Christianisme et rationalité

 

    Une idée commune, héritée de la philosophie des Lumières et du positivisme, voudrait que la foi et la rationalité soient des valeurs antinomiques. Dans sa forme la plus extrême, cette pensée présente même la croyance religieuse comme une forme primitive et subjective d’appréhension du monde, opposée à la science rationnelle et déductive, méthode moderne et objective permettant de comprendre et de maîtriser la nature.

    Le point de vue Chrétien est naturellement tout autre. Pour commencer, nous devons reconnaître que notre foi implique une relation fondamentalement objective à la réalité; car notre foi ne nous rapporte pas d’abord à nous-mêmes et à notre conscience individuelle, mais à Dieu, révélé à nous par les prophètes, par les Écritures et en Jésus-Christ. Dieu nous demande ainsi que sa loi et sa parole soient l’objet de notre pensée et de notre foi (Ps 119 :96-100, Phil 4 :7-9). Mais dans le même temps nous avons, au travers de notre connaissance du Sauveur, une relation de personne à personne avec Lui, tout à la fois objet et sujet de notre joie (Nb 23 :21, Ps 5 :12).

    Sur le plan de la raison, il est clair que notre foi ne peut se réduire à la seule logique ou à une démarche strictement rationnelle; elle implique par notre relation avec Dieu une démarche d’une toute autre nature; et l’Écriture nous met en garde contre une confiance aveugle mise en notre seule raison (1 Cor 1 :19-25). Mais d’autre part, la rationalité n’est en aucune manière exclue de notre démarche Chrétienne – bien au contraire.

    Lorsque Jésus nous dit que toute la Loi est résumée en ces deux commandements : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée» et « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22 :34-40), il nous indique que tout le reste de la Loi en découle de manière logique. Ainsi Dieu ne nous voit pas comme des enfants incapables de jugement et forcés d’observer des règles dont nous ne comprendrions pas le sens, mais au contraire, il reconnaît en nous des êtres rationnels, capables de déduire ce qui est ou n’est pas conforme à sa volonté et à son plan, tels qu’ils nous furent révélés dans les Écritures (Jn 15 :15).

    Par ce même enseignement Jésus nous invite aussi à détourner nos regards de nous-mêmes – de l’attitude subjective et égocentrique qui nous est naturelle – pour les porter au dehors, sur nos prochains et sur Lui-même. Ce faisant, Jésus nous met une fois encore en condition d’agir d’une manière rationnelle et réfléchie.

    Nous pouvons constater quotidiennement combien l’attitude égocentrique de l’homme naturel le détourne d’une démarche rationnelle, laissant ses motivations et ses actions être influencées par ses propres passions, ses peurs ou ses fantasmes bien plus que par sa pure raison. Ainsi telle personne, pourtant bien avertie des dangers et consciente des lois inviolables de la physique, prendra au volant des risques inconsidérés, en vertu de l’illusion subjective qu’il contrôle la situation, et que les accidents n’arrivent qu’aux autres.

 Tel autre, bien qu’ayant appris que les lois élémentaires des probabilités ne lui donnent que des espérances de gain négatives, s’obstinera à jouer aux jeux de hasard, préférant à la voix de la raison écouter les sirènes du rêve et du fantasme d’un gain facile. Et de tels exemples pourraient être multipliés à l’infini.

    Mais le Chrétien qui se « détourne » de lui-même pour regarder à Dieu, cherchant à faire Sa volonté et à servir son prochain, parvient à un point de vue totalement neuf sur le monde. Délivré des passions et des illusions de l’homme naturel, il acquiert enfin la capacité de penser et d’agir de manière logique, objective et cohérente, dans le but d’accomplir la volonté de Dieu.

    Nous voyons donc qu’à la vision simpliste du monde, qui considère la foi comme contraire à la rationalité et à l’objectivité, nous pouvons opposer une vision beaucoup plus subtile, dans laquelle foi et raison sont non plus antinomiques mais complémentaires et dans laquelle notre rapport à Dieu, qui est une relation de sujet à sujet, nous détourne finalement d’une approche subjective pour embrasser une vision plus objective du monde, nous faisant regarder au-delà de nous-mêmes, à l’autre et à Dieu.

    Il nous revient encore à nous, Chrétiens, d’obéir au commandement du Seigneur de le placer Lui et les autres au-dessus de nous-mêmes; et de faire honneur à Dieu pour la confiance qu’ils nous a témoignée, et le don qu’il nous a fait de la raison, sachant l’utiliser avec sagesse. Sachant aussi éviter de tomber dans le piège que nous tend le monde, qui voudrait nous faire croire que nous ayons à choisir entre la foi et la raison.

    Ainsi, honorons Dieu de tout notre être, de tout notre cœur, de tout notre esprit, et de toute notre intelligence.

Par Philippe Francken  -Physicien-