muraille ayant 2m
d'épaisseur. C'est énorme déjà, et
cependant les constructeurs n'ont pas jugé cette force de résistance assez
considérable ; ils ont inventé un moyen ingénieux pour augmenter cette même
force de résistance, et qui consiste à charger le sommet de la muraille , dans
le sens vertical , d'une voûte ayant ses points d'appui sur la tête des contreforts
et agissant dans le sens opposé à la poussée des voûtes intérieures.
On reconnaît bien, dans
cette combinaison si simple , si vraie et pleine de bon-sens, le génie des
constructeurs du moyen-âge. Cette voûte
, formée par deux arc-doubleaux de 25c d'épaisseur chacun, ajoute donc à
l'épaisseur de la muraille et sur son sommet un poids considérable , puisque
cette muraille atteint ainsi la mesure de 1m,50c, sans compter la saillie de la
corniche qui supporte le comble.
Butées aussi fortement, les
voûtes intérieures n'ont pas bougé.
L'étage du rez-de-chaussée était éclairé par vingt-sept fenêtres
carrées, c'est-à-dire ayant leur quatre angles rectangulaires : elles ont 1m,9c
de large sur 2m,45c - de haut ; leur linteau est formé de claveaux
réguliers, encadrés dans une arcade ogivale.
Il est bon de remarquer, en passant, que les ouvertures carrées ont été
souvent usitées, comme à Vauclair, dans toutes les constructions civiles du
XIIIe siècle.
Entre les huitième et
neuvième contreforts, nous retrouvons l'arc de cercle de la porte du passage
déjà signalé. Au-dessus s'ouvre une
fenêtre ronde, surmontée d'une voûte construite pour supporter une sorte de
terrasse, se reliant aux bâtiments démolis et dont les traces se reconnaissent
à plusieurs places sur la grande muraille.
Dans la travée suivante , on
trouve une porte presque semblable, conduisant dans la grande salle A (V. le plan, p. 130 ), située
vers la partie sud de l'édifice. La
salle B, placée dans la partie opposée , est plus grande encore, car elle a
sept travées au lieu de six. Enfin , à
côté de cette seconde porte, on remarque un escalier en pierre conduisant par
vingt-quatre marches au premier étage.
Avant de pénétrer dans ces
différentes salles, faisons remarquer que, par une disposition que rien ne
saurait expliquer ni motiver, les fenêtres de ce premier étage, disposées trois
par trois, ne sont point symétriquement placées. Ainsi, presque toutes les fenêtres placées sous les
arcs-doubleaux sont mises un peu à gauche ou un peu à droite du milieu réel :
cette différence varie de 5 à 20 centimètres.
Autre irrégularité : les consoles ou corbeaux
de la grande corniche, au nombre de sept, entre chaque tète de contrefort , ne
sont pas disposées d'une manière égale entre ces têtes de contreforts.
On vient de voir le dessin
des façades; je donne ( p. 129) celui
des deux grands pignons qui les réunissent.
Celui du nord est merveilleusement conservé : il reproduit tous les caractères
de construction que nous avons observés sur la grande façade. - Il en est de
même pour le pignon du sud. Leur
élévation, depuis le sol jusqu'à la pointe du grand comble, peut être évaluée à
23m,76 ou 75c. Le contrefort central
n'a que 1m, 58c de moins ; son épaisseur est de lm, 20c.
C'est par la grande porte P,
ouverte dans la façade de l'ouest, qu'on pénétrait dans cette salle ; une
seconde porte (F), située dans l'angle près du passage central, établissait une
communication avec l'autre côté de la façade et aussi l'autre salle A. (Voir le plan, P. 130).
Cette salle B a 33m de long
sur 13 de largeur; elle est divisée dans son milieu par six colonnes et deux
consoles, ce qui fait dix travées et deux nefs parfaitement bien voûtées. L'autre salle n'a que six travées et elle ne
le cède en rien, comme beauté de construction, à la salle voisine ; toutefois
l'appareil des nervures n'est pas le même : ici elles sont carrément taillées
dans leur profil, tandis que partout ailleurs elles sont arrondies.
Les chapiteaux sont tous
d'un seul morceau, corbeille et tailloir: j'en présente le dessin le plus
généralement reproduit.
Les autres se rapprochent
des chapiteaux à feuilles plates et à crosses du XIIIe siècle. Leur diamètre inférieur est de près de 70c
pour les colonnes du rez-de-chaussée, et de 65- ou même 60 pour celles du
premier étage. '
La figure (p. 131) montre: 1° le
profil et la coupe des voûtes et des colonnes, depuis le terrain jusqu'au
comble ( le massif M s'élève pour soutenir le centre de la charpente); 2° la
coupe générale de l'édifice sur la longueur.
On comprend facilement
l'ensemble des deux étages, et on,peut reconnaître les distributions grandioses
de la salle immense du premier. Cette
salle, en effet, tient toute la longueur et toute la largeur de l'édifice: elle
a 66m, 20c de longueur sur 12m, 40c de largeur, et est divisée en deux nefs par
treize colonnes formant quinze travées égales entr'elles.
Cette magnifique salle est
éclairée par cinquante-deux fenêtres. C'est par l'escalier SS qu'on y
arrivait. Les rares communications
établies avec les bâtiments qui n'existent plus, sont indiquées par les portes
reproduites dans nos dessins.
La figure que voici montre la coupe des deux
étages, par le travers, et l'esquisse (p. 133) la disposition des pièces de la
charpente.
Bien que les voûtes du
rez-de-chaussée et celles du premier étage semblent être identiques, on
remarque pourtant plus de finesse dans ces dernières.
Enfin, le sol qui, au rez-de-chaussée , n'est simplement, quant à
présent du moins, qu'en terre battue, est formé au premier étage par des carreaux
de terre cuite , de différentes formes et dimensions. À diverses époques, de
notables parties de cet immense carrelage furent remaniées, et c'est à cette
circonstance tout accidentelle de restauration, que l'on doit la disparition
presque entière du carrelage émaillé, dont on ne retrouve plus que des
fragments çà et là.
Ces carreaux témoignent de
la richesse apportée à l'ornementation décorative de l'édifice, pour la salle
du premier étage.