Les tribunaux de Tartuffe

170 pages

 

Premier chapitre

 

Toutes ressemblances à des faits ou à des personnages ayant réellement existés ne seront pas purement fortuites.

 

Durant mes longs soupirs, je lève souvent les yeux vers le ciel de manière à implorer l’aide de personnes susceptibles de devenir mes anges gardiens. Je pense à ma mère, à mon père ou encore à une dame qui ne demandait rien pour nous dispenser ses dons de la voyance. « Christian, m’eut dit un jour cette dernière en aparté de ma famille sans doute pour ne pas provoquer une risée générale, tu es la réincarnation de Victor Hugo. » Imaginez ! Et elle poursuivit : « Tu as une difficile mission à accomplir, mais je ne peux pas te dire laquelle parce que tu es trop jeune pour l’entendre. Tu ne le supporterais pas. » A l’époque j’avais 18 ou 19 ans, je ne me souviens plus. Sur le moment cela m’avait travaillé un peu la tête, sans toutefois y donner le moindre crédit. J’avais bien commencé à écrire des scénarii de fiction dans l’espoir de réaliser des films, puisque le cinéma est ma première passion artistique, mais jamais il ne m’était venu à l’esprit de commettre un texte littéraire, une chose pour laquelle je ne connaissais rien et qui était vraiment très loin de mon univers. Conclusion, le temps effaça cette déclaration… Je l’oubliai… Mais bizarrement cette histoire refis surface il n’y a pas si longtemps, lorsqu’une fois après avoir levé les yeux vers la haut, mon regard tomba sur l’étagère où une partie de mes classeurs y sont rangés, où il y a la totalité de mon combat sociale et juridique, classé par date, tel un film chronologique en forme de bilan pour le moins désastreux à l’approche de ma cinquantaine, un pic dressé comme un mur et dont l’escalade est loin d’être achevée ! Cette étrange déclaration remonta donc à la surface de ma mémoire et elle me parut aujourd’hui claire comme une eau de source. Oui, si à l’âge de 18 ou 19 ans l’Etat Belge m’avait présentée l’addition calculée sur les multiples plateformes sociales, culturelles et politiques qu’il allait mettre en place dans les années futures, je ne l’aurais sans doute pas supportée. Par contre, comme les épreuves surgirent les unes après les autres, je me suis mis à les combattre becs et oncles avec la volonté de les vaincre, sinon de les dénoncer.

 

Tel un cadeau de Noël, la convocation de l’Office Nationale pour l’Emploi, désignée plus couramment ONEM, mais qui dans une fiction française pourrait aussi s’appeler ANPE, était arrivée dans ma boîte aux lettres le 24 décembre 1996. Je devais me présenter au lendemain du second jour de l’an neuf à huit heures trente du matin. Le but annoncé dans la lettre était pour le moins clair, justifier ma situation familiale et mes droits aux allocations de chômage. Un étrange pressentiment me disait que les ennuis allaient débuter. En effet, les dates du 24 décembre et du 3 janvier ne me disaient rien qui vaille. Une petite voix intérieure me conseillait dans le creux de l’oreille de prendre contact avec mon avocat habituel afin de récolter un maximum d’informations juridiques. Mais le répondeur de mon conseil m’informa que le bureau était en congé à l’occasion des fêtes de fin d’année et n’ouvrirait que le 5 janvier. Du coup, comme me le permettait le règlement inscrit au dos de la convocation, je demandai le report de l’audition afin de pouvoir m’informer sur les droits sociaux avant l’entretien, puisque finalement, je ne connaissais rien en la matière et un inspecteur aurait pu me dire ce qu’il lui chantait sans que je ne puisse contredire sa version de la loi, voire même « la » version de « sa » loi, ce qui s’avéra par la suite plus juste.

 

Au cours de l’entretien avec mon conseil habituel, lequel connaissait plutôt bien mon état de famille pour avoir jadis traité un dossier en faveur de la personne avec laquelle je formais un ménage de fait, nous avions mis tout à plat sur le bureau et décortiqué ma condition familiale de manière à déceler une quelconque faille susceptible de me valoir des soucis dans la perception de mes allocations de chômage. Selon mon conseiller, au regard des lois en vigueur, malgré une composition de famille très particulière, rien de fâcheux ne devait et ne pouvait m’arriver.

