B. Les différents types d’éthique dite normative
C. Les grandes subdivisions de l'éthique
- l’éthique personnelle:
- l’éthique sexuelle:
- l’éthique des affaires:
- l’éthique professionnelle:
- l’éthique biomédicale ou bioéthique
- l’éthique sociale
- l’éthique de l’environnement
D. Position de l’éthique chrétienne dans les disciplines théologiques et dans les sciences
II. Les grands types d’éthique chrétienne
A. Les éthiques libérale et néo-orthodoxe
1. Le fondement thomiste
2. Remarques critiques sur la morale thomiste
3. La morale catholique, de la Contre-Réforme à nos jours
4. Remarques critiques sur la théologie morale catholique
C. L’éthique protestante évangélique
e) L’éthique dispensationaliste
D. Catholiques et Evangéliques: les divergences éthiques
Voici notre réponse en trois points:
Cherchons de l’éthique une définition qui soit la plus large possible, et qui ne soit pas spécifiquement chrétienne.
Le Petit Larousse définit l’éthique comme « science de la morale ». Cette définition implique une distinction entre une théorie - la science éthique - et une pratique - la morale. Cette distinction tient, en gros, mais il faut bien dire que très souvent le mot « morale » est employé au sens de la théorie éthique, et que réciproquement, l’« éthique » de quelqu'un désigne parfois sa façon pratique de vivre ! (D’ailleurs, « éthique » vient du grec ta éthè, les coutumes, et « morale », du latin mores, qui a exactement le même sens...)
Voici une autre définition, tirée du New Dictionary of Christian Ethics, article « Moral Theology » (les Anglicans et les Catholiques appellent « théologie morale » ce que les Protestants appellent généralement « éthique »):
« La théologie morale est la discussion des principes qui gouvernent, ou devraient gouverner, le comportement d’un Chrétien, et de leur application à des circonstances particulières ou à des séries de cas ».
Nous sommes ici, déjà, dans le domaine de l’éthique chrétienne, mais en changeant quelques mots, on peut retrouver une éthique au sens général du mot: « discussion des principes qui devraient gouverner le comportement des hommes ».
Tel est le premier sens du mot « éthique »: la réflexion qui vise à trouver la réponse à la question: « que dois-je faire ? ». C'est surtout l’éthique prise dans ce premier sens que nous traiterons dans ce cours - on l’appelle aussi souvent éthique normative.
Il existe encore deux autres emplois du mot « éthique ». On parle d’« éthique descriptive » ou d’« éthique comparative » quand on étudie les réponses apportées par les peuples, les cultures, les sociétés, aux questions qui concernent l’éthique normative. Dans ce sens, l’éthique est alors une branche, soit de l’anthropologie, soit de la sociologie (certains parlent de sociologie morale). Cet aspect de l’éthique peut nous concerner de temps à autre (exemples: situer la nouveauté de l’éthique de la Loi mosaïque par rapport à ce qu’on sait des conceptions éthiques du Moyen Orient antique; applications de l’éthique chrétienne dans des situations de mission transculturelle pionnière...)
Enfin, il y a l’« éthique théorique » ou « éthique philosophique », ou encore « philosophie morale », qui s’interroge philosophiquement sur la nature ou sur le caractère logique des concepts moraux (ex.: en quoi consiste la bonté...).
B. Les différents types d’éthique dite normative
La plupart des religions et des systèmes de pensée sont accompagnés d’une éthique, encore qu’il existe, d’une part, des religions sans éthique (ex.: le paganisme antique gréco-romain), et d’autre part, des éthiques qui ne présupposent pas nécessairement une religion (quoique toute éthique cohérente suppose nécessairement une vision du monde et de l’homme). L’éthique chrétienne doit confronter nombre d’éthiques rivales !
On trouve ainsi dans le monde des éthiques fondées sur:
- la tradition d’une société donnée (ex.: l’éthique confucéenne);
tradition souvent elle-même déterminée, ou en tout cas influencée, par les conditions générales de vie (ex.: l’éthique traditionnelle esquimau);
- des systèmes de croyances religieuses (ex.: les éthiques baha’ie, babylonienne, bouddhiste, hindoue, islamique, juive, manichéenne, taoïste, zoroastrienne...), encore que certaines religions dotées d’un système éthique estiment que la moralité peut se trouver un fondement, partiellement ou totalement, en dehors de la religion (cf. la question de la morale naturelle dans l’éthique chrétienne);
- la réflexion philosophique indépendante ou l’enseignement d’un philosophe individuel ou d’une école philosophique (ex.: les éthiques aristotélicienne, communiste-marxiste, épicurienne, existentialiste, féministe, hégélienne, humaniste, idéaliste, kantienne, platonicienne, pragmatiste, stoïcienne, etc.).
L’éthique chrétienne est elle-même caractérisée par un certain nombre de traits communs (ex.: au niveau des sources, l’influence de la Bible; au niveau des thèmes, l’amour du prochain...), mais elle est par ailleurs très diversifiée, pour ne pas dire divisée. Cette diversification correspond en partie aux divisions ecclésiastiques de la Chrétienté: un grand nombre d’Eglises ou dénominations ont leur tradition éthique propre: on distinguera l’éthique catholique, l’éthique orthodoxe, l’éthique anglicane et, dans le Protestantisme, les traditions éthiques luthérienne, calviniste-puritaine, anabaptiste-mennonite, évangélique-fondamentaliste, wesleyenne-méthodiste, dispensationaliste, quaker, plus des positions éthiques articulées sur une théologie personnelle (en général, du côté libéral ou néo-orthodoxe: les éthiques de Barth, Bonhoeffer, Brunner, Niebuhr, Ritschl, etc.). La diversification de l’éthique chrétienne est aussi due aux changements qu’elle a subis à travers l’histoire (ex.: dans l’éthique catholique, on distinguera les périodes patristique, thomiste, la Contre-Réforme, l’époque moderne...), avec des influences philosophiques différentes selon les époques. La diversité des situations socioculturelles auxquelles le message chrétien tente d’adapter ses réponses éthiques a aussi joué un grand rôle (ex.: le passage du monde rural à la société industrielle, qui a fait que certaines questions ont changé de contenu).
C. Les grandes subdivisions de l'éthique
Par son principe même, l’éthique englobe la totalité du comportement humain: pensées, paroles et actes, dans tous les domaines de l’existence. Pour des raisons pratiques, on peut subdiviser le champ éthique en secteurs d’étude, tenter une classification des questions éthiques, sans prétendre aboutir à une nomenclature exhaustive, définitive ou rigide, puisqu’il y a fréquemment interpénétration des différents secteurs, et que le champ de l’éthique, comme celui de toute connaissance humaine, est sans cesse en devenir. On parle ainsi fréquemment de:
- l’éthique personnelle: qui étudie spécialement les aspects de la vie morale se rapportant à la conduite de l’homme vis-à-vis de sa propre personne, ainsi qu’aux relations interpersonnelles privées (par opposition à l’éthique sociale, qui se consacre aux aspects plus complexes de la vie humaine en société).
- l’éthique sexuelle: qui étudie les questions relatives à la sexualité, au mariage et à la procréation.
- l’éthique des affaires: qui étudie les questions relatives au travail, à la profession, à la propriété, aux échanges et aux prix, aux rapports entre patrons, travailleurs et syndicats, aux responsabilités de l’entreprise envers les consommateurs, au fondement moral des théories économiques, aux effets concrets de ces dernières, etc.
- l’éthique professionnelle: qui étudie les questions de normes de compétence et d’intégrité nécessaires à l’exercice d’une profession, et les normes (parfois codifiées) du comportement attendu d’un professionnel envers ses clients, ses collègues et le public en général.
- l’éthique biomédicale ou bioéthique étudie les questions éthiques relatives à l’application des découvertes récentes en biologie et en médecine (transplantation d’organes, acharnement thérapeutique et euthanasie, expérimentation sur l’homme, technologie de la reproduction, génétique...).
- l’éthique sociale étudie les questions éthiques relatives aux droits et aux devoirs des états et gouvernements, institutions publiques, communautés, par rapport aux individus, et réciproquement, et les questions relatives aux rapports entre états.
- l’éthique de l’environnement étudie la valeur de la créature non humaine vivante ou inanimée, et les questions relatives aux responsabilités de l’homme envers celle-ci.
D. Position de l’éthique chrétienne dans les disciplines théologiques et dans les sciences
A notre connaissance, aucun penseur chrétien ne conteste la dépendance de l’éthique par rapport à la dogmatique (théologie systématique): l’agir chrétien est (ou devrait être) informé par la foi (voir exemples de cette dépendance plus loin). Calvin a marqué l’étroitesse de ce lien en intégrant l’éthique dans son Institution Chrétienne; une pratique que peu de théologiens suivirent, mais que le grand Karl Barth illustra dans sa Dogmatique.
H. Blocher1 situe l’éthique dans le contexte des disciplines théologiques par le schéma suivant:
exégèse
théologie biblique
apologétique
hist. dogmes dogmatique philos.
