Instructions de 
Sainte Madeleine Sophie à la Mère Galitzin

Avis de la petite servante de toute la Société à sa chère mère et fille Madame Elisabeth Galitzin, nommée visitatrice générale de la Louisiane en juin 1840.

 

Que le Sacré Cœur de Jésus soit votre tout et son divin Esprit votre guide. AMEN.

Premièrement, soyez fidèle au saint exercice de la présence de Dieu, la pratique du recueillement vous aidera à vous rendre cette vertu facile: donc, évitez autant que possible les paroles et discours tout à fait inutiles, la dissipation des sens et de l'esprit. La mission si importante qui vous est confiée exige de la tenue, de la prudence, surtout beaucoup de prévoyance; et pour agir habituellement avec cette sagesse et cette maturité de jugement que demandent les affaires dont vous êtes chargée, il faut absolument l'aide habituelle de Jésus Christ et il ne devra la donner qu'à une âme fidèle, dépendante de la grâce; ce qui sera nécessairement le fruit de la mortification et du renoncement habituel aux instincts de la nature, quels qu'ils soient.

2° Dans le maniement des affaires consultez; puis, ne vous décidez qu'après le temps de la réflexion. Surtout que l'on ne puisse deviner vos pensées et vos plans de conduite sur les choses et les individus avant le moment fixé pour les connaître.

3° Usez d'une extrême réserve envers tous pour ne pas dire ce qui doit être ignoré quelles que soient les questions que l'on vous adresse, et en général il y a toujours moins d'inconvénient de dire moins que plus. 

4°. Cédez facilement dans les choses indifférentes, et lorsqu'il faudra tenir à votre avis et le soutenir, faites-le avec modération et calme; il faut absolument cette manière de traiter avec les inférieures si nous voulons leur inspirer le respect et la confiance si nécessaires pour gouverner avec fruit. 

5° Si vous pouvez vous décharger entièrement du temporel et le confier à une économe capable comme madame Hardey et en route madame Dumont, vous ferez bien; vous aurez assez des autres branches de votre administration. 

6° Vous ne pouvez trop veiller en route à ce que toutes celles qui vous seront confiées gardent la modestie et la retenue avec tous les plus exactes. Qu'il en soit de même avec les ecclésiastiques, s'il s'en trouve, cet article est des plus importants, tant pour soi que pour l'édification, les séculiers sont si enclins à juger sévèrement tout ce qui est consacré à Dieu!

7° Ayez la même retenue si vous logez en route chez des séculiers, ne point s'y mettre à l'aise, être contente de tout et se retirer dans sa solitude dès que la bienséance le permettra. Je ne m'étends pas davantage sur ces règles du savoir-vivre et du bon ton, vous les avez d'autre part. 

8° Je ne puis trop vous recommander la discrétion envers tous, ne confiez que les choses et les affaires dont vous serez convenue avec votre supérieure générale. 

9° Suivez vos règles; par la prière obtenez d'en saisir toujours l'esprit, car dans le pays où vous êtes envoyée, vous ne pourrez toujours les suivre à la lettre; au moins ayez égard dans les modifications à y faire, soit pour vous, soit pour les autres, de vous rapprocher de cet esprit qui devra être votre boussole dappertutto [1] . 

10° J'ai parlé plus haut de la vertu de discrétion, de retenue que le succès de cette mission semble exiger plus qu'ailleurs. Il ne sera peut-être point inutile de préciser certaines imperfections naturelles qu'il serait plus parfait de sacrifier; quoiqu'elles ne rendent point coupable devant Dieu. Ainsi, être plus sérieuse qu'enjouée, éviter les ris [2] inutiles, parler peu avec tout le monde, et cependant mettre tous les cœurs à l'aise en les écoutant avec douceur, avec patience; témoigner à toutes le plus vif intérêt; mais sans familiarité; ce dernier petit défaut ferait un tort réel à la perfection de votre mission; car on n'obéit ordinairement avec soumission de jugement qu'aux supérieurs que l'on respecte et que l'on vénère à raison de leurs vertus plus visibles et plus parfaites. 

11° Lorsque quelque maladresse ou d'autres manquements de la part des inférieures vous contrarieront, gardez-vous de laisser paraître de l'inégalité ou de l'impatience; ces défauts gâteraient tout: les Américains sont de tous les peuples de l'univers avec les Japonais ceux qui gardent le plus de sang-froid dans les événements contraires; ils seraient donc très étonnés de trouver des personnes consacrées à Dieu moins parfaites que des séculiers et même des hérétiques: combien cette considération doit vous servir à surmonter ces faiblesses afin d'être plus utile à la gloire de Jésus en lui attirant des âmes par tous les moyens qui seront en notre pouvoir.du Sacré-Coeur ont acheté un terrain près de Varsovie (aujourd'hui Varsovie-Grabow). Elles avaient le projet d'y construire une grande école avec un internat. Mais la guerre a éclaté en 1939 et seule une petite maisonnette de jardinier y a été construite. Durant l'insurrection de Varsovie, les soeurs y ont trouvé un très modeste abri car la maison des soeurs de Varsovie avait été complètement détruite.

12° Si vous avez l'avantage d'avoir pour socius au moins pendant le voyage Madame Bathilde, laissez-lui entièrement le soin et la direction des finances, je suis sûre que cette mère ne fera rien d'essentiel sans vous rendre compte et tout à fait de concert avec vous.

