Journal d’un écriveur

1995 - 2000

 

206 pages

           Lundi 20 mai 1996

           Il fait bon jardiner au soleil. Je viens de tondre la pelouse, j’enlève les mauvaises herbes du parterre empli de fleurs, je sue comme un bœuf... À un moment donné on s’approche de moi avec un papier fax entre les mains. Réponse d’Yves Berger : « Pardon de ce silence... Encore quelques jours... » Oui, à ce moment-là j’ai éprouvé une énorme joie intérieure ; j’avais trouvé un ami pour me soutenir. Mais pourquoi ai-je aussi inscrit un sourire triste au bord des lèvres ?

 

           Jeudi 22 août 1996

           Une lettre signée par Yves Berger. Résumé : « Je me suis attaché à ce « bouddha d’albâtre » et il faudrait bien, n’est-ce pas, que Grasset vous publie... Pour moi, ce « Bouddha d’albâtre » est ce que vous avez fait de mieux. Patientez encore 5 semaines. Amitié. » Il y a de l’espoir ! D’autant plus que mon horoscope prédit des contacts avec l’étranger, en particulier sous la forme de contrats sérieux, et des rapports avec le monde de l’édition.

 

           Mardi 20 janvier 1997

           Oui, vers dix heures, j’étais toujours au lit. On répond pour moi. Au téléphone, Yves Berger se présente et aussitôt demande :

« Comment va-t-il ? »

Réponse : « Oh ! Monsieur, vous ne savez pas comme cela va lui faire plaisir de vous entendre, il passe un moment très difficile, son moral est au plus bas. Il vous admire vraiment beaucoup. »

Yves Berger : « Merci, de me dire cela, vous êtes très aimable »

Puis à moi il me demande :

« Comment est votre situation là-bas ? »

Je lui explique que je suis menacé d’être exclu du chômage parce que je suis resté fidèle à l’engagement de mon mariage, une hérésie, que l’administration invoque même une possible peine de prison, et que je serais bientôt appelé à comparaître devant le Tribunal du Travail. Yves Berger me dit alors :

« Dites à votre avocat que je suis disposé à venir témoigner de votre honorabilité, car malgré mon humble personne, ma fonction peut impressionner les Jurés. Puis envoyez-moi votre curriculum vitæ et tenez-moi aussi au courant de l’évolution de l’affaire, je ne peux pas vous laisser dans cette situation. »

 

           Vendredi 26 septembre

           Alors que je faisais les courses au supermaché, Yves Berger a tenté de me joindre par téléphone. Ben voyons ! Il est toutefois convenu que je l’appelle lundi dans le courant de la matinée.

 

           Lundi 29 septembre

           À vrai dire, le coup de téléphone de vendredi a hanté mon esprit tout le week-end. Avant de composer le numéro d’appel de chez Grasset, j’ai prié. Yves Berger consacra le début de l’entretien au contenu de ma lettre (j’avais cru qu’il m’avait contacté pour me fustiger), mais non, c’était pour me dire qu’il n’était pas un dictateur au sein de la maison d’édition, qu’il respectait les avis de ses collègues, qu’il ne comprenait pas très bien pourquoi Acte Sud ne m’avait pas publié s’il avait émis l’avis repris sur la lettre. Je lui ai répondu que moi non plus je ne comprenais pas. Suite à quoi, il m’a demandé de lui envoyer de nouveau « Le bouddha d’albâtre » et de revoir les premières pages de « Palmeraie triste », un manuscrit que j’ai en route. Honnêtement, je n’y crois pas du tout, mais essayons quand même !

 

           Mercredi 3 juin 1998

           Yves Berger me téléphone pour me signaler que ce jeudi 4 et vendredi 5 juin il sera respectivement à Reims et à Nancy pour la promotion de son dernier roman. Puis il me dit : « Vous écrivez que vous ne serez jamais édité chez Grasset, mais vous écrivez pour Grasset. »

 

           Mardi 27 juin 2000

           À neuf heures du matin, la sonnerie du téléphone tinta déjà. Yves Berger me téléphona de Santa Fe, des États-Unis des Amériques, pour me signaler qu’il séjournait là-bas depuis 15 jours afin d’assurer la promotion de son livre Santa Fe traduit en anglais et qu’il revenait à la fin de cette semaine. Comme le décalage horaire l’empêchait de dormir (là-bas il était 4 heures du matin) il me téléphona pour me rassurer, pour me signaler qu’il avait rentré un rapport de lecture extrêmement favorable pour que le roman « Palmeraie triste » soit édité, qu’il avait encore demandé au Comité de Lecture d’attendre son retour pour prendre la décision et qu’il me téléphonerait sans faute avant le dimanche 9 juillet pour me communiquer la réponse. De quoi avoir les jetons ! Bientôt je serais enfin fixé sur mon avenir. Et si le résultat n’est pas à la hauteur de mes espérances, je chercherais sans doute à me consoler en me disant que durant quelques années Yves Berger porta sur moi une attention toute particulière. Néanmoins, je resterai frustré jusqu’à la fin de mes jours. Car, je n’oublie pas ce qu’André Blavier m’a dit un jour après la lecture du tapuscrit « Les matins secs » : « Vous n’êtes pas encore un écrivain raté ! » En résumé, la carrière d’un homme peut tenir à la réponse d’un Comité de Lecture. Mais la règle semble être la même pour tout le monde : ça passe ou ça casse ! Bref, d’ici quelques jours, je serais peut-être un écrivain raté, aigri, un écriveur à perpétuité.

 

           Samedi 19 août

           Hier, après deux appels téléphoniques de ma part, je reçus un coup de fil d’Yves Berger qui me demanda de lui expédier en urgence un nouvel exemplaire de mon texte « Palmeraie triste » de manière à transcrire au net les corrections difficilement lisibles qu’il a notées sur l’exemplaire qu’il possédait ; ce que je fis sur l’heure avec la plus grande allégresse. Il m’assura que je recevrais les corrections dans la semaine du 28 août et que ma longue attente arrivait à son terme. Je décidai de faire silence radio à ce sujet auprès de nos amis, qui commencent à douter de la véracité de mes propos.

La petite notoriété de l’auteur ne permet pas une édition traditionnelle pour ce récit particulier. Il est seulement disponible via une commande chez un libraire, chez l’éditeur ou via la plateforme Amazon.