éthique
hist. Egl. théologie pratique
Ce schéma, où tout découle d’abord de l’exégèse biblique, est normatif pour une éthique évangélique. Il devrait être complété, nous semble-t-il, de la façon suivante: dans la colonne de gauche, on pourra ajouter une discipline qui est rarement enseignée comme telle, l’histoire de l’éthique. Une flèche devrait partir de l’éthique vers la théologie pratique: la prédication et l’action pastorale s’ancrent aussi bien dans l’éthique que dans la dogmatique; d’autre part, il y a aussi un lien direct entre l’exégèse et l’éthique qui peut, dans un premier temps, « court-circuiter » la dogmatique; et tout comme les synthèses partielles de la théologie biblique sont l’étape intermédiaire entre l’exégèse et la dogmatique, les synthèses partielles de l’éthique biblique interviennent entre l’exégèse et l’éthique.
L’éthique biblique doit, bien sûr, être subdivisée en éthique de l’AT et éthique du NT. L’éthique de l’AT peut à son tour se décomposer en éthique mosaïque (le Pentateuque), éthique prophétique et éthique sapientielle. L’éthique du NT comprend l’éthique de Jésus, l’éthique de la communauté primitive (Actes), l’éthique johannique (Evangile et Epîtres), l’éthique paulinienne (nombre de critiques ajouteront: et deutéro-paulinienne), l’éthique jacobéenne et l’éthique pétrinienne.
D’autre part, pour nous montrer comment agir aujourd’hui, comment appliquer les principes de la Parole de Dieu dans notre situation actuelle, l’éthique doit être constamment informée par les sciences, principalement les sciences humaines. Car si l’homme ne change pas, le monde qui l’environne et qui, dans une large mesure, le conditionne, change, et à quelle vitesse ! Et les questions auxquelles l’éthique s’efforce de répondre sont toujours posées et définies dans les situations historiques concrètes et souvent singulières de l’existence humaine. Dire ceci n’équivaut pas à nier l’existence d’une loi éternelle, fondée dans l’éternité même de Dieu: notre éthique n’est pas une éthique de situation, où seul l’historique serait normatif. Il s’agit seulement de bien reconnaître que l’application de l’éthique, si elle veut être correcte, ne peut que tenir compte au maximum de la situation historique qui permet de comprendre la nature et la portée d’une question éthique qui, souvent, se pose en d’autres termes aujourd'hui qu’hier et ici que là-bas. L’éthicien devra donc s’informer sérieusement, selon la question qu’il traite, de sociologie, de psychologie, d’anthropologie, d’histoire, de droit,
1 Théologie systématique: La création. Notes de cours, 1968.
de médecine, de biologie, d’économie, de politique, d’écologie...
II. Les grands types d’éthique chrétienne
On retrouve en éthique les quatre grands types qui, en dogmatique, se partagent la théologie chrétienne1: les types libéral, néo-orthodoxe, catholique et évangélique. Rappelons que les deux premiers types se réfèrent à une norme subjective, les deux derniers à une norme objective; le premier et le troisième sont anthropocentriques, le deuxième et le quatrième, théocentriques.
A. Les éthiques libérale et néo-orthodoxe
Dans la pratique, à notre niveau, nous pouvons négliger l’examen systématique des éthiques libérale et néo-orthodoxe, qui sont très difficiles (surtout l’éthique libérale) à ramener à un dénominateur commun puisque chaque penseur forge sa théologie et son éthique de façon autonome et individuelle, avec une forte influence de philosophies diverses selon les temps et les lieux. De plus on peut, dans une large mesure, dire que jusque vers 1950, les divergences concernaient surtout l’éthique théorique, mais qu’il y avait un large consensus autour des grands thèmes de la morale chrétienne appliquée (d’où l’utilité pour nous des tomes éthiques de la Dogmatique néo-orthodoxe de Barth et de l’Ethique libérale de Bonhöffer, par exemple). Il n’en est plus de même aujourd’hui, où le Libéralisme théologique (appelé plus exactement modernisme) s’accompagne souvent d’un dérapage éthique2 qui fait que l’éthique appliquée du Protestant libéral et celle de l’humaniste incroyant sont très souvent pratiquement identiques: le Protestant moderniste qui croit penser de manière autonome par rapport à la Bible et à la tradition de son Eglise ne fait dans le fond que produire, parfois sans s’en rendre compte, une copie conforme des éthiques ambiantes. C’est ce qui donne toute son actualité, dans les Eglises protestantes théologiquement pluralistes, au combat pour le retour et l’attachement à la théologie et à l’éthique appliquées de la Bible, surtout dans les domaines de l’éthique personnelle, de l’éthique sexuelle, de la bioéthique et de l’éthique sociale (voir document E.P.U.B. sur l’homosexualité, en annexe)
1. Le fondement thomiste
Notre étude de l’éthique catholique partira de Saint Thomas d’Aquin, puisque la morale thomiste constitue la toile de fond de la morale catholique (on connaît l’adage: Saint Thomas, si pas docteur de tous, en tout cas docteur pour tous). Saint Thomas développe ses principes de morale dans les 5.000 pages de la Pars Secunda de sa Somme théologique.
Ceux qui ont un tant soit peu de connaissances philosophiques (en particulier, de la philosophie antique) verront nettement l’inspiration aristotélicienne du Thomisme (cf. l’Ethique à Nicomaque d’Aristote).
La morale, selon Saint Thomas, c’est le mouvement de la créature raisonnable vers Dieu. Ce mouvement a pour but le salut (qui est la fin dernière, ou le souverain bien de l’homme, ou encore la connaissance suprême de Dieu). On voit d’emblée que la morale thomiste est téléologique (orientée vers les fins dernières). L’homme est attiré par Dieu, il doit rejoindre son principe - il y a correspondance de l’archè et du télos. L’action juste est celle qui correspond à la fin dernière de l’être humain et cette fin est donnée à l’homme dès le commencement, dans la création; elle est donc dans la nature de l’homme. Téléologique est donc quasi synonyme de naturel: l’homme est incliné vers Dieu par sa nature: le bien est ce que nous voulons être en vertu de ce que nous sommes: des créatures douées de raison. L’action bonne sera donc aussi toujours conforme aux exigences de la raison, laquelle procède de la raison divine.
1 Cf. H. Blocher, Théologie systématique, Prolégomènes (1972), p.18-30.
2 L’expression est de Pierre Courthial, « Dérapages éthiques », dans Ichthus (n° 27-28, nov-déc 1972), p.11-16. P. Courthial y cons- tatait et dénonçait les étonnantes déclarations de théologiens protestants sur l’avortement et l’homosexualité.
Nous devons ici passer sur les longs développements que Saint Thomas consacre au problème des rôles spécifiques de l’intelligence et de la volonté dans le choix moral. Mais un point important, qui doit retenir toute notre attention, c’est le fait que pour Thomas le mal moral n’est qu’une absence de degré d’être. Le bien correspond à l’être (la nature); le mal est donc un manque d’être, un manque de plénitude dans l’être.
Les actes moraux sont régis par des principes dont les uns sont intérieurs, les autres extérieurs.
Les principes intérieurs sont les vertus, naturelles ou surnaturelles, qui soutiennent le mouvement de l’âme vers sa fin dernière. La vertu est un bon habitus (l’habitus est la trace laissée dans l’âme par un acte moral; s’astreindre à la vertu y incline progressivement, et aussi l’inverse); il peut donc y avoir une vertu stable. Le péché est un habitus mauvais, non adapté à la fin de l’homme raisonnable. Les vertus sont les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales.
Le principe extérieur, c’est Dieu, qui agit sur l’homme par la loi et la grâce.
La loi s’applique à toutes les créatures; les créatures non raisonnables y sont soumises mécaniquement, mais l’homme peut en connaître la fin par sa raison et y adhérer par sa volonté. La loi est loi naturelle puisqu’elle est inscrite dans la nature humaine et reconnue par l’homme dès qu’il s’éveille à la raison. Le rôle de la révélation biblique est alors simplement de confirmer cette loi naturelle, et d’y ajouter les fins surnaturelles de l’homme.
La grâce soutient l’homme dans l’accomplissement de sa destinée surnaturelle. Elle peut agir sur la liberté sans la contraindre, puisque la liberté humaine est celle d’un être raisonnable qui a été créé pour cette destinée surnaturelle et lui est naturellement ordonné. La grâce accomplit la nature sans la détruire; le surnaturel est ajouté à la nature mais il y trouve de nombreux points d’ancrage; il y a synergie entre la volonté de l’homme raisonnable et l’oeuvre de la grâce.
2. Remarques critiques sur la morale thomiste
Thomas d’Aquin, par ce synergisme, ouvre, bien qu’involontairement, la porte de la théologie à la doctrine du salut par les oeuvres, puisque le salut est le but de la moralité: on sera donc moral en vue de la fin. La liberté humaine est une donnée de la nature avant même l’intervention de la grâce, alors que dans la Bible, pour l’homme déchu, la liberté ne peut être retrouvée qu’en Jésus-Christ, en dehors duquel l’homme ne peut qu’être esclave du péché. Dans le Thomisme, le péché n’est qu’un manque d’être, une imperfection dont l’aspect tragique n’est pas vraiment perçu. Vue par Thomas, la liberté humaine n’a besoin que d’une aide de la part de la grâce, et elle reste en elle-même parfaitement capable de collaborer avec la grâce. La morale tho-miste ne prend pas son point de départ dans la vie nouvelle qui est donnée au croyant de par sa justification par grâce en Jésus-Christ. Son point de départ, c’est une conception anthropologique où l’homme est par nature ordonné à l’être - un point de départ païen !