 

Cela dit, les tenants et les aboutissants de l’affaire étaient pour le moins complexes et lors de cet entretien il ne fut pas inutile de redresser le portrait de l’état des lieux dans lequel je me trouvais quelques années plus tôt et qui me valait désormais d’être dans une position si peu commune à la majorité des chômeurs, que l’administration de contrôle cru sans nul doute avoir mis la main sur l’un des plus grand fraudeur de l’année. Mieux, sur un maquereau doublé d’un escroc.

 

Marié en Thaïlande en avril 1980 avec une femme pour qui j’aurais vendu mon âme au diable, tant mon amour était grand et aveugle, une passion sans fond et dévorante qui ne pouvait que me mener à l’échec, je me réveillai six mois plus tard en Belgique avec une épouse qui se prostituait dans un bordel à La Haye, capitale des Pays-Bas. Fou de douleur et désespéré face à une telle conjoncture, d’autant plus qu’elle n’avait pas du tout besoin de faire le tapin pour subsister puisque mon salaire de guide touristique dans une grotte à Sougné Remouchamps dépassait de moitié le minimum légal, je m’étais assigné comme objectif de la sortir du milieu dans lequel elle avait plongé par le biais d’une récente connaissance demeurant à Amsterdam. J’avais contacté en vain toutes les associations humanitaires. Rongé par la souffrance, je fis une dépression nerveuse et mon contrat de travail à durée déterminée ne fut pas renouvelé l’année suivante. Lors d’un entretien téléphonique avec la ligue des droits de l’homme, une juriste eut finit par me dire : « Monsieur, si vous voulez vraiment aider votre épouse, ne divorcez pas. En lui rendant la liberté, vous donneriez au milieu toute les cartes pour faire d’elle ce qu’il veut. Il n’y a rien de plus gênant qu’un mari ou de la famille susceptible de la rechercher. Cela dit, ne faites pas non plus trop de pression, sinon elle va trinquer à mort et recevoir des coups. Dans ce cas, elle finirait par vous attribuer le rôle du méchant puisque ces ennuis et les violences subies seraient les conséquences directes de vos actes. »

Des traces de violences physiques qui furent constatées quelques mois plus tard sur son corps par un agent de police de la localité lorsqu’elle vint accompagnée d’un souteneur à l’administration communale pour opérer son changement de domicile en faveur de la Hollande ; une modification de résidence qu’elle ne daigna pas me communiquer lors de ses fréquents retours au bercail et que je découvris ce fameux 3 janvier 1997 par le biais de l’inspecteur de l’ONEM.

 

Suite à mes nombreuses missives adressées aux autorités hollandaises et à l’ambassade de Belgique réclamant à corps et a cris l’une ou l’autre information, je reçus tardivement un jour du mois de novembre 1981 une lettre de la police de la capitale me signalant que le 13 mai de la même année mon épouse avait été expulsée par avion vers la Belgique et qu’elle était désormais interdite de séjour sur le territoire des Pays-Bas. Cela signifiait clairement que depuis cette date elle était sensée ne plus y avoir un domicile dans ce pays, être présente sur le territoire belge, sans une rémunération connue ou déclarée, donc sous ma protection financière et sociale, selon le régime de notre mariage établi sous de la communauté des biens.

 

Dans le courant de cette même année 1981, la totalité des chômeurs reçurent dans leur boîte aux lettres un formulaire intitulé Déclaration de la situation personnelle et familiale. Ne sachant pas comment le remplir pour coller au plus près de la réalité, je m’étais rendu au bureau de l’ONEM afin d’obtenir une information. Après avoir exposé mon cas, la responsable en la matière, une certaine Madame N., me confirma que je devais inscrire mon épouse comme étant à charge, puisque selon le document de la police hollandaise elle était officiellement sur le territoire Belge, sans le moindre revenu et qu’elle regagnait régulièrement le domicile conjugal. Effectivement, mon épouse revenait tous les deux ou trois semaines à la maison et demeurait quelques jours avant de disparaître à nouveau durant deux ou trois semaines, une conjoncture que j’acceptais pour conserver le cordon ombilical, même si nous faisions chambre séparée et que je ne posais plus de question sur les sujets épineux. En clair, l’appartement dans lequel je vivais était resté son port d’attache, j’étais toujours l’épaule sur laquelle elle pouvait compter en cas de coup dur. D’ailleurs, il lui arrivait souvent de me contacter pour me lancer des appels à l’aide, mais vu qu’elle refusait de me dire où elle se trouvait, je ne pouvais évidemment rien faire. Mais cela m’angoissait parfois au point de me rendre auprès de la police pour conter l’appel. Et l’agent de service m’envoyait sur les roses.