13° Soyez très fidèle à vos exercices de piété, à la pratique de la sainte présence de Dieu, mais faites-le plus par le cœur que par l'esprit; le sensible n'est point nécessaire; la foi, la tendance de l'âme entière, suffit. 

14° Je n'ai plus rien d'essentiel à ajouter aux avis si sages et si éclairés de notre Saint Père [3], si vous les pratiquez, votre mission sera bénie du Cœur divin de Jésus, je n'en doute pas. 

15° Prenez pour texte de vos exhortations l'explication des règles et des Constitutions, pour ces pays attachez-vous à l'esprit; vous pourriez puiser pour vous aider dans les cahiers que vous emportez, mais vous passerez sur quelques articles de détail trop sévères peut-être pour ce pays de liberté. Vous ferez bien d'insister sur les devoirs des Maîtresses envers les Elèves, c'est alors que vous aurez besoin de faire lire et d'expliquer ce que nous avons de préceptes à ce sujet: Vertus d'un bon Maître, conférence du P. Druihlet. Les ouvrages de Madame d'Avenas pourraient être propres à ce pays où les Maîtresses ont peu de temps pour étudier. 

16° arrêt ici Madame Duchêne insistera peut-être pour aller finir sa vie remplie de mérites chez les Sauvages où ces gens lui offrent trois cabanes; consultez l'Evêque, les Pères, si cette proposition peut s'exécuter et si vraiment cette Mère pourrait y faire du bien, il lui faudrait une compagne et une soeur d'un âge très mûr et d'une mortification peu commune, car que de privations les attendraient! Bien entendu que l'on suppose avant tout, des prêtres missionnaires pour les aider et les secourir en cas de maladie ou de mort. 

17° A ce sujet, un mot de la sainte Pauvreté dont je n'ai point parlé parce que toute la perfection de cette vertu, si chère aux épouses du S. Cœur, est recommandée et appliquée dans les règles; cependant je ne puis me dispenser de vous la recommander instamment afin d'en inspirer l'amour et la pratique dappertutto [4]. C'est essentiel en Amérique, surtout lorsque l'on s'établira aux Etats; mais il y faudra plus qu'ailleurs admettre et tolérer une sorte de luxe pour ce qui tiendra aux élèves, et cependant tenir dans l'intérieur à la Pauvreté encore plus, afin de se défendre de la tentation. Saint Michel était sur ce pied du temps de la Mère Eugénie; tenez-y pour toutes fortement.

[Suivent ensuite des instructions concernant l'action de l'Assistante Générale à Lyon où elle se trouve et à Paris, d'où elle partira pour la Louisiane. Nous reprenons le texte de cette longue lettre dans sa dernière page.]

Que Jésus soit à jamais notre seul et unique Bien!

Tâchez que la petite maison de Lyon donne quelques exemplaires de nos méditations pour chaque maison de la Louisiane. Jésus les en récompensera. 

Je prierai Jésus pour vous, ma mère et fille, tous les jours de ma vie surtout après la sainte communion, je le conjurerai de vous donner son divin Esprit et une entière docilité à ses inspirations. 

Dites à toutes celles de la mission d'Amérique combien elles me sont chères, et ce que j'ai souffert de votre retard. Je n'ai pu faire que pour elles le sacrifice de mon bras droit et qui me devenait si nécessaire dans ce moment où je vieillis et où les infirmités commencent. Qu'importe! s'il doit en résulter, comme j'en ai la confiance un bien réel pour cette mission si chérie, je serai bien heureuse d'y contribuer par quelques sacrifices qui me seront doux en pensant que toutes en profiteront. Priez et faites prier pour moi, chère Elisabeth, et s'il plaît au Divin Maître de nous réunir encore un moment dans ce monde, que ce soit pour nous réjouir du succès que sa bonté aura accordé à votre zèle et à vos travaux, et pour le bénir aussi des croix que sans doute nous aurons eu en même temps à recueillir; priez pour que je me sanctifie et qu'à votre exemple je ne cherche que lui. Je conjure le divin Cœur de vous bénir, de vous garder de tout danger. Amen! 

Lorsque vous serez embarquée nous ferons dire quelques messes à Notre Dame de Lorette pour vous mettre toutes sous la protection de cette Mère de Jésus.

Votre mère dévouée 
Barat Sup^re G^le et 
Votre petite servante 

Rome le 16 juin 1840

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[1] Dappertutto : en italien, surtout. Pour insister avec force, la Sainte Mère utilise facilement ce mot. Elle parlait l'italien qu'elle avait appris, dans son adolescence à titre de récréation ! et qu'elle  pratiquait dans ses fréquents séjours à Rome.

[2] ris : C'est écrit au XIX° siècle .Aujourd'hui, nous dirions "les rires"

[3] Notre Saint Père: sans doute ne s'agit-il pas ici du pape, mais d'un père spirituel vénéré.

[4] Dappertutto : en italien, surtout. Pour insister avec force, la Sainte Mère utilise facilement ce mot. Elle parlait l'italien qu'elle avait appris, dans son adolescence à titre de récréation ! et qu'elle  pratiquait dans ses fréquents séjours à Rome.