3. La morale catholique, de la Contre-Réforme à nos jours
La morale catholique traditionnelle n’en est pas restée à Saint Thomas d’Aquin. La Contre-Réforme constitue une seconde étape de son développement, marquée par le souci de la formation pastorale des prêtres, responsables d’être pour les laïcs des directeurs de conscience, dans le confessionnal qui conditionne l’accès à l’eucharistie, source de grâce.
A partir de 1600, les manuels de théologie morale se composent comme suit:
1) En introduction, les principes fondamentaux de la théologie morale catholique; un rappel du fondement thomiste: la liberté, la loi de Dieu...
2) Un examen de cas pratiques - les cas de conscience. Ceux-ci sont disposés de la façon suivante, avec des variantes dans l’ordre:
a) les dix commandements
b) les commandements de l’Eglise
c) les sept sacrements
On assiste à un développement de la casuistique: certaines sommes de théologie morale sont énormes, reprenant jusqu'à 20.000 cas, et allant jusqu’à inventer des cas tout à fait imaginaires. Car on veut être aussi précis que possible, pour que le prêtre n’ait qu’à appliquer aux fidèles une loi sûre et toute faite. C’est un légalisme, qui cherche à déterminer quel est le minimum moral légalement exigible de tous pour qu’ils soient en règle et puissent communier. La pénitence, avec ses actes de l’homme qui sont destinés à réparer ou à effacer la faute, rend digne de recevoir l’eucharistie; c’est donc un légalisme qui prétend apporter à Dieu une satisfaction. Dans ce système, la foi n’a qu’un rôle effacé - elle est simplement une aide à la vie morale: il faut croire à la valeur des sacrements pour mieux faire son devoir. S’en remettre directement à la grâce de Dieu, c’est risqué et prétentieux. Pourquoi prendre un tel risque, alors que l’Eglise est là qui, dans son souci pastoral et avec sa grande expérience, a jalonné pour le croyant le chemin le plus sûr, que tous peuvent suivre s’ils écoutent bien l’Eglise, s’en remettent au prêtre directeur de conscience, se confessent régulièrement et reçoivent bien les sacrements.
En plus des oeuvres prescrites par la loi, il y a aussi les « conseils évangéliques », facultatifs pour les laïcs ordinaires (voeux de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, vie communautaire).
Depuis les années 50, il faut observer que le renouveau de l’étude de la Bible dans le Catholicisme a eu pour conséquence la parution d’ouvrages qui tentent de recentrer la théologie morale sur une théologie plus biblique de la grâce et de la relation personnelle avec Dieu (M. Oraison, B. Häring, R. Schnackenburg, C. Spicq, S. Pinckaers). On peut parler d’un certain mouvement de convergence entre les éthiques catholique et protestante, mais ce mouvement a certainement toujours eu ses limites et on peut en outre se demander si la tendance actuelle au retour à un Catholicisme plus traditionnel (cf. le nouveau Catéchisme romain) ne va pas réduire, en pratique, cette convergence à peu de choses. A suivre ...
4. Remarques critiques sur la théologie morale catholique
La dualité des commandements, de Dieu et de l’Eglise, rappelle les deux sources de la théologie catholique (la Bible et la tradition) et le dogme de l’Incarnation continuée de Jésus-Christ qui permet d’attribuer à l’Eglise une autorité égale à celle de son Seigneur. La dimension de relation personnelle avec Dieu, qui met en valeur la liberté et la responsabilité personnelles du Chrétien devant son Dieu, n’ont aucune existence nécessaire dans ce système; l’espace accordé à cette liberté est donc restreint, puisque le but essentiel est la soumission à la loi divine, ce qui implique la soumission à ceux qui auraient reçu sur terre mandat de la représenter - non seulement les autorités civiles, mais surtout l’Eglise enseignante, dispensatrice de la grâce via les sacrements.
C. L’éthique protestante évangélique
La Réforme a commencé, avec Luther, non pas sur une discussion du contenu de la morale chrétienne, mais sur une discussion de la signification de cette morale. Les doctrines catholiques du mérite de l’homme, des oeuvres satisfactoires, des indulgences, etc., faisaient qu’en fait, les gens se confiaient dans leurs bonnes oeuvres pour être sauvés. Luther restaurera d’emblée la doctrine biblique de la justification du pécheur par la foi seule, et remettra les oeuvres (la sanctification tant dans son aspect de vie religieuse que de vie morale) à leur vraie place: celle de fruit et de signe de la foi authentique. Luther maintient certes la nécessité des bonnes oeuvres; mais cette nécessité n’est plus relative à l’accès au salut: elle redevient relative à la vie concrète qui découle de la foi authentique. Autrement dit, cette nécessité n’est plus sotériologique, mais éthique.
La justification par la foi est donc le présupposé, et un des fondements, de l’éthique chrétienne (tout comme, en dogmatique, elle est aussi le principe matériel de la Réforme). Selon Luther, la vie éthique jaillit spontanément de la justification, qui en est la source. Ceci explique les réticences de Luther pour admettre le troisième usage de la Loi, l’usage dit didactique ou normatif (la Loi comme règle de vie pour les croyants, qui
leur rappelle leurs devoirs)1. La vie éthique trouve sa motivation et sa finalité dans la reconnaissance qu’éprouve l’homme justifié envers son rédempteur: l’homme sert Dieu par reconnaissance et pour montrer cette reconnaissance. Ce service de Dieu est avant tout orienté vers le prochain.
Que l’éthique chrétienne ait son point de départ dans la justification, signifie pour Luther qu’un acte qui serait conforme au commandement de Dieu, mais qui serait accompli hors de la foi, ne pourrait être offert à la justification de Dieu, et ne pourrait en conséquent, en toute rigueur, être vraiment appelé bon (on pourrait rappeler ici le verset qui dit « devant Dieu, nos bonnes oeuvres sont comme un linge souillé »). A l’inverse, même si le Chrétien n’accomplit aucune oeuvre parfaite, Dieu considère ses oeuvres comme bonnes si elles sont accomplies dans la foi en la justification de Dieu. La foi, dira Luther, est donc la bonne oeuvre par excellence, puisqu’elle confère la bonté à toutes les autres oeuvres.
Luther n’a pas voulu par là affirmer que le païen qui est en dehors de la révélation spéciale de Dieu en Jésus-Christ n’a pas conscience de la différence entre le bien et le mal; il n’a pas davantage nié l’utilité sociale que peuvent avoir certaines oeuvres des païens. La Loi de Dieu, écrite dans les consciences des hommes (Rm 2) fonde une éthique naturelle qui est tout à fait réelle, mais qui n’est pas encore l’éthique chrétienne et ne peut lui servir de fondement, bien qu’on puisse en un sens la considérer comme une préparation pour l’éthique chrétienne. Pour Luther, la bonté d’une oeuvre n’est pas un en-soi, mais lui est conféré par grâce.
Il va de soi, à partir de là, qu’il ne peut plus y avoir d’oeuvres surérogatoires. Plus besoin, non plus, de rechercher l’extraordinaire (l’ascèse, les « conseils évangéliques »): l’action la plus profane, accomplie dans la foi, et au service du prochain, est sainte. L’état chrétien par excellence n’est plus l’état religieux du moine qui s’isole du monde pour s’efforcer vainement d’être plus près de Dieu; l’état monastique, recherche de l’extraordinaire, est au contraire une fuite devant les tâches les plus ordinaires que Dieu confie au Chrétien. Luther réhabilite donc la sphère profane, et en particulier l’exercice de la profession, qui est toujours une vocation (Beruf) de Dieu au service des hommes (ceci est dans la même ligne que la redécouverte par Luther du sacerdoce universel des croyants).
En éthique sociale, Luther a énoncé la doctrine dite « des deux règnes ». Cette distinction des deux règnes de la création et de la rédemption est fondée sur l’eschatologie paulinienne: les deux âges, ou les deux humanités, en Adam et en Christ (Rm 5)2. Dans le royaume de Dieu, le Rédempteur règne sur tous les croyants régénérés. Dans le royaume humain, le Créateur règne sur toutes les créatures pécheresses, via César et la loi civile. Dieu, étant Créateur et Rédempteur, est Seigneur des deux royaumes à la fois; le Chrétien, étant à la fois juste et pécheur (simul justus et peccator), est sujet des deux royaumes à la fois. Ces deux royaumes doivent rester distincts, mais pas séparés (il y a séparation dans le sécularisme, et fusion dans le cléricalisme catholique).
Cette doctrine des « deux règnes » est en rapport avec l’enseignement de Luther au sujet du mariage. Fidèle à son fondement thomiste, le Catholicisme établit une différence entre le mariage naturel, qui existe depuis la création, et le mariage chrétien, de deux baptisés, qui a une dimension surnaturelle complémentaire en tant que sacrement de la nouvelle alliance, confié à l’Eglise de Jésus-Christ. Luther abolit cette distinction bibliquement non fondée entre ces deux types de mariage. Pour lui, et pour tout le Protestantisme ultérieur, le mariage appartient au royaume de la création, et non à celui de la rédemption. Le mariage est un remède temporel de Dieu contre le péché, mais non un moyen de grâce de l’Evangile; il doit donc être régi par la loi civile, et non par l’Eglise. On ne peut donc, là où le mariage de deux Chrétiens a été célébré de façon seulement civile, assimiler l’état du couple ainsi formé à un « concubinage illicite civilement attesté »3. Loin d’abaisser le mariage, Luther le réhabilite comme étant la vocation que Dieu adresse à la plupart des hommes: le mariage est le lieu par excellence où peut se vivre le service du prochain dans l’amour.
1 Pour rappel, les deux premiers usages de la Loi sont: 1) l’usage politique ou civil: la Loi a pour but de restreindre le mal et de pro- mouvoir la justice - en tant que telle, la Loi est un aspect de la grâce commune de Dieu; 2) l’usage pédagogique: la Loi produit en l’homme une conviction de péché, et le rend conscient de son incapacité à accomplir les exigences légales; elle sert ainsi de péda- gogue pour conduire à Christ, et entre donc à ce titre dans le dessein rédempteur de Dieu.
2 Autre texte cité également: Mt 22:21, qui distingue le règne de César et celui de Dieu.
3 L’expression est de B. Häring, La Loi du Christ, vol.3, p.452.
Luther s’est beaucoup intéressé à l’action sociale du Chrétien: il a préconisé la facilité d’accès à l’instruction pour tous, l’établissement de caisses de secours publiques pour combattre la misère et la mendicité, l’établissement de mesures gouvernementales contre les pratiques commerciales malhonnêtes et les abus des employeurs. Mais, fidèle à sa doctrine des deux règnes, il ne lance pas d’appel aux Chrétiens pour transformer les structures existantes. Les personnes peuvent être transformées par l’Evangile dans le royaume de Dieu, mais les institutions seront réformées par la loi dans le royaume humain. L’Eglise peut donc christianiser les politiciens, mais pas la politique, qui est un des « ordres » qui doit rester séculier, avec une autonomie relative, bien qu’elle soit toujours sous la loi du Créateur. Dans le domaine temporel, ce ne sont donc pas la foi et l’amour, mais la raison et la justice qui sont normatives. La distinction des règnes fait que l’Eglise ne peut imposer sa volonté à la communauté civile (elle usurperait alors le pouvoir du gouvernement); et de son côté, l’Etat ne devrait pas interférer avec le rôle prophétique de l’Eglise, qui rappelle que les gouvernants auront à rendre compte devant Dieu. Lorsque les Chrétiens agissent de façon responsable dans les structures telles qu’elles sont, l’amour donne à la loi son contenu éthique, et la loi donne à l’amour sa forme sociale.
Le fondement théologique de l'éthique est le même chez Calvin et chez Luther: la vie éthique du Chrétien, restauration de l’image de Dieu en l’homme, est la manifestation de l’habitation du Christ dans le coeur du croyant par le Saint-Esprit; c’est la reconnaissance pour la grâce reçue qui motive la vie éthique du Chrétien.
On peut cependant noter quelques différences sur des points secondaires:
Calvin insiste plus que Luther sur la lutte constante entre le vieil homme, qui n’est pas mort, et l’homme nouveau régénéré par l’Esprit. La sanctification, progressive, n’est pas vue comme aussi spontanée que chez Luther. Elle a besoin d’aide, et une de ces aides est la Loi de Dieu, dont le troisième usage, l’usage didactique, pleinement admis et souligné par Calvin, est de venir en aide à notre faiblesse, pour bien régler notre vie. Ici il est possible que la formation juridique de Calvin ait joué un rôle dans l’élaboration de sa doctrine. Aussi bien Calvin aura-t-il tendance à recourir davantage à l’AT, en dogmatique comme en éthique (cf. sa conception de l’unique alliance de grâce depuis Abraham, qui tend à atténuer les différences entre les dispensations). Notons que Calvin considère la Loi comme source de la vraie liberté pour le Chrétien: le Chrétien qui connaît la Loi divine sait aussi ce que Dieu ne lui demande pas, et en conséquence il sera gardé de l’idolâtrie et des règles de conduite fabriquées et imposées par les hommes.
Dès 1539, Calvin donne une place différente à la repentance dans l’ordo salutis. Pour Luther (et pour le premier Calvin), la repentance (bien qu’elle ait encore sa place tout au long de la vie du Chrétien) est surtout considérée comme le préalable à la foi et à la connaissance du Christ (deuxième usage de la Loi). Chez le second Calvin, le péché et la repentance sont découverts par l’homme qui a déjà la foi en Christ. C’est l’homme qui connaît Christ qui commence une vie de renoncement, en portant sa croix et en affrontant les tribulations. Cette imitation de Jésus-Christ n’est possible que pour ceux qui sont déjà en Christ (ceci explique peut-être la présence, tous les dimanches, de la confession des péchés dans la liturgie réformée).
Enfin, Calvin, plus jeune que Luther, perçoit mieux que celui-ci les conséquences de la libération du Chrétien pour son service dans la sphère profane, et vit davantage les transformations économiques de son siècle. Calvin admet le prêt à intérêt (position audacieuse pour l'époque), fait important pour l’avenir du capi-talisme commercial et industriel; il a encouragé l’esprit d’entreprise de Chrétiens qui servent Dieu et le prochain en développant leurs affaires: le succès en affaires est pour Calvin une bénédiction de Dieu, dont le Chrétien profitera avec modération. Cet intérêt pour l’économie et la politique provient sans doute chez Calvin de l’influence de Zwingli, avec ses aspirations humanistes, sur la Réforme suisse. D’autre part, l’influence des conceptions vétéro-testamentaires fera pencher Calvin vers une notion théocratique de l’Etat, avec éventuellement l’affirmation, dans les cas limites, du droit de révolte contre l’autorité tyrannique, surtout pour le magistrat chrétien à qui le tyran donne des ordres contraires à la Loi de Dieu. Le premier devoir de l’Etat, et du magistrat chrétien, est en effet de soutenir la vraie religion, puisque l’autorité de l’Etat dérive (comme celle de l’Eglise) de la Parole de Dieu. On voit ici que Calvin donne une interprétation assez différente de Luther de la doctrine des deux règnes, qu’il admet en principe1.
On sait de quelle façon le principe théocratique a été appliqué dans la Genève de Calvin: l’état remplissant ses fonctions sous la surveillance de l’Eglise réformée, seule capable de discerner s’il le faisait bien; l’imposition du conformisme religieux accompagné d’une tenue morale stricte: s’enivrer, s’absenter du culte sans motif valable, jouer pour de l’argent étaient fautes punissables d’une amende; la danse, les chansons déshonnêtes, les rapports sexuels prémaritaux et l’adultère étaient passibles de la prison... Ceci n’est compréhensible que dans une société se considérant encore comme chrétienne et où, en outre, le Protestantisme était soucieux de faire la preuve, face aux critiques catholiques, que la prédication de la justification par la foi n'amenait pas un relâchement de la morale, mais au contraire le renforcement de celle-ci.
Nous ne traiterons pas ici de l’éthique souvent déviante des mouvements anabaptistes politiques, révolutionnaires et violents du 16e siècle (Thomas Muntzer, les illuminés de Munster), mais seulement de l’aile pacifique du mouvement anabaptiste, qui, à partir de 1540 environ, fut réorganisée aux Pays-Bas par Menno Simons (d’où le terme « mennonite »).
Comme les Luthériens et les Réformés, les Mennonites professent que le salut est reçu par la foi seule. Ils s’en différencient cependant par le fait qu’ils enseignent que le salut peut être perdu lorsque la communion avec le Christ est rompue par certains actes de désobéissance à la parole du Christ, actes qui éventuellement peuvent être sanctionnés par la discipline ecclésiastique (dans la pratique, la liste de tels actes diffère d’une branche à l’autre du Mennonisme). Les Mennonites sont donc revenus à une conception sotériologique de l’éthique, non pas en ce qui concerne l’accès au salut, mais en ce qui concerne sa conservation: il y a synergie entre Dieu et l’homme dans la persévérance du Chrétien dans la foi (la foi impliquant ici l’obéissance pratique du Chrétien). Des conceptions analogues se sont assez largement répandues dans une partie des Eglises évangéliques, héritières, entre autres, de la Réforme anabaptiste.
Les Mennonites ont pratiqué en général une lecture « directe » et littérale de la Bible, sans grande connaissance ou prise en compte de la théologie et de la tradition chrétienne antérieure, avec un grand souci d’obéissance inconditionnelle et quotidienne à Jésus-Christ. Les conseils de perfection du Christ sont applicables à tous les Chrétiens, et gouvernent toutes les relations personnelles et sociales.
Insistant sur la conversion personnelle à Jésus-Christ et sur le baptême des croyants, les Eglises mennonites ont refusé tout lien avec l’Etat. Leur défense du principe de la liberté de religion est liée non seulement à cette conception d’une Eglise de professants, mais aussi à leur rejet (« arminien ») des notions de prédestination et de serf-arbitre. Leur rejet du serment provient de l’application directe de certains textes du NT, mais aussi du refus de s’engager envers des gouvernements qui, à l’époque, cherchaient à imposer sur leur territoire l’unité religieuse (cujus regio, ejus religio). Même là où la Réforme luthérienne ou calviniste avait triomphé, les Mennonites ont voulu former des communautés marquées par la non-conformité au monde (Rm 12), se signalant parfois par une façon spéciale de s’habiller (et parfois même par un refus de toute modernité, cf. les Amish); pendant longtemps, le mariage ne fut autorisé qu’entre Mennonites, les seuls Chrétiens qui, ayant reçu le vrai baptême néo-testamentaire, forment vraiment une Eglise au sens biblique du mot.
Les Mennonites sont connus pour leur tradition pacifiste, qu’ils partagent avec les Quakers et avec les Christian Brethren: refus de toute violence (et donc, du service militaire), de tout emploi de la force. Ils ont aussi longtemps renoncé à toute notion de propriété privée comprise comme droit exclusif à la possession, à tel point que, se considérant comme de passage sur terre, ils refusaient d’être les propriétaires même des terres qu’ils cultivaient, se contentant d’être les métayers de terres louées. En tout cas, le bien d’un Mennonite est considéré comme devant toujours être disponible pour quiconque en a besoin. Les Mennonites refusent traditionnellement toute activité commerciale lucrative et refusent de demander un intérêt quand ils prêtent de
1 Pour une étude plus détaillée de la position des Réformateurs sur l’Etat et les rapports Eglise-Etat, voir Henry Strohl, La pensée de la Réforme (Neuchâtel-Paris: Delachaux et Niestlé, 1951), p.239-260.
l’argent.
Il faut ajouter, en dehors de ces points communs, que l’enseignement éthique diffère entre les différentes branches du Mennonisme traditionnel, et qu’en outre en beaucoup d’endroits l’influence de la vie moderne et les contacts avec d’autres traditions chrétiennes ont fortement réduit dans la pratique le non-conformisme mennonite.
Motivé par le désir de glorifier la puissance de la grâce de Dieu, John Wesley a voulu prêcher un Christianisme intégral, que le Chrétien peut atteindre, s’il le veut, par une discipline de consécration totale au service de Dieu et du prochain.
L’éthique wesleyenne, comme celle des Réformateurs, est fondée sur la justification par la foi, mais Wesley ne croit pas que la grâce soit irrésistible et ne soit donnée qu’aux seuls élus: la grâce coopère avec la volonté libre du pécheur qui a la responsabilité morale d’accepter ou de refuser Jésus-Christ.
En contraste avec les Réformateurs, Wesley croit que le but final de la justification, et la plénitude de la foi, ne sont atteints que quand le Chrétien est rendu juste: c’est-à-dire, quand la justice lui est communiquée en réalité, et pas seulement imputée; quand le croyant atteint ainsi la perfection chrétienne (perfectionnisme), celle-ci résultant de la collaboration de l’oeuvre du Saint-Esprit et de la discipline (méthodique) de l’homme. Cette perfection consiste, non à ne plus pouvoir pécher, mais à pouvoir ne plus pécher - c’est-à-dire, à ne plus commettre de péché délibéré (le Chrétien parfait peut toujours être tenté, il peut encore se tromper, pécher par ignorance...). L’entière sanctification est définie comme une seconde expérience de la grâce, qui ouvre la porte à cet état de perfection.
Wesley a beaucoup souligné les conséquences sociales de l’Evangile pour la promotion du bien-être de l’homme. Il a encouragé la fondation d’écoles pour enfants pauvres, l’établissement de dispensaires gratuits, et a condamné l’esclavage. Il a soutenu la promotion sociale de ses convertis en les encourageant à gagner davantage, à épargner davantage et... à donner davantage, en bons gérants des biens de Dieu.
L’enseignement de Wesley s’est perpétué non seulement dans une partie des Eglises méthodistes, mais aussi à travers l’enseignement de revivalistes comme Finney; dans les « Holiness Churches » (Mouvement de sanctification), l’Eglise du Nazaréen, l’Armée du Salut, l’Alliance Chrétienne Missionnaire (CMA), et il a influencé une partie du mouvement de Pentecôte (Apostolic Faith Mission, Pentecostal Holiness Churches, Church of God).
e) L’éthique dispensationaliste
Le Dispensationalisme (doctrine lancée par E. Cronin et J.N. Darby) affirme que l’enseignement éthique des débuts du ministère de Jésus dans les Evangiles Synoptiques (essentiellement, le Sermon sur la Montagne) ne peut, pendant l’ère de l’Eglise (dispensation de la grâce), être pris comme loi normative pour le Chrétien. En effet, il n’y est jamais question d’un salut par grâce, mais bien d’une justice par les oeuvres (Mt 5:20); les préceptes éthiques du Royaume que Jésus annonçait ont été rejetés par les Juifs, avec le Royaume et son Roi; ils ne peuvent donc être compris que comme des exemples d’une loi absolue qui n’entrera réellement en vigueur que dans le Royaume juif de la dispensation du Millenium futur, lequel suivra le retour du Christ pour enlever l’Eglise.
Quelle valeur ces préceptes peuvent-ils donc avoir pendant l’âge de l'Eglise ? Selon certains, aucune; selon d’autres, ils peuvent quand même souvent représenter, par application, un idéal éthique non légal, puisque l’intérim de l’Eglise manifeste de façon partielle la réalité du Royaume (le Royaume sous forme de mystère). Le Chrétien, justifié par la foi et habité par le Saint-Esprit, s’efforcera d’atteindre cet idéal éthique, mais souvent en vain: sa sanctification doit rester bien imparfaite car il vit encore essentiellement, comme les croyants de l’AT, dans les conditions d'un monde déchu, d’où le Christ est absent et où le Diable n’est pas encore lié, où par conséquent l’obéissance littérale au Sermon sur la Montagne est encore impossible (alors que dans le Millenium, la puissance du Diable sera liée, et les transgresseurs seront immédiatement punis).
Le contexte de grâce de l’éthique de l’Evangile de Jean et des Epîtres, seule normative pour nous aujourd’hui, représente la volonté conditionnelle, non légale, de Dieu (l’accommodation gracieuse de sa volonté absolue à la faiblesse et à l’échec humains). Dans la « parenthèse de l’Eglise », on a donc à faire à une éthique intérimaire1 où l’incapacité humaine à accomplir la volonté absolue de Dieu n’a pas pour conséquence le jugement: le péché n’est sanctionné ni par le jugement, ni par des pénalités légales; la grâce de Dieu relève l’homme qui se repent. Certains Dispensationalistes ajoutent que l’absence de condamnation de Dieu entraîne aussi normalement l’absence de jugement de l’Eglise sur les « échecs » de ses membres (ce point, pour autant que nous soyons bien informé, semble fort discuté).
Pour donner un exemple de conclusion pratique dans cette éthique, prenons la position développée par D.H. Small, qui se veut représentatif du Dispensationalisme, sur la question du divorce2. Les paroles du Christ interdisant le divorce dans les Evangiles ne s’appliqueront littéralement que dans le Millenium. Dans l’ère de la grâce, le Chrétien les prend comme idéal éthique, mais comme cet idéal est souvent inaccessible, le divorce et le remariage seront concédés, par grâce, comme un droit, et même comme moyen ouvrant une possibilité de renouvellement dans la grâce de Dieu, et ceci dans de très nombreux cas, là où le Chrétien se repent de l’échec de son premier mariage et veut vivre son remariage comme mariage chrétien au plein sens du terme. L’Eglise devrait, en conséquence, cesser de mettre les divorcés sous discipline...
On pourrait conclure que sur bien des points, le Dispensationalisme présente donc une solution originale, mais discutable, du vieux problème des « conseils évangéliques » réputés trop difficiles, dans le Catholicisme, pour le laïc ordinaire...
Le Dispensationalisme et son éthique sont encore aujourd'hui la théologie officielle des Assemblées chrétiennes évangéliques (dites « Darbystes » ou « Frères étroits »), et dans une certaine mesure, des Assemblées de Frères (dits « larges »); mais cette théologie a aussi pénétré à divers degrés nombre d’Eglises évangéliques.
Il faut remarquer finalement que le Darbysme strict représente un sous-groupe particulier dans l’éthique dispensationaliste, en tant qu’il est assez spécifiquement marqué par une vision ultra-pessimiste du « monde », qui a longtemps entraîné un refus de la culture et des arts, des activités sociales et politiques, et de plaisirs tels que le théâtre et le cinéma, et la possession d’un poste de télévision (et même, jadis, d’un poste de radio). Comme il est difficile de se séparer si radicalement du « monde » dans lequel nous sommes obligés de vivre, ne fût ce que pour des raisons pratiques, cette éthique rigide a parfois entraîné, chez certains, une forme spécifique d'hypocrisie. On peut encore remarquer que le Darbyste, partant de la grâce et de la position acquise en Jésus-Christ, conclut qu’une fois sauvé, il n’a plus à demander pardon pour ses fautes3.
D. Catholiques et Evangéliques: les divergences éthiques
Le Catholicisme continue à croire que la « nature » en l’homme sert de fondement à la « surnature » de la grâce. C’est pourquoi l’Eglise romaine se sent gardienne de la « morale naturelle » (relative à la famille, à la propriété, au travail, à la société, à l’Etat), qu’elle estime nécessaire comme base de la « morale surnaturelle » du Christianisme. Cette morale « naturelle » est censée être rationnellement accessible à tout être humain (le péché n’a atteint, pratiquement, que la « surnature »), bien que le Catholicisme reconnaisse qu’en dehors de la révélation en Jésus-Christ, il sera souvent difficile pour les hommes de l’interpréter correctement. De fait, on peut se demander, par exemple, si la supériorité de la monogamie sur la polygamie est si rationnellement évidente, si le droit à la propriété individuelle (plutôt que collective), ou l’existence d’une monarchie absolue
1 Qui n’est pas sans rappeler l’« éthique intérimaire » développée par les libéraux J. Weiss et A. Schweitzer...
2 The Right to Remarry (Old Tappan: Fleming H. Revell Company, 1977), 187 p.
3 Nombre de ces renseignements sur l’éthique darbyste sont tirés du livre de G. Nicole et R. Cuendet: Darbysme et Assemblées dis- sidentes, collection « Connaissance des sectes » (Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1962), p.60-74.
de droit divin, ne sont pas déterminés de façon historico-sociologique, plutôt que rationnelle !
Le Protestantisme, toutes tendances confondues, rejette le dualisme nature-grâce du Catholicisme. Mais, alors que Karl Barth refuse toute morale naturelle, comme du reste toute théologie naturelle, les Evangéliques reconnaissent l’existence et même la nécessité pratique d’une morale naturelle (qui dépend de la révélation générale de Dieu par la conscience), sans laquelle l’existence en société deviendrait impossible. Mais ils ajoutent que le péché obscurcit à tel point l’intelligence de l’homme irrégénéré qu’en fait, la possibilité pratique de discerner le bien et le mal échappe souvent à l’homme en dehors de la révélation biblique. Comme
Evangéliques, nous ne rejetons donc pas l’emploi en éthique de données naturelles extérieures à la Bible, et la démarche de réflexion rationnelle à partir de ces données, mais nous insistons sur le fait que ce sont toujours les données bibliques qui, directement ou indirectement, doivent servir de norme supérieure, pour l’ensemble du champ de la réflexion éthique.
Le fondement « naturel » de la morale catholique fait que l’Eglise romaine croit, comme gardienne de la morale, et comme expression plénière de la religiosité naturelle de l’homme, devoir demander à l’Etat la reconnaissance d’un droit de se voir reconnaître une place particulière, de puissance spirituelle, dans la société: l’Eglise combat partout pour maintenir un enseignement confessionnel qui concurrence l’enseignement officiel, elle promeut un parti politique chrétien qui est sensé défendre ses positions en matière familiale et matrimoniale (en particulier sur le divorce), en matière de contrôle des naissances et d’avortement...: elle voudrait que la loi civile reste, dans ces domaines au moins, une copie conforme de son Droit Canon. Et si les Protestants évangéliques peuvent, sur certains points, se joindre à son combat, en particulier en matière d’avortement, ce n’est pas parce que nous aurions la nostalgie d’une société « chrétienne » où l’Eglise avait le pouvoir: la sécularisation n’est pas pour nous condamnable comme telle, et si elle comporte bien des aspects critiquables, elle peut par d’autres côtés être porteuse de valeurs très positives (cf. Bonhoeffer ?). L’Eglise n’est pas pour nous « la fonction religieuse indispensable de la société » ! Et son autorité, réelle, lui vient non d’un pôle naturel religieux de l’humanité dont l’Etat devrait reconnaître que l’Eglise est l’expression la plus achevée, mais uniquement de la Parole de Dieu qu’elle prêche.
Le Catholicisme n’hérite pas seulement, par Thomas d’Aquin, du dualisme non biblique nature-grâce; il garde aussi de nombreuses traces du Platonisme et de son mépris du corps, via l’influence gnostique du mouvement encratite qui, dès le deuxième siècle, produisit dans l’Eglise des écrits apocryphes (Actes de Pierre, de Jean, Protévangile de Jacques), via aussi l’ascétisme modéré prôné par la philosophie stoïcienne excluant l’amour charnel, passion éphémère, comme non naturel en dehors du but procréateur1. En conséquence, le Catholicisme conserve une forte tendance à considérer que l’âme, substance simple et spirituelle, ne peut être pécheresse en quelque sorte qu’indirectement, de par ses relations avec le corps: comme chez Platon, le corps est le tombeau de l’âme, qui a contact avec Dieu par la « fine pointe de l’esprit ». On sait pourtant que dans la Bible, c’est le corps qui est le temple du Saint-Esprit, que la résurrection rendra à l’âme un corps (certes spirituel - mais ce terme veut-il dire « non matériel », ou plutôt parfaitement adapté à la présence du Saint-Esprit ?) et que c’est du « coeur » (c’est-à-dire, de l’être intérieur) que viennent les mauvaises pensées, ... tout ce qui souille l’homme. L’obstacle au Saint-Esprit, c’est le péché, et non la matérialité du corps !
En conséquence, le Catholicisme estime normal d’interdire le mariage à ses prêtres (en tout cas à ceux du rite latin) et à ses religieux, puisque les conseils de perfection, apparemment incompatibles avec la sexualité, leur sont destinés2. De même, en parlant des buts du mariage, pendant longtemps il a été dit que le premier but, par ordre d’importance, était la procréation, avant la communion des époux dans l’amour conjugal. Tobie 8:7 Vulgate fut parfois cité pour justifier bibliquement cette façon de voir, ce qui confirme que l’inclusion des Apocryphes dans le canon de l’AT, et de plus ici le choix de la Vulgate comme version normative, ne sont pas
1 Cf. E. Fuchs, p.103-5.
2 La Gnose, méprisant le corps et niant en conséquence la véritable humanité de Jésus-Christ, a réduit sa naissance physique à une apparence, et a créé la théorie de la virginité perpétuelle de Marie en inspirant à Origène l’idée que les frères de Jésus étaient en fait issus d’un premier mariage de Joseph.
des éléments dogmatiquement innocents ! Ce n’est que récemment (Humanae Vitae, 1968) que les deux finalités ont été mises sur le même plan. Autre conséquence: le Catholicisme a toujours hésité à reconnaître aux couples un droit à limiter les naissances: une telle limitation a besoin d’être justifiée par des motifs sérieux, et ne peut être réalisée que par l’abstinence ou par les méthodes dites « naturelles » (qui prennent en compte les périodes d’infécondité naturelle de la femme dans son cycle menstruel) - cette concession faite aux méthodes « naturelles » provenant du fondement thomiste aristotélicien. Ce même recours à la nécessité du caractère « naturel » fait qu’en bioéthique, le Catholicisme officiel refuse la procréation assistée dans tous les cas, alors que les Protestants évangéliques l’admettent, en général, quand il s’agit d’une insémination artificielle faite uniquement dans le cadre du couple (légalement marié).
Une dernière différence, due, celle-là, à la doctrine des sacrements et à la prétention de l’Eglise romaine à l’infaillibilité, concerne la question du divorce. Rome prétend avoir le droit, en vertu du « privilège paulin » (1Co 7:15), de dissoudre n’importe quel mariage légitime, même consommé sexuellement, à condition qu’il s’agisse d’un mariage non ratifié (c’est-à-dire, d’un mariage qui, n’ayant pas été conclu avec l’accord1 de l’Eglise, n’est pas un sacrement). Elle affirme aussi posséder le « privilège pétrin » en vertu duquel elle aurait le droit de dissoudre les mariages ratifiés, mais non consommés, en cas de profession religieuse (entrée dans les ordres monastiques) de l’un des deux conjoints, ou, pour les autres cas, de par une dispense papale. Ces deux privilèges, auxquels elle prétend formellement depuis le Concile de Trente, lui confèrent le droit à une dissolution totale du mariage: le lien matrimonial disparaît (divortium a vinculo matrimonii), ce qui rend licite un remariage (sauf pour qui entre dans un ordre religieux). Par contre, en cas d’un adultère commis par un conjoint dont le mariage est ratifié et consommé, le lien matrimonial est indissoluble et l’Eglise ne pourrait permettre que la séparation de corps et de biens (divortium a thoro et mensa), sans remariage possible avant la mort de l’un des conjoints.
Les Protestants trouveront exégétiquement inacceptable l’interprétation catholique de 1 Co 7:15: il ne s’agit pas dans ce texte de « n’importe quel mariage non ratifié » (de toute façon l’Eglise n’a pas de pouvoir spécial pour ratifier des mariages), mais il s’agit du cas où un conjoint chrétien est abandonné de façon définitive par son conjoint païen (ceci même au cas où il y aurait eu cérémonie religieuse de bénédiction du mariage !). Depuis Luther, tous les Evangéliques sont d’accord pour déclarer dénuée de tout fondement biblique la distinction catholique entre mariages légitimes et mariages ratifiés, et ils estiment par conséquent qu’en matière de divorce, tous les mariages sont soumis aux mêmes règles. Mais il n’y a malheureusement pas d’accord unanime sur ce que sont ces règles...
En éthique personnelle, depuis Saint Thomas, le catholicisme insiste beaucoup sur les vertus de l’âme, « habitus » créés dans l’âme par la répétition d’actes bons. La pédagogie morale se limitera donc souvent à l’acquisition d’habitudes: l’homme vertueux est celui qui a acquis les automatismes d’habitude2 pour agir toujours en accord avec la loi morale. Par conséquent, la vertu rend bon celui qui la possède, elle est le fondement de la vie morale. Ainsi l’esprit vertueux gardera l’homme du péché mortel (qui prive du salut), et la pratique des vertus (impliquant la tempérance, la discipline, l’ascèse...) donne la force de combattre les péchés véniels (qui offensent Dieu, mais sans priver du salut). L’impression est donnée que la discipline peut déraciner le péché; à cet égard, la foi n’a qu’un rôle secondaire, et on a à faire à un légalisme qui, en mettant en exergue les possibilités morales de l’homme, flatte en même temps son orgueil. La sanctification ne découle pas de la justification, mais des vertus (de même que le péché n’est pas reconnu comme découlant premièrement de l’incrédulité). On dira que des actes mauvais peuvent rester bons sous certains rapports, par exemple, de par leur relation à la raison (ceci parce qu’on ne voit pas qu’elle aussi est corrompue par le péché). Tout cela reflète l’optimisme anthropologique du Catholicisme romain: le péché n’a fait que blesser l’homme, qui reste libre. Alors que dans la Bible et chez nos Réformateurs, l’homme est mort dans ses fautes et dans ses péchés, dont il est devenu à ce point esclave que seul Jésus-Christ peut le libérer, par l’intervention d’une grâce divine qui ne doit rien aux vertus acquises.
1 En règle générale, cet accord de l’Eglise implique que le mariage doit être célébré selon la forme canonique, c’est-à-dire devant le prêtre, mais le Droit Canon romain prévoit aussi différents cas où une dispense de cette obligation peut être accordée.
2 Même si l’on reconnaît que la répétition d’actes bons suppose à chaque fois un appel à la raison et à la volonté.
Précisons, pour éviter toute ambiguïté, que notre critique de l’éthique catholique des vertus ne devrait pas nous mener à nier la place de celles-ci dans une éthique protestante. Le NT (plus particulièrement, les Epîtres pauliniennes) contient en effet plusieurs listes de vertus1, auxquelles le Chrétien est exhorté à tendre. Autrement dit, nous pouvons reconnaître et apprécier très positivement le pouvoir stabilisateur bénéfique de la bonne habitude et de la discipline, sans pour cela nous figurer qu’elles peuvent rendre l’homme bon: l’homme vertueux qui n’est pas justifié par la foi ne saurait être agréable à Dieu ! Lc 11:13 nous précise bien que l’homme mauvais peut faire de bonnes choses: ces choses ne font pas de lui un homme bon.
L’éthique évangélique refuse de distinguer des catégories de péché. Elle met l’accent sur le fait que tout péché participe à une réalité unique (la volonté d’autonomie de l’homme par rapport à Dieu) et procède de la même source (l’incrédulité). L’établissement d’une hiérarchie des péchés peut parfois correspondre à une nécessité purement terrestre, d’ordre soit pédagogique (apprendre à distinguer le moindre mal), soit juridique ou éthique (apprécier les degrés de responsabilité, mesurer les peines à appliquer, ou mesurer les conséquences d’une action sur autrui), mais on ne saurait en aucun cas enseigner qu’aux yeux de Dieu, et par rapport à la relation entre l’homme et Dieu, certains péchés sont plus légers (« véniels ») que d’autres: le moindre péché, même unique, brise totalement la relation à Dieu.
Le Catholicisme officiel2 fait objection à la fécondation par insémination artificielle homologue (dans le couple), même lorsqu’il s’agit d’un couple légalement marié et stable, en partant du raisonnement suivant. Dieu a établi pour le mariage deux significations: l’union des époux (mise ici en premier lieu: c’est un document récent) et la procréation. Ces deux significations ne doivent pas être séparées. La contraception (union excluant la procréation) les sépare; or, l’insémination artificielle (procréation sans union) fait de même. En séparant l’union biologique des parents de leur union spirituelle et charnelle, elle agit de sorte que l’enfant conçu devient le fruit d’une technique artificielle plutôt que le fruit de leur amour; autrement dit, on fait de lui un objet plutôt qu’une personne.
Voici notre réponse en trois points:
1) Le Catholicisme admet très bien la séparation de l’union et de la procréation, lorsqu’elle est involontaire ou naturelle: ainsi, les époux naturellement stériles, et informés de cette stérilité, gardent-ils néanmoins le droit de s’unir sexuellement; de même les couples naturellement féconds ont-ils le droit de s’unir dans les périodes non fécondes du cycle menstruel.
2) Qui plus est, le Catholicisme permet même une certaine contraception, à condition qu’elle se fasse uniquement par les méthodes dites naturelles (Ogino, Billings); seules les méthodes artificielles (mécaniques ou chimiques) sont condamnées. On retrouve ici les principes thomistes, non bibliques, sur la « nature », qui dévaluent le technique et l’artificiel.
3) Le document cité part d’une comparaison entre la contraception et l’insémination artificielle homologue. Poussons donc la comparaison jusqu’au bout. Un couple involontairement stérile peut s’unir (union sexuelle inféconde) parce que la séparation des deux buts du mariage n’est pas voulue. Mais dès lors, par le même principe du caractère involontaire de la séparation des deux buts, pourquoi l’insémination (fécondation non sexuelle) ne serait-elle pas permise ? En fait, les couples stériles utilisent l’insémination artificielle justement parce qu’ils veulent unir les deux buts du mariage. La seule différence d’avec les couples naturellement féconds est dans leur incapacité (involontaire) d’atteindre ces deux buts part le même acte. Ces couples peuvent donc être plus près de la volonté de Dieu que les couples qui se résignent à leur stérilité: s’ils veulent un enfant l’un de l’autre, c’est justement parce qu’ils s’aiment et se sont donnés l’un à l’autre.
1 Notons que ces listes semblent, en partie au moins, être inspirées par celles de la morale stoïcienne, ce qui confirme que le Chrétien peut considérer les valeurs positives des éthiques non chrétiennes comme résultant d’une révélation générale que la foi peut reprendre à son compte.
2 S’exprimant dans l’Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation, document publié par la très officielle Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
Le même argument catholique est aussi l’une des objections présentées à l’utilisation de la FIVETE homologue. Nous estimons que la FIVETE doit être refusée, mais à cause des autres objections (principalement, le non respect de la vie qu’elle implique).
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Mehl, Roger Ethique catholique et éthique protestante, série Cahiers Théologiques, n° 61 (Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1970), 106 p. Luthérien.
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Pinckaers, S. Le renouveau de la morale, série Cahiers de l’actualité religieuse, n° 19 (Tournai: Casterman, 1964), 263 p. Catholique.
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Schyns, Matthieu Etudes de morale protestante (Bruxelles: Synode des Eglises protestantes, 1955); Tome 1: L’expérience morale; tome II: Esquisse de philosophie morale. Réformé libéral. Ecrit pour servir de manuel dans l’enseignement secondaire général.
Simon, René Fonder la morale. Dialectique de la foi et de la raison pratique (Paris: Editions du Seuil, 1957), 214 p. Protestant.
Stott, John Le chrétien et les défis de la vie moderne, Collection Alliance, adaptation française de Jacques Buchhold (Méry-sur-Oise: Sator, 1987), 2 tomes. Contient des éléments d’éthique.
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Vittrant, Jean-Benoît Théologie morale (Paris: Beauchesne, 1968). Catholique (jésuite). 620 p.
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Widmer, Pierre Vivre pleinement (Bâle: Ed. Agapé, 1966), 134 p. Mennonite évangélique.
II. Ethique biblique
Wright, Christopher Vous serez mon peuple, Collection Alliance, traduit de l’anglais par Jacques Buchhold (Méry-sur-oise: Sator, 1989), 284 p. Ouvrage d’éthique biblique.
a) Ancien Testament
Kaiser, W.C. Toward Old Testament Ethics, 1983.
Van Oyen, H. Ethik des Alten Testaments, 1967.
b) Nouveau Testament
Houlden, J.L. Ethics and the New Testament (New-York: Oxford University Press, 1973).
Lazure, N. Les valeurs morales de la théologie johannique (Evangile et Epître), 1965.
Longenecker, R.N. New Testament Social Ethics for Today, 1983, 108 p.
Manson, T.W. Ethics and the Gospel, Londres 1962.
Richardson, Peter Paul's Ethics of Freedom (Philadelphia: Westminster Press, 1979).
Schnackenburg, Rudolf Le Message moral du Nouveau Testament, 2e éd. (Le Puy-Lyon: Xavier Mappus, 1963), trad. de la 2e éd. allemande. Catholique.
Spicq, Ceslav Théologie morale du Nouveau Testament, 2 tomes (Paris, 1965). Catholique.
Wendland, Heinz-Dietrich Ethique du Nouveau Testament, série Nouvelle Série Théologique, n° 26 (Genève: Labor et Fides, 1972), trad. de l’allemand, 162 p.
Wilder, Amos N. Eschatology and Ethics in the Teaching of Jesus, 2e éd. (New-York: Harper, 1950).
III. Sujets spécifiques
a) Ethique sexuelle
1) Etudes générales
Fuchs, Eric Le désir et la tendresse, Sources et histoire d’une éthique chrétienne de la sexualité et du mariage, série Le champ éthique, n°1, 2e éd. (Genève: Labor et Fides, 1979), 248 p. Etude de haut niveau théologique, néanmoins encore lisible. Pas évangélique, mais très intéressant.
Grimm, Robert Amour et sexualité, série Cahiers théologiques, n° 48 (Neuchâtel: Delachaux et Niestlé, 1962), 79 p.
Locht (de), Pierre La morale conjugale en recherche, collection Vivre et croire (Tournai: Casterman, 1968), 146 p. Catholique, d’avant-garde.
Palau, Luis Les jeunes et la sexualité
Pataï, Raphaël L’amour et le couple aux temps bibliques, trad. de l’anglais par Madeleine King (Paris: Mame, 1967), 269 p. Excellente étude d’éthique descriptive, comparant les données bibliques et l’anthropologie traditionnelle des peuples modernes du Moyen Orient.
Scorer, C.G. The Bible and Sex Ethics Today (Londres: Tyndale Press, 1966), 124 p. Evangélique.
Stafford, Tim L’attente récompensée (Deerfield: Vida, 1994)
2) Le mariage
Macmillan, Arthur T. What Is Christian Marriage ? (Londres: Macmillan & Co. LTD, 1944), 143 p. Anglican.
Böckle F., Dupont J., Orsy X., Beaupère R., Van Leeuwen P.A. Le problème des mariages mixtes, Colloque de Némi (Paris: Les Editions du Cerf, 1969), 160 p. Traduit de l'allemand.
3) Le divorce
Barilier, Roger « Le divorce. Etude biblique et pastorale », dans La Revue Réformée, n° , 1991, 43 p.
Cornes, Andrew Divorce and Remarriage I.V.P. M’a été présenté comme étant la meilleure étude évangélique récente sur le sujet.
Ellisen, Stanley A. Divorce and Remarriage in the Church (Grand Rapids: Zondervan Publishing House, 1977), 105 p. Evangélique.
Murray, John « Le divorce » trad. de l’américain par E. Trocmé et L. Turner, adaptat. française de P. Marcel, dans La revue Réformée, n° 15-16 (1955: 3-4). Réformé évangélique, bon niveau théologique. Examine nombre de cas pratiques. Un classique du sujet. 92 p.
Plekker, Robert J. Divorce and the Christian: What the Bible Teaches (Wheaton: Tyndale House Publishers, 1980), 137 p.
Pospishil, Victor J. Divorce et remariage, pour un renouvellement de la doctrine catholique, tr. de l’américain par J. Potin (Tournai: Casterman, 1969), 239 p. Catholique, d’avant-garde.
4) Autres thèmes
Bockmühl, Klaus « La discussion sur l’homosexualité. Point de vue théologique » dans La Revue réformée, n° 62 (1965: 2), p.1-25. Evangélique.
Court, John H. Pornography: A Christian Critique, série Outreach and Identity: Evangelical Theological Monographs, n° 5 (Exeter: The Paternoster Press, 1980), 96 p. Evangélique.
Thévenot, Xavier Homosexualités masculines et morale chrétienne, série « Recherches morales », 3e éd. (Paris: Editions du Cerf, 1988), 317 p. Catholique.
b) Ethique biomédicale
1) Etudes générales
O'Donnell, Thomas J. La morale en médecine, 2e éd., trad. de l’anglais par Madeleine Chavanon (Paris: Mame, 1961), 393 p. Catholique.
Paquin, Jules Morale et médecine (Montréal: L’Immaculée Conception, 1955), 488 p. Catholique.
Second Opinion, vol. 1: Health, Faith and Ethics (s.l.; Lutheran General Health Care System, 1986), 125 p. Articles par divers auteurs.
2) Moyens anticonceptionnels et avortement
Abortion and the Sanctity of Human Life, éd. J.H. Channer (Exeter: The Paternoster Press, 1985), 151 p. Contributions par 8 auteurs.
Birth Control and the Christian. A Protestant Symposium on the Control of Human Reproduction, éd. W.O. Spitzer et C.L. Saylor (Wheaton: Tyndale House Publishers, 1969), 590 p. Protestant, relativement évangélique (contributions par 26 auteurs).
Dumas, André Le contrôle des naissances, Opinions protestantes. (Paris: Les Bergers et les Mages, 1965), 163 p. Réformé.
Gardner, Rex F.R. Abortion: The Personal Dilemma (Grand Rapids: Eerdmans Publishing Company, 1972), 288 p. Evangélique mais inconséquent.
Gorman, Michael J. Abortion and the Early Church (Downers Grove: InterVarsity Press, 1982), 115 p. Evangélique.
Hoffmeier, James K. L’avortement, Enjeux théologiques et éthiques (Québec: Editions La Clairière; trad. de l’anglais Abortion, A Christian Understanding and response, Baker Book House, 1987). Articles par 16 spécialistes.
Payne, Margaret Naître ou ne pas naître (Fontenay-sous-Bois: Editions Farel, 1981), 109 p. Evangélique.
Saltzmann, Samuel Et Dieu donna la vie. Point de vue chrétien sur l’avortement, l’infanticide et l’euthanasie (Guebwiller: Editions L.L.B., 1981), 279 p. Evangélique.
Saltzmann, Samuel N'oublie jamais la vie. La contraception, jusqu’où ? (Guebwiller: Editions L.L.B., 1984), 163 p. Evangélique.
Van Peteghem, Léonce-Albert Respect pour l’enfant à naître (Gand: Imprimerie L. Vanmelle, 1973), 68 p. Catholique.
3) Procréation assistée
Anderson, J. Kerby Genetic Engeneering, série Contemporary Evangelical Perspective (Grand Rapids: Zondervan Publishing House, 1982), 135 p. Evangélique.
Boné, Edouard et Malherbe, Jean-François Engendrés par la science, série « Recherches morales, Positions » (Paris: Editions du Cerf, 1985), 187 p. Catholique, en recherche.
Clarke, Robert Les enfants de la science (Paris: Editions Stock, 1984), 275 p. Auteur non engagé.
Congrégation pour la doctrine de la foi Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation (Paris: librairie Téqui, 1987), 40 p. Catholique, point de vue officiel d’un organe autorisé.
Saltzmann, Samuel Le jeu de la vie (Guebwiller: Editions L.L.B., 1986), 223 p. Evangélique.
c) Ethique des affaires
Somerville, Robert L’éthique du travail, collection Alliance (Méry-sur-Oise: Sator, 1989), 190 p. Baptiste, évangélique.
d) Ethique sociale
Biéler André, Ray Maurice et De Perrot Michel Chrétiens à l’ère nucléaire: quelles responsabilités ? Collection « Points de repère » (Lausanne: Presses Bibliques Universitaires, 1982), 88 p. Protestant.
Carrillo de Albornoz, A.F. Le Catholicisme et la liberté religieuse, collection Progressions; traduit de l’anglais par Léon Thoorens (Paris: Editions Universitaires, 1961), 178 p. Catholique.
Christianisme et droits de l’homme, Collection Idéologies et droits de l’homme, B.O2 (Paris: Librairie des libertés, 1984), 244 p. Articles par différents auteurs.
D’Arcy, Eric Plaidoyer pour la liberté de conscience, Collection In Domo Domini, traduit de l’anglais par Pierre Godefroy et Robert Vilain (Paris: Editions Saint-Paul, 1964), 180 p. Catholique.
De Broglie, Guy Le droit naturel à la liberté religieuse, collection Beauchesne, n° 6 (Paris: Beauchesne, 1964), 192 p. Catholique.
Hornus, Jean-Michel Evangile et Labarum, Nouvelle série théologique, n° 9 (Genève: Labor et Fides, 1960), 195 p. Protestant.
Lambotte, Jules Les Chrétiens évangéliques adeptes de la non-violence, collection « Problèmes d’aujourd'hui », n° 1, 2e édition (Flavion: Editions Le Phare, 1968), 16 p. Evangélique mennonite.
Muller, Jean-Marie L’Evangile de la non-violence (Paris: Arthè-me Fayard, 1969), 218 p.
Steven, Paul Eléments de morale sociale (Paris-Tournai-Rome: Desclée & Cie, 1954), 612 p. Catholique.
e) Ethique de l’environnement
Commission de la défense de la nature des Eglises de la Confession d’Augsbourg et Réformée d’Alsace et de Lorraine Nature menacée et responsabilité chrétienne (Strasbourg: Editions Oberlin, 1979), 105 p.
f) Contribution de J.L. Simonet
Approches pastorales du problème posé lorsque les conditions d’un mariage civil rendraient la vie matérielle du couple pratiquement impossible (en collaboration avec une commission de réflexion de la P.E.C) (Charleroi: Bérée 2000, 1991), 20 p. Article de recherche, où alternent l’éthique et la théologie pastorale.
L’avortement... point de vue évangélique (Le Messager évangélique, n° 318, p.217-245, et 319, p.251-281, juillet-août 1990; + bibliographie: n° 320, p.313-314, septembre 1990).
La bioéthique (cours préparé pour le secondaire supérieur; encore inachevé, actuellement 19 p.)
Le divorce (études présentées à la Pastorale Evangélique de Charleroi en 1992); brochure en préparation, inachevée, actuellement 26 p.
Bible et sexualité (cours préparé pour le secondaire supérieur; encore inachevé, actuellement 7 p.)
Quelques grandes lignes d’une position protestante sur la contraception (1p.)
Notes sur le suicide et l’euthanasie (p.8 à 17 du cours sur L’au-delà préparé pour le secondaire supérieur).
mailto:j.simonet@skynet.be Jean-Louis Simonet
Cours d'éthique donné à l’Institut Biblique Belge par J.L. Simonet.