 

Au cours des années suivantes, les contacts furent moins nombreux mais jamais coupés, jusqu’en 1992 où elle revint encore trois à quatre fois l’année. Elle apparaissait durant la nuit pour ne pas être aperçue par le voisinage, demeurait cloîtrée dans l’appartement, ne mettait pas le nez dehors, puis repartait deux jours plus tard, toujours la nuit pour ne pas être vue. Je n’osais rien dire à ma propre famille, ni même à ma maman, de peur de me faire passer pour un con. Je l’ai vue pour la dernière fois en juillet 1992, lorsque je lui ai dit de ne plus revenir parce que j’allais refaire ma vie avec une femme que j’avais rencontrée lors d’un voyage au Brésil en 1988. Le nouvel espoir d’un bonheur…

 

Et ma situation se compliqua. La femme avec qui je me mis en ménage est donc brésilienne, séjournant avec un visa permanent en bonne et dure forme et avec l’autorisation du Ministère des Affaires Économiques pour ouvrir un bureau de traduction et d’interprétariat en portugais sous le régime de travailleur indépendant. Je me précipitai donc chez mon avocat pour connaître mon nouveau statut et à mon grand étonnement celui-ci m’annonça que ma structure familiale restait inchangée vis-à-vis de mon épouse légitime, puisqu’elle était toujours sensée être sur le territoire Belge, sans revenus, à ma charge financière, sous la protection de ma sécurité sociale, que je payais et que par conséquent la présence de la personne indépendante ne modifiait en rien ma condition familiale, d’autant plus que je n’étais pas en mesure d’apporter une aide appréciable au travailleur indépendant, vu que je ne parlais pas le portugais. Et de me citer l’article 50 de l’A.R. du 25.11.1991, qui stipulait que : « la déclaration de la cohabitation n’est pas requise lorsque le chômeur n’est pas en mesure d’apporter une aide appréciable au travailleur indépendant avec lequel il cohabite. » En d’autres termes, je n’avais pas à notifier la présence de cette dame sur le fameux formulaire dressant le portait de famille, puisque je ne pouvais pas lui apporter une quelconque aide dans son activité. D’autant plus que le 4 février 1992 la Cour d’Appel de Liège, 5éme Chambre, mettait en évidence que : « il convient de déterminer si la personne concernée, et pas un être désincarné, est ou non en mesure ou en état de prêter en la cause au travailleur indépendant avec qui elle cohabite, non pas n’importe quelle aide hypothétique, imaginaire, mais une aide appréciable en se tenant aux conditions concrètes dans lesquelles se trouve le travailleur indépendant (importance du commerce, possibilité d’aide, etc.) et la personne intéressée (formation, santé, présence d’enfants, etc.) ».

 

Rassuré, mais par simple précaution je me rendis tout de même au guichet de la caisse de paiement intitulé la CAPAC afin de connaître leur avis, et suite au portrait que je leur ai dressé, la réponse de l’employé fut la même que celle de mon avocat. Du coup, lors des déclarations annuelles je ne notai pas la présence de la personne avec qui je cohabitais. Je percevais en toute légalité une allocation de chômage de chef de famille.

 

Bien entendu, lors de l’audition menée par l’inspecteur de l’ONEM, je compris très vite que celui-ci ne voyait pas du tout la chose de la même manière que moi et mon avocat. Dans un premier temps, il m’accusa d’avoir dissimulé le fait que mon épouse légitime ne vivait plus chez moi depuis 1982, jour où elle avait opéré son changement de domicile. Comme je l’ai dévoilé plus haut, ce fut une découverte pour moi ! Cependant, l’action d’avoir changé son domicile ne prouvait évidemment rien, puisque le domicile d’une personne ne détermine pas le lieu où elle vit effectivement et c’est précisément le lieu d’existence qui était pris en compte par l’administration pour calculer le taux de l’allocation. Pour preuve, il suffisait qu’une personne ayant son domicile établi ailleurs mais qu’elle dorme dans le lit occupé par une autre personne, de sexe féminin ou masculin, pour qu’elle soit considérée comme cohabitante ! Ma réplique eut l’art d’irriter l’urubu de service qui m’accusa de tous les maux de la terre et de vider à moi tout seul les caisses de l’Etat. Les accusations s’enchaînèrent les unes derrière les autres. Il y eut bien entendu la plus effrayante, celle d’être considéré comme un affreux bonhomme ayant des revenus occultes en provenance de la Hollande, raison pour laquelle je ne divorçais pas de mon épouse légitime qui se prostituait. Il insinuait une activité de proxénétisme, car enchaîna-t-il : « un homme honnête divorcerait d’une prostituée ». Pire, il m’accusa d’avoir contracté un mariage blanc en 1980 et de n’avoir jamais vécu avec la « Thaïlandaise », eut-il dit avec dédain, dans l’appartement dans lequel je vivais. « Le rapport de police le confirme », ajouta-t-il en brandissant un procès-verbal stipulant que j’y étais domicilié seul depuis 1981. Je n’en cru pas mes oreilles ! Il me fallut encore lui expliquer que lors de notre retour de Thaïlande, nous avions établi notre domicile dans la résidence de mes parents, mais que deux mois plus tard nous nous étions installés dans un appartement que maman louait sans y avoir élu notre domicile. Que, en 1981, suite à une inspection de routine plutôt musclée avec un premier contrôleur qui m’accusait de brouiller les pistes en n’établissant pas mon domicile dans le lieu où je vivais vraiment, je transférai donc celui-ci dans cet appartement. Mais étant donné que ma femme était souvent absente et qu’elle avait l’art de fuir tout ce qui était officiel, surtout les flics, ce qui était vrai du reste, je m’étais présenté seul à l’administration communale pour déclarer le nouveau domicile conjugal, expliquant à l’employée la difficulté que j’éprouvais de me présenter avec ma femme. Suite à quoi, l’employée de service m’assura que le changement serait opéré pour les deux, vu que j’étais le chef de famille.

 

Mais face à l’inspecteur de l’ONEM, je compris que le domicile de mon épouse était bel et bien resté chez mes parents jusqu’en 1982, date à laquelle elle se présenta au bureau de la population à l’administration communale en compagnie d’un homme et d’une autre femme asiatique. La police appelée au guichet par le simple fait que jadis, inquiet de ne pas l’avoir vu revenir comme prévu j’avais fait une déclaration de disparition, avait constaté de nombreuses traces d’ecchymoses sur son corps. Interrogée, elle avait nié les contraintes qu’elle subissait. Au cours du contrôle, le type qui l’accompagnait avait présenté une carte de la police hollandaise sous prétexte qu’il la protégeait du mari jaloux, de moi en l’occurrence, hors il s’avéra plus tard, sur base de la plaque d’immatriculation de la voiture, qu’il s’agissait d’une fausse carte, d’un faux flic, puisqu’en réalité c’était le fils du patron du bordel où exerçait mon épouse. Tout ceci pour dire qu’il y a un mystère sur l’inscription officielle du domicile en Hollande, puisqu’à ce moment-là nous sommes en avril 1982 et qu’en date du 13 mai 1981 elle fut expulsée et interdite de séjour en Hollande ! Le mystère demeure jusqu’à ce jour ! Peu enclin à la naïveté, je compris qu’il y avait des protections au sein même de la police hollandaise. Mais l’ONEM n’avait cure de tout cela !

 

Troisième accusation, manière de charger le mulet, mon inertie face à la recherche d’un emploi sérieux, car avoir rédigé quatre romans allant de 180 à 300 pages et rechercher activement un éditeur, malgré la nombreuse correspondance attestant mes déclarations et une attestation de l’ONEM me reconnaissant une activité artistique depuis 1978 lors d’un contrat d’édition pour la publication du recueil de poème Á fleur de peau…, ce n’était pas considéré comme une recherche d’emploi, mais un hobby de fainéant qui ne rapporte rien et ne mène nulle part, sauf à profiter du système. Je lui glissai pourtant sous le nez une lettre du Directeur Littéraire de l’une des maisons d’éditions les plus prestigieuses de Paris, Grasset pour ne pas la citer, et après une rapide lecture il me répondit que lui aussi pouvait écrire cent lettres de ce genre. Non seulement il injuriait l’homme nommé Yves Berger sur sa moralité, mais il dénigrait encore le génial écrivain sur ses capacités professionnelles, puisque en définitive ce pauvre type avait la prétention de se hisser au même niveau que le signataire de la lettre.