Israël

Conférence donnée par

Jacques Guggenheim

le 3 décembre 2000 à Arlon Belgique

Résumé par Philippe Franken

Juif de naissance, Jacques Guggenheim a 11 ans, en 1942, lorsque sa famille se réfugie en Suisse pour échapper à la persécution nazie. Hébergé plusieurs étés durant par des chrétiens de la région de Neuchâtel, il apprend alors à connaître l’évangile. Mais deux problèmes se posent à lui. D’abord les chrétiens ne lui ont-ils pas, d’une certaine manière, volé l’héritage juif de l’Ancien Testament? Ensuite comment pouvait-on expliquer l’événement inouï de la Shoah, dans une Europe couverte de croix et de clochers? Ayant par la suite reconnu en Jésus-Christ le Messie et son Sauveur, il fit de ces questions le point de départ de sa réflexion sur l’annonce de l’évangile au peuple juif.

Un premier point que Jacques Guggenheim cerne avec précision est l’importance de ménager la sensibilité juive pour faire passer efficacement le message. S’il est certes légitime et même biblique d’ « exciter la jalousie des Juifs » par notre zèle pour l’évangile (Romains 11:3), comme le firent à l’égard de Jacques Guggenheim (J.G.) ses hôtes Neuchâtellois, et si en aucun cas le message évangélique ne peut être tronqué ou déformé (Colossiens 1:6-9), il reste qu’une grande prudence s’impose dans le choix des mots. Ainsi le terme de ’conversion’ évoquera-t-il immanquablement pour un Juif l’idée de reniement, le vocable de ’confession des péchés’ sera-t-il associé à l’image d’un confessionnal et le mot même Église sera-t-il compris non dans son sens chrétien de ‘Corps de Christ’, mais dans celui de l’institution humaine, qu’elle soit Catholique ou Protestante. Sur tous ces sujets, il s’agit de garder à l’esprit le lourd poids dont pèse l’histoire sur les rapports entre les juifs et notre civilisation dite chrétienne. Ensuite, il s’agit de se mettre au clair sur ce qu’est réellement le peuple juif. Jacques Guggenheim nous met en garde qu’il n’est ni ce que nous croyons, ni ce que nous voudrions qu’il soit. Tout d’abord se pose la question - ô combien délicate - de savoir qui est réellement Juif. La plupart des autorités laïques et religieuses juives s’accordent à regarder comme juif l’enfant d’une mère juive et converti au judaïsme, à quoi la loi de l’État d’Israël ajoute que celui-ci ne peut s’être converti à une autre religion - clause visant à exclure les juifs messianiques, convertis au christianisme. Mais encore se pose la question de la définition de la ’mère juive’. La réalité des populations tant Ashkénazes que Sépharades nous montre en effet l’importance du métissage qui s’est opéré au cours des siècles entre les juifs de la diaspora et les autochtones des pays où ils s’étaient réfugiés; définir l’authenticité ethnique juive est dès lors bien hasardeux … Le chrétien sera enfin amené à méditer les paroles de Paul en Galates 3:28-29, affirmant qu’il n’y a plus en Christ « ni Juif ni Grec » …

D’un point de vue religieux également, la réalité du Judaïsme est bien plus compliquée et floue que nous aimerions le croire. Les synagogues peuvent se diviser, dans les grandes lignes, en quatre catégories: libérales, officielles, piétistes ouvertes et piétistes fermées, chacun de ces groupes se divisant lui-même en une multitude de dénominations. Quant au corps de la doctrine, il nous faut savoir qu’à la tradition écrite (la TaNaCH) s’ajoutent les commentaires rabbiniques et le Talmud (la loi orale) et la Kabbale, tradition ésotérique et mystique largement teintée, en particulier dans le Zokar, d’influences strictement non-Bibliques comme la doctrine de la réincarnation!

Du point de vue de la pratique religieuse, nous apprenons que seuls 20% des Juifs français se déclarent pratiquants, alors que seuls 13% fréquentent la synagogue à la fête de Kippour. Quant aux convictions juives actuelles concernant le retour du Messie, elles ont de quoi nous surprendre, seule une faible minorité de Juifs attendant encore un Messie personnel au sens strict. Pour la plupart, le Messie est devenu une abstraction, identifiée tantôt au Peuple d’Israël souffrant à travers les âges tantôt à un âge d’or à venir, tantôt encore à une pluralité de guides spirituels ayant vécu à diverses époques.

D’un point de vue eschatologique enfin, Jacques Guggenheim invite les chrétiens à faire preuve de beaucoup de circonspection quant au rôle historique de l’actuel État d’Israël et à l’interprétation des prophéties relatives au rétablissement d’Israël. Devant ces sujets qui divisent inutilement l’Église, il nous rappelle l’avertissement du Seigneur à ses disciples en Actes 1:7: « Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ». Ainsi que le commandement qui suit: « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre ». Nous devons comprendre par là que le peuple juif a besoin, au même titre que les autres peuples, d’entendre annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Il n’y a pas pour lui une rédemption particulière, autre que celle qui nous fût réservée, car « tous, Juifs et Grecs, sont sous l’empire du péché » (Romains 3:9) et nous savons qu’hormis Jésus, « il n’y a sous le ciel aucun nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Actes 4:12). Le message du salut est donc le même pour les Juifs et les païens, comme il reste le même aujourd’hui qu’autrefois, et c’est ce message que nous devons prêcher.

Réalisant cela, nous en revenons aux sources mêmes du christianisme, telles que nous les découvrons dans le livre des Actes. Mais nous y apprenons aussi la difficulté de la tâche et la transformation que Dieu doit opérer dans les cœurs pour faire passer ceux des Juifs qui ont reçu Christ de la stricte observance de la loi mosaïque à l’adhésion à la discipline de Christ, avec ce que cela comporte d’abandons, comme celui des prescriptions alimentaires (Romains 14, Galates 2, Actes 15) ou de la circoncision - si ce n’est celle du cœur (Romains 2.29); ou encore le renoncement aux privilèges de la chair et de la naissance (Philippiens 3.4-9) et l’acceptation de l’égalité entre frères Juifs et païens (Actes 10,11). Se basant encore sur le fondement biblique du livre des Actes, Jacques Guggenheim entreprend alors de nous dépeindre le mouvement juif messianique actuel, dans sa richesse et sa diversité, mais aussi dans ses contradictions, ses divisions et quelquefois ses dérives ou ses excès, qui ne sont pas sans rappeler ceux évoqués en Philippiens 3.2-13. On compte à l’heure actuelle quelques 190 milles Juifs qui, de par le monde, ont reconnu en Jésus leur sauveur: 130 mille aux U.S.A., 5 à 6 mille en France, 3 mille en Israël. La plupart sont membres de diverses communautés évangéliques, tandis qu’une invite à prier pour que Dieu suscite des ouvriers à mène de prendre aujourd’hui la relève du mouvement, et pour que les Juifs messianiques n’oublient jamais que leur Père est dans les cieux, et qu’ils oeuvrent à oublier leurs différents. En définitive, c’est à une remise en question souvent dérangeante, parfois douloureuse mais assurément nécessaire de nos attitudes concernant le peuple Juif que Jacques Guggenheim nous a conviés. Assorti de cet avertissement issu de Jérémie 8.11 lorsque le prophète déclare: ils passent à la légère la plaie de la fille de mon peuple. C’est qu’on ne peut entreprendre avec légèreté ou dilettantisme de soigner les plaies d’Israël; c’est une tâche sérieuse requérant connaissance, préparation, habileté, dévouement et, bien sûr, l’aide du Seigneur.

Résumé par Philippe